Cas d’école
C’était il y a dix mois, déjà. Le 29 octobre 2008, Nicolas Sarkozy orchestrait une de ses petites colères. Le doigt pointé, le ton grinçant, le chef de l’État profitait d’une visite dans les Ardennes pour « dire aux entreprises que je n’accepterai pas les stratégies cyniques et opportunistes », notamment celles qui « pourraient utiliser la crise pour justifier des réductions d’activité et d’effectifs ». La crise promettait déjà d’être violente pour l’emploi. Des dizaines d’entreprises profitaient de l’aubaine pour « adapter » leurs effectifs au manque de rentabilité qui n’allait pas manquer d’arriver. Il y a dix mois, déjà, Molex était dans la cible.
Après avoir racheté l’usine de connectique de Villemur-sur-Tarn, engrangé de juteux bénéfices et pillé le savoir-faire des 283 ouvriers, l’actionnaire américain venait d’annoncer la fermeture du site. La méthode était tellement grossière que le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, qualifiait la décision de « cas d’école », et invitait à mener « une action politique concrète pour empêcher cette fermeture ». Depuis, les salariés ont mis au jour tous les coups tordus de leur patron, ont révélé la complicité entre Molex et PSA pour mener à bien la restructuration, ont obtenu le report de la fermeture. Le gouvernement, lui, a tout laissé faire, même après les révélations prouvant qu’il n’y a aucune justification économique au funeste projet de fermer cette usine. En dix mois, il s’est contenté de… nommer un médiateur. Belle leçon d’efficacité pour qui promettait de se montrer « intraitable » envers les entreprises qui profitent de la crise. Les gesticulations de Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, n’y ont rien changé. Hier, Molex lui a ri au nez.
Du cynisme, le nº 2 mondial de la connectique en a à revendre. Voilà un groupe qui ferme un site rentable, délocalise une technologie de pointe, méprise le droit le plus élémentaire à l’information des salariés, se rend coupable de délits d’entrave, rompt unilatéralement la discussion avec un éventuel repreneur, s’assoit sur les décisions judiciaires… La multinationale américaine se comporte en maître. Elle dicte sa loi, respecte l’argent et méprise les salariés, les élus. Elle affiche la supériorité du monde des affaires sur celui de la politique. C’est en ce sens qu’elle représente un « cas d’école ».
Qui, du diktat économique ou de la volonté politique, aura le dernier mot ? Le seul intérêt de la rencontre d’hier entre les représentants de la multinationale et le gouvernement aurait été d’afficher ne serait-ce qu’un début de volonté de livrer bataille : exiger le maintien de l’activité, engager l’action pour donner des nouveaux droits aux salariés, celui d’opposer un veto aux projets économiquement infondés par exemple, s’engager à légiférer pour interdire à une entreprise qui fait des bénéfices de licencier, réformer la fiscalité pour encourager l’emploi et l’engagement dans des projets de développements industriels… Les idées ne manquent pas pour mettre l’économie sur d’autres rails.