L’été meurtrier
L’été sera-t-il chaud ? s’interrogent les météorologues patentés du climat social.
Ils semblent découvrir ce que constate chacun d’entre nous depuis longtemps dans sa propre région : à coups de restructurations, de délocalisations, de réductions d’effectifs, par milliers les emplois sont détruits, des hommes et des femmes voient leur avenir se fermer devant eux, la maison que l’on met en vente, les cellules (bien mal nommées) de reclassement… Des vies brisées, des familles blessées. À Grenoble, à Compiègne, à Châtellerault, il n’est personne qui ait ignoré le sort imposé aux ouvriers de Caterpillar, de Continental ou de Fabris au nom de l’intérêt supérieur des actionnaires. Dans ces villes et dans des centaines d’autres bassins d’emplois, les populations sont solidaires des luttes que les salariés ont dû mener souvent le dos au mur, dans le silence des grands médias audiovisuels nationaux. Les drames sociaux qui se nouent dans les régions n’ont pas trouvé, ou trop parcimonieusement, d’occasions de débats et de vecteurs de répercussion dans le pays… Dans le même temps, le président Sarkozy a saturé l’espace, multipliant les sorties et les discours largement médiatisés. Mépris gouvernemental, arrogance d’un grand patronat, qui a continué à se sucrer de stock-options et autres parachutes dorés ou « golden hello », et carence des grands médias ont conduit à une radicalisation des conflits dans plusieurs entreprises. Il n’est évidemment pas dans la tradition du mouvement ouvrier français de retenir des cadres de direction pour obtenir un peu de transparence sur les projets de restructuration, ni de placer des bonbonnes de gaz à la vue des journalistes pour qu’enfin l’angoisse des salariés soit entendue. La violence patronale, le comportement de voyou de certains dirigeants et le soutien permanent du gouvernement au monde des affaires bouchent les perspectives et provoquent le désespoir. Tout semble se passer comme si le gouvernement et le MEDEF voulaient concentrer le noeud du conflit à un rude marchandage sur le montant des indemnités de licenciement et à éviter à tout prix le débat sur le maintien de l’emploi et de l’activité économique. Au passage, les sommes en discussion montrent que le patronat dispose de fonds considérables, que les directions préfèrent consacrer à la destruction de l’emploi qu’à la relance de l’activité des entreprises, aux salaires. Les travailleurs ont toutes les raisons de se battre pour l’augmentation des indemnités mais, comme le souligne la CGT, le problème de fond n’est pas résolu : des hommes et des femmes porteurs d’un savoir-faire seront rejetés, les emplois perdus par la fermeture d’un site industriel participent de la désindustrialisation de la région concernée. Et tout cela se passe sous la présidence d’un homme qui, pendant la campagne électorale, avait clamé son attachement à l’industrie, à « la France qui se lève tôt », il s’était proclamé le candidat du peuple, du pouvoir d’achat, du « travailler plus pour gagner plus » Deux années ont suffi pour déconstruire des pans entiers du Code du travail, pour fragiliser le travail dans ses rapports avec le chef d’entreprise. L’été sera-t-il chaud ? Pour l’emploi, pour les salariés de Lucent, de Nortel, de JLG… une chose est sûre, c’est déjà un été meurtrier.