Priorité au développement des capacités humaines

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Par Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT.

La crise dans laquelle nous sommes plongés n’est pas que financière. Elle recèle bien d’autres dimensions, ce qui en fait une « crise de système ». Elle pose au mouvement social des questions multiples dont celle de la place de l’activité humaine, et particulièrement de celle du travail, dans les choix collectifs. Depuis au moins vingt-cinq ans, pour augmenter la rentabilité d’un capital en suraccumulation, les entreprises ont mis une pression sans précédent sur les besoins sociaux : elles ont massivement supprimé des emplois, elles ont limité les efforts de recherche et de formation, elles ont dévalorisé les qualifications, développé la précarité, elles n’ont pas suffisamment investi dans la sphère productive.

Cette logique a négativement affecté toutes les dimensions de la vie humaine, freinant le développement social. Il y a bien une dimension anthropologique dans cette crise. L’humain a été la variable d’ajustement. Mais il faut reconnaître que le sort fait au travail a été au coeur de ce processus. La mondialisation, qui aurait pu être la base d’un rapprochement sans précédent, a mis en concurrence les hommes et les femmes à une échelle inédite. Elle a accentué les pressions sur les rémunérations, les normes de travail et d’emploi, les systèmes de protection sociale. Comme l’admet aujourd’hui l’OCDE, la part revenant aux salaires dans les richesses créées a diminué et les inégalités se sont accrues. L’Organisation internationale du travail (OIT) confirme ce diagnostic et va plus loin, dénonçant la rapide montée des emplois informels qui concernent 2 travailleurs sur 3.

La dérive dans la financiarisation a favorisé une accumulation du capital qui a accru les exigences de rentabilité. Cette norme a conduit les entreprises à marcher sur la tête. Elles ont adapté leur gestion du travail et de l’emploi au niveau de rentabilité exigée des capitaux et des marchés financiers. On a connu la consécration de la notion de « sureffectifs », puis celle des fameux « licenciements boursiers » qui aboutissent à la fermeture d’entreprises viables au prétexte qu’elles ne dégagent pas suffisamment de profits et donc de dividendes pour leurs actionnaires. Des taux de rentabilité exigés, nettement supérieurs au taux de croissance des richesses, ont produit une situation intenable sur le long terme : la rémunération des capitaux ne pouvait être obtenue qu’au prix d’une amputation des capacités humaines et matérielles de production.

Le système était condamné à des soubresauts réguliers de plus en plus brutaux. La crise financière est donc la manifestation d’une crise systémique qui résulte d’années de déflation salariale, de récession sociale et de pression sans précédent sur les activités de production. Le travail est aujourd’hui fort mal en point. Le soigner nécessite de desserrer l’étau de la finance et de donner la priorité au développement des capacités humaines. « Moraliser le système » ne suffira donc pas. Poser de nouvelles règles, « réguler », est indispensable mais pas suffisant. La crise actuelle met en exergue le besoin d’une nouvelle stratégie de développement social, économique et environnemental, ce qui suppose évidemment une relance des salaires mais aussi une nouvelle approche du travail.

Au-delà de la bataille revendicative, un affrontement sans précédent de critères, de normes et de valeurs est engagé. Le message doit être clair : le travail n’est nullement la part maudite de la vie humaine. Il en est au contraire une dimension essentielle. Il s’agit désormais de le revaloriser pour assurer un développement humain durable. En d’autres termes, au lieu de considérer l’argent comme une fin en soi, il s’agit de faire des propositions afin de le mettre au service de la satisfaction des besoins humains fondamentaux : la préservation de la planète, l’alimentation, la santé, l’habitat, la culture, la communication, l’information. Répondre à ces besoins nécessite de reconsidérer le travail, sa place, son rôle, son contenu et les capacités créatives de l’homme qui s’y expriment. C’est au vrai sens du terme un enjeu de civilisation.

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