LE PEUPLE N’A PAS DIT SON DERNIER MOT
« Du boulot pour les jeunes, du repos pour les vieux ! »
Déjouant les calculs du gouvernement, qui misait sur un échec et avait tout fait pour cela, la journée d’action syndicale a remporté, avec environ un million de manifestants, un plus grand succès que celle du 23 mars.
LA RETRAITE À 60 ANS
La droite n’en a jamais voulu et a détricoté le système par répartition dès qu’elle l’a pu. Détruisant en quelques années près de quatre-vingts ans de luttes acharnées, jusqu’à l’instauration de la mesure par la gauche en 1983.
1910-2010 : retour sur une lutte et une revendication centenaires.
C’est peu de dire que les syndicats étaient attendus au tournant. Et qu’ils avaient affaire à forte adversité. D’abord la tactique du gouvernement consistant à dissimuler au maximum ses intentions ; il a fallu, on l’a vu, attendre mardi soir pour que le ministre du Travail daigne admettre, du bout des lèvres, que la liquidation de la retraite à soixante ans n’est pas une « option », mais bien son dessein. Et il faudra encore attendre le 20 juin pour connaître le texte précis de la réforme. Ensuite, le déluge de propagande officielle, dans les médias, présentant le durcissement des conditions d’accès à la retraite à taux plein, comme la seule « solution » imaginable pour pérenniser le système. Des directions d’entreprises publiques ont, en outre, joué leur partition en communiquant en direction de leurs salariés pour leur donner à croire, à l’instar de la SNCF, qu’ils ne seraient pas concernés par la nouvelle réforme. Ajoutons à cela une discrétion confondante des journaux sur cette riposte syndicale. Enfin, l’unité du mouvement syndical n’était pas complète. FO, qui prépare son propre rassemblement le 15 juin, avait souhaité, par la voix de son leader, Jean-Claude Mailly, que la journée soit « réussie », mais pas au point d’y participer.
Le cap du million de manifestants
Á l’aune de tout cela, la mobilisation de jeudi apparaît comme un sérieux coup de semonce pour le chef de l’État et son équipe. Dès le début de l’après-midi, le succès semblait assuré, pour l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFTC, FSU, Unsa, Solidaires) qui s’était donné l’objectif de « faire mieux » que la dernière journée d’action interprofessionnelle du 23 mars. Un premier bilan de la CGT, portant sur la moitié des quelque 200 manifestations organisées à travers tout le pays, révélait une participation supérieure de 20 %, comparé aux cortèges du 23 mars. Le cap du million de manifestants, au total, semblait devoir être atteint (contre 800 000 il y a deux mois). Des défilés marqués par la présence des partis de gauche et de leurs leaders. Les appels aux arrêts de travail ont, eux aussi, par-delà des inégalités, remporté des succès significatifs : la direction de France Télécom dénombrait 21,5 % de grévistes parmi les 100 000 salariés, contre 17,5 % le 23 mars ; la CGT cheminots annonçait 28 % de grévistes à la SNCF (32 % il y a deux mois), « pas trop mal », « après une campagne (de la direction) sur l’idée que les cheminots ne seraient pas concernés par la réforme, ce qui est faux », notait Laurent Russeil, un dirigeant du syndicat ; La Poste faisait état de 12,8 % de grévistes (11,45 % en mars).
Les débrayages ont également touché de très nombreuses entreprises privées. « Alors que le gouvernement n’a annoncé sa mesure principale, le décalage au-delà des soixante ans (de l’âge légal de départ à la retraite – NDLR) qu’il y a 24 heures, la réaction est relativement rapide », pouvait se réjouir le leader de la CFDT, François Chérèque, en tête du cortège parisien. Avant de promettre : « Il y aura certainement une autre étape. On décidera avec l’intersyndicale si elle doit avoir lieu fin juin ou début septembre ou les deux. » « On peut s’attendre à ce que le gouvernement réfléchisse après la journée d’aujourd’hui. Je crois que le chef de l’État lui-même va être contraint de réfléchir. Même si on ne connaît que les grandes lignes, ce projet (de réforme – NDLR), ça ne peut pas être celui-là », observait de son côté le secrétaire général de la CGT. Pour Bernard Thibault, cette journée était « le point d’appui nécessaire pour convaincre le gouvernement qu’il n’a pas partie gagnée sur son projet et qu’il y a suffisamment de forces pour résister à ses ambitions ». « C’est un parcours de longue haleine, et pas une course de vitesse comme le veut la stratégie gouvernementale.
Le vrai test sera quand on connaîtra vraiment toutes les mesures », remarquait pour sa part le dirigeant de l’Unsa, Alain Olive. « On sent que le gouvernement a peur des réactions », confirmait Annick Coupé, de Solidaires. Á la suite des nombreux sondages montrant que les pistes officielles de réforme sont majoritairement désavouées par l’opinion, le succès de la mobilisation d’hier montre en effet, à tout le moins, que les jeux sont loin d’être faits. Alors que le gouvernement manifestait sa surdité, hier soir, en feignant de voir une « validation » de sa méthode, cette journée constitue, pour l’intersyndicale, un encouragement à prendre de nouvelles initiatives, comme le souhaite la CGT.