Editorial par Patrick Apel-Muller
Une canaillerie. Parce que le règlement de l’Assemblée risquait d’empêcher l’adoption expéditive de la contre-réforme des retraites, l’homme qui doit en assurer le respect, le président de la Chambre des députés, l’a violé, hier. L’UMP Bernard Accoyer s’est révélé bien au-dessous de sa fonction, en homme de basse besogne quand il devait avoir la hauteur de l’homme d’État. Le perchoir a pris une allure de basse-cour, pour complaire au président de la République. Le péril était-il si grand à permettre aux députés de gauche, représentants de la nation, d’exprimer leur opinion ? Tremble-t-on si fort dans les états-majors du Medef et de l’UMP pour éviter à ce prix la coïncidence du vote et de la manifestation intersyndicale du 23 septembre ?
L’État UMP se sent au-dessus des lois, à Paris comme à Bruxelles ou à Strasbourg. « La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force », écrivait le poète Paul Valéry. Le pouvoir est en train de l’éprouver. Il croyait pouvoir imposer sans coup férir sa contre-réforme des retraites à l’immense majorité du pays, parce qu’il tient le gouvernement et la majorité du Parlement. Ce n’est toujours pas joué et les tristes manœuvres d’un Accoyer provoqueront plus de révolte que de soumission. D’autres épisodes politiques récents témoignent qu’il ne suffit pas de voter une loi pour y soumettre le peuple. Récemment, la droite n’a-t-elle pas dû renoncer au CPE qu’elle avait fait adopter par ses godillots ?
Les querelles de matamores, les tactiques florentines et les coups de stylet qui agitaient les coulisses de l’UMP viennent d’être relégués au second plan. Tous font bloc dans cette sale besogne. Les Fillon, les Copé, les Bertrand et autres Woerth, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Une sorte d’état d’urgence a envahi la droite, et on saisit sa panique à la perte de sang-froid d’Éric Woerth, traitant, selon des témoins, une députée socialiste de « collabo ». L’insulte s’ajoute aux barbouzeries contre la presse, aux mensonges sur l’affaire Woerth ou sur les Roms, aux cadeaux pour les Bettencourt et autres Tapie… La régression démocratique se marie à la régression sociale. Après avoir choisi une gouvernance absolument monarchique, voilà que Nicolas Sarkozy caresse le rêve d’une monarchie absolue. Il est temps de raviver les couleurs de la République, en la dotant d’une Constitution débarrassée des fruits vénéneux du présidentialisme.
L’opinion gardera en mémoire les noms des 329 députés qui viennent de voter une loi qui constitue un recul de civilisation : pour la première fois depuis plus d’un siècle, l’âge de cessation du travail est repoussé, quasiment jusqu’à la limite d’espérance de vie en bonne santé : 63 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes. La commande passée par l’état-major du Medef et la bande du Fouquet’s a été honorée par la droite. Elle n’est cependant pas encore appliquée. Chaque jour qui passe jusqu’au 23 septembre doit être mis à profit pour mobiliser toujours plus de citoyens. D’autres manches vont se jouer au Sénat et dans la rue.