Prévenir la pénibilité au travail appelle à regarder du côté de son organisation du travail.
À trente-cinq ans, un cadre supérieur a une espérance de vie de trente-quatre ans ; un ouvrier, de vingt-quatre ans. Telle est aujourd’hui la réalité d’une situation qui continue de se dégrader globalement et qui devient dans le même temps de plus en plus inégalitaire entre les catégories sociales. Les écarts se creusent. Aux inégalités en termes d’espérance de vie vient s’en greffer une autre, celle de la qualité de la vie et plus particulièrement de la qualité de la vie au moment de la retraite. C’est tout le débat qui anime aujourd’hui les négociations autour d’une prise en compte de la pénibilité dans une logique de réparation dont la prise en charge serait « socialisée ». Comment une telle approche aussi déresponsabilisante pour l’entreprise peut-elle conduire à une prise de conscience générale et à la mise en place de véritables plans d’action pour prévenir la pénibilité au travail ?
Combattre une telle inégalité face aux conditions d’exercice de son travail suppose d’une part que l’on sorte d’une approche trop étroite de la pénibilité en dépassant sa seule apparence médicale pour la reconnaître et la réparer, et que, d’autre part, on remonte aux sources de la pénibilité pour la combattre en améliorant les conditions de travail. Trop de salariés vivent encore au quotidien de fortes contraintes et d’insupportables nuisances : le bruit, le travail de nuit et les horaires décalés, la chaleur, la répétition des tâches finissent par user ceux qui les subissent.
Pour autant, la pénibilité du travail ne concerne pas uniquement ce qui se voit, elle produit aussi des effets qui peuvent être différés dans le temps (au-delà du départ à la retraite), parfois de façon irréversible dans le cas de l’amiante et d’autres agents toxiques, ou réversible si l’on prend le cas de substances allergisantes. Le mal ne cesse donc pas systématiquement lorsque le salarié n’est plus exposé. Les facteurs de pénibilité peuvent aussi être invisibles alors même que ses effets sont extrêmement néfastes pour la santé. Ainsi pour celles et ceux qui travaillent dans les entreprises en sous-traitance dans le nucléaire, en exposition aux nanoparticules ou encore aux risques chimiques. Le temps global d’exposition, le cumul d’exposition, les situations de précarité et de mobilité professionnelles sont autant de paramètres se cumulant pour contribuer à la détérioration de la santé des salariés.
L’évaluation de la pénibilité, pour la réparer, ne peut se réduire à la seule mesure médicale de ses effets incapacitants. Elle doit tenir compte de l’usure au travail, des effets plus discrets et différés de certaines expositions, et s’élargir aux risques émergents que sont les situations de violence et de souffrance au travail.
Prévenir la pénibilité, c’est aussi poser la question de l’organisation des parcours professionnels permettant à chaque salarié de pouvoir accéder à un travail et à un emploi de qualité, adapté à son âge et à sa situation de santé. Prévenir la pénibilité au travail pour la réduire et l’éliminer appelle à se mobiliser dans l’entreprise et à regarder du côté de son organisation du travail, de ses conditions de travail comme de ses méthodes de management. Si on veut agir durablement sur l’espérance de vie, c’est au quotidien qu’il faut agir pour améliorer les conditions de travail en aménageant les postes de travail, en les adaptant à chaque période de la vie et en éliminant, sinon en limitant, l’exposition à tous les risques. C’est le sens de l’intervention permanente des représentants des salariés, notamment au sein des CHSCT et des comités d’entreprise. Bien vivre au travail aujourd’hui est nécessaire pour bien vivre sa retraite demain.