L’Humanité, mardi 31 Mai 2011
La prud’homie en danger
Il y a quelques mois, à Londres, étaient réunis des praticiens du droit du travail, notamment juges des prud’hommes. Ils voulaient comparer les systèmes de conciliation, de médiation et d’arbitrage dans cinq pays au sein de l’Union.
Nos amis italiens avaient alors attiré notre attention sur les dangers de leur système qui rend la justice du travail moins accessible. Aujourd’hui, ces dangers se concrétisent pour nous aussi avec la publication de la loi n° 183 du 4 novembre 2010. Ce texte est conforme aux préconisations de certains rapports publiés en France. Leurs auteurs recommandent de faire appel à des institutions privées, d’arbitrage ou de médiation, pour se substituer aux dysfonctions alléguées de nos conseils de prud’hommes.
Nous sommes en droit désormais de nous interroger sur la volonté gouvernementale. La chancellerie et le ministère du Travail veulent-ils pérenniser la juridiction prud’homale ou l’étouffer ? Elle est délaissée en moyens budgétaires de modernisation et en investissements en personnel de greffe.
Les alertes que nous avons signalées dans le passé ne semblent pas émouvoir ceux qui sont responsables de cet état de fait. Cela ne les prive pas, pour autant, de dénonciations quant aux délais déraisonnables entre l’enrôlement des dossiers et les dates de jugement.
Les règles bureaucratiques de contrôle des dépenses générées par l’avance aux entreprises des salaires maintenus des juges prud’hommes salariés aggravent le sentiment d’injustice des conseillers consciencieux.
La chancellerie ne peut ignorer qu’elle paralyse ainsi la gestion des flux de dossiers qu’elle prétend vouloir réguler. Qui s’étonnerait alors des projets visant au contournement du juge judiciaire au profit de systèmes « à l’italienne » ?
La conciliation ne jouerait plus le rôle d’audience initiale avec mise en état et éventuelle condamnation provisionnelle. En décourageant le justiciable par des délais qu’occasionne cette gestion de la pénurie, on applique cette vieille méthode qui veut que pour noyer son chien on dise qu’il a la rage.
Il suffit de prendre connaissance des délais scandaleux qui sont en cours dans certaines juridictions, comme le conseil des prud’hommes de Nanterre, pour s’interroger sur les véritables intentions du pouvoir. Dès lors, la mobilisation qui a accompagné la réunion du conseil supérieur de la prud’homie qui s’est tenue le jeudi 25 mai à Paris ne doit être qu’une étape du rassemblement de tous ceux qui sont attachés à la défense de l’institution prud’homale.
Par Bernard Augier, représentant de la CGT au Conseil supérieur de la prud’homie, et Tiennot Grumbach, avocat.