Le butane s’invite sous la marmite sociale
I l faut croire que seules les actions qualifiées de
« radicales » intéressent véritablement les médias. Comment comprendre en effet le silence assourdissant qui entoure la plupart des plans sociaux. Dans la trop longue liste des annonces de sites qui ferment, qui se délocalisent, qui licencient, bien peu font l’objet d’un traitement médiatique et surtout d’une véritable analyse. Comme si l’actualité sociale devait se résumer à la communication complaisamment relayée des entreprises ou aux actions revendicatives spectaculaires. Les médias découvrent le caractère « explosif de la situation » parce qu’ils voient des bonbonnes de butane, alors que les mêmes glosaient il y a peu sur l’essoufflement du mouvement social en jaugeant les seuls chiffres de manifestants. Après une prétendue mode des séquestrations de dirigeants (restée bien marginale eu égard au nombre d’actions revendicatives), voilà que la tendance serait aux bouteilles de gaz. Le mérite de telles actions c’est de crever l’écran et c’est exactement pourquoi les salariés y ont eu recours ces derniers temps. Avec quelques succès d’ailleurs puisque ceux de Nortel ont déplacé en masse les journalistes et contraint le ministre chargé de l'Industrie, Christian Estrosi, à sortir du bois. Cette affaire a non seulement surpris par son caractère radical, mais aussi par le fait que les salariés en question sont des ingénieurs et cadres, dont on répète à l’envi qu’ils ne sont pas des pros de la grève ni du syndicalisme. Comme pour faire croire qu’ils feraient partie d’un autre monde. D’une certaine manière, ce conflit a le mérite de montrer combien ces salariés qualifiés et en responsabilités ne sont pas les cohortes dociles qu’on nous dépeint, pas plus qu’ils ne sont épargnés par le tsunami social provoqué par la crise. Ce qui est frappant dans les premières images diffusées de ce conflit, c’est l’absence de syndicats… ce champ de croix plantées devant l’entreprise portant les noms et les fonctions de ces ingénieurs et cadres. Un conflit qui démarre par la mise en scène d’un enterrement…Voilà qui frappe les esprits mais qui ne fait pas mystère d’un profond désespoir et qui renvoie à la seule dimension de l’indemnisation du préjudice. Gouvernement et patronat jouent de ces situations avec un certain cynisme. La question posée n'est plus en effet celle de la politique industrielle, celle des emplois, mais juste celle de l’indemnisation extra légale d’un préjudice. C’est d’autant plus vrai que les victimes se sentent flouées, cocufiées par des directions d’entreprise qui prennent leurs ordres ailleurs, Outre-Atlantique, par exemple. Le cynisme est bien de mise en effet car dans le même temps où se négocient les indemnisations avec l’intervention du ministre chez Nortel, l’État poursuit 7 salariés et syndicalistes de Continental pour des dégradations dans un conflit qui lui aussi portait sur l’indemnisation des licenciements. Àcroire que l’on préfère des victimes sans représentation syndicale ou si peu. Tout cela en dit long sur la qualité ou tout simplement l’absence du dialogue social, tant dans l’entreprise que dans les branches, sur les territoires et au niveau national interprofessionnel. Dans cette période, le besoin de syndicalisme ne se dément pas, bien au contraire.
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