Alors que la loi retardant l’âge de la retraite prétendait obliger les entreprises à s’engager sur la prévention de la pénibilité du travail, le projet de décret, que l’Humanité s’est procuré, leur donne de larges possibilités de s’y soustraire.
Encore un rendez-vous raté. Suite à la dernière « réforme » des retraites (loi du 9 novembre 2010), qui a instauré des mesures censées favoriser la « prise en compte de la pénibilité dans les parcours professionnels », un premier décret d’application avait suscité l’hostilité générale des syndicats. Portant sur la réparation de la pénibilité par l’instauration d’un droit au départ anticipé, ce texte, publié le 30 mars au Journal officiel, traduit en termes juridiques la volonté du gouvernement de limiter au maximum le nombre de salariés éligibles : seulement ceux présentant un taux d’incapacité reconnu (de 20 %, ou 10 % mais sous conditions draconiennes) pourraient prétendre « décrocher » à 60 ans (au lieu de 62). Une approche purement médicale, aboutissant à écarter les hommes et les femmes astreints à des travaux pénibles, mais dont les effets sont en général différés. Le gouvernement avait repris l’optique du Medef : parler pénibilité, d’accord, mais, surtout, limiter au maximum la facture de sa prise en compte.
« Une proportion minimale de salariés exposés »
Et maintenant, bis repetita sur le volet prévention. La loi du 9 novembre 2010 prévoit d’obliger les entreprises à négocier un accord avec les syndicats, ou à décider d’un plan d’action, sur la prévention de la pénibilité, sous peine de subir une pénalité financière, cela avant le 1er janvier 2012. Un décret d’application, en préparation, dont l’Humanité a eu copie, réduit à très peu de chose la portée pratique de cette belle intention.
Les premières limites portent sur le champ d’application. Les entreprises de moins de 50 salariés (la majorité du salariat) ne sont pas soumises à l’obligation d’action. Les autres pourront aussi y échapper si elles n’ont pas « une proportion minimale de salariés exposés » à la pénibilité, fixée à 50 % de l’effectif. Les salariés à temps partiel seront comptabilisés en proportion de leur temps de travail. Et, en tout état de cause, il reviendra à l’employeur de « déterminer » le nombre de salariés exposés qu’il emploie. Deuxième série de limites : les facteurs de pénibilité retenus sont les mêmes que ceux qui ont été fixés pour le décret réparation, soit contraintes physiques marquées, environnement de travail agressif, rythmes de travail susceptibles de laisser des traces irréversibles sur la santé. Or, souligne-t-on à la CGT, la mise en œuvre d’une politique de prévention appelle la prise en compte d’une liste plus large de facteurs de pénibilité, car il ne s’agit pas seulement de s’attaquer à ce qui, dans le travail, entraîne incapacités, diminution de l’espérance de vie, mais à tout ce qui dégrade les conditions de travail et pèse sur les salariés, sans avoir de si lourdes conséquences.
Aucune obligation de résultat n’est imposée
D’autre part, le décret donne une large possibilité de choisir entre les thèmes à traiter. Si bien, par exemple, que l’amélioration des conditions de travail, en particulier de l’organisation, pourrait ne pas être retenue dans l’accord d’entreprise ! De même, l’employeur aura toute latitude de préférer rédiger, de manière unilatérale, un « plan d’action » plutôt que de négocier un accord avec les syndicats. Et, en tout état de cause, aucune obligation de résultat ne lui est imposée.
Quant à la pénalité prévue (1 % de la masse salariale), en cas de non-respect de ces très modestes « obligations », les entreprises pourront y échapper simplement en invoquant une « défaillance », de type « difficultés économiques », « restructurations ou fusions en cours »… Bref, ce qui était présenté, en 2010, comme une contrepartie au recul de l’âge de la retraite s’effondre comme un château de cartes : la loi contraint à travailler plus longtemps sans donner de véritables moyens de s’attaquer à la pénibilité de ce travail.