Hier soir, sur les deux principales chaines de télévision, le chef de l’Etat s’est exprimé pendant une heure quinze. C’est un président-candidat qui s’est adressé aux Français. A quoi bon s’en étonner : depuis son élection, a-t-il pensé à autre chose qu’à sa réélection ?
M. Sarkozy a posé les jalons de sa future campagne : la dénonciation des « profiteurs d’en haut » (les banquiers et les traders) et des « assistés d’en bas » (ceux qui attendent les allocations plutôt que d’aller travailler) pour reconquérir les catégories populaires et les classes moyennes précarisées, la rigueur budgétaire pour séduire les élites économiques et médiatiques, la promotion de l’Europe en même temps que la dénonciation de sa naïveté pour réconcilier le « Oui » et le « Non » traité constitutionnel de 2005, la stigmatisation des socialistes de 1983 (retraite à 60 ans) et de 2001 (35 heures) pour unifier la droite, le refus des régularisations de sans-papiers pour plaire aux électeurs du Front national, l’éloge des compromis par-delà les clivages partisans pour maîtriser les déficits afin de flatter les centristes – tout y était. Nous, socialistes, savons désormais le paysage idéologique dans lequel s’inscrit le Sarko nouveau : « moins d’assistanat et plus d’investissement, c’est la martingale du futur ». J’aurai évidemment l’occasion d’y revenir dans les semaines qui viennent puisque nous allons maintenant rentrer dans le dur de 2012.
Pour l’heure, je m’en tiens à une remarque : l’opération d’enfumage du futur candidat UMP ne peut réussir qu’à la condition que les Français oublient l’échec du président sortant. Tout le pari de Sarkozy est là : que la crise soit si douloureuse, si profonde, si angoissante pour les citoyens qu’ils en oublient la responsabilité de ceux qui conduisent le pays depuis 2002.
Qui est responsable de la situation ?
A écouter le chef de l’Etat, pêle-mêle ses prédécesseurs socialistes – qui ont quitté les ministères il y a dix ans –, ses successeurs socialistes – qui ne pourront les investir que dans six mois –, les gouvernements qui se sont succédé depuis 1974 sans jamais équilibrer une loi de finances, les Etats-Unis qui ont mis en faillite Lehman Brothers et déclenché la crise financière, les Grecs qui n’auraient pas dû être autorisés à intégrer la zone euro, chacun de nous, au fond, qui nous sommes habitués à un modèle social qui indemnise les chômeurs, soigne les malades et finance les retraites après une vie de travail.
M. Sarkozy, lui, n’est responsable ni comptable de rien. Ministre de l’Intérieur en 2002, ministre des Finances en 2004, re-ministre de l’Intérieur en 2005, président de la République depuis 2007, il parle comme s’il venait d’arriver aux responsabilités et découvrait l’état calamiteux du pays.
Alors, pour éviter l’amnésie collective – la meilleure alliée de la droite en échec –, rappelons ici quelques réalités :
1. Les déficits publics étaient de 1,6 % du PIB en 2001, de 7,1 % en 2010 et ils seront de 4,6 % en 2011 au prix d’une double lame d’austérité – l’une votée dans le projet de budget, l’autre annoncée hier soir pour l’après G20 – qui va plomber l’investissement des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages.
2. La dette se montait à 912 milliards d’euros en 2002 et elle sera de 1800 milliards à la fin de ce quinquennat, dont 560 milliards directement imputables à la présidence Sarkozy.
3. Les comptes de la Sécurité sociale avaient été rétablis entre 1997 et 2001 ; ils accusent aujourd’hui un déficit supérieur à 25 milliards d’euros.
4. La croissance que le candidat Sarkozy avait promis d’aller chercher « avec les dents » était de 1,9 % en 2007 et sera inférieure à 1 % en 2012.
5. Alors que le dernier excédent commercial de la nation remonte à 2002 – après cinq ans de politique économique de gauche –, le déficit du commerce extérieur se chiffre désormais à près de 70 milliards d’euros.
6. Enfin, depuis qu’il est élu, le président, qui avait promis de ne pas augmenter les impôts, a multiplié les suppressions de niches fiscales et sociales pour ses clientèles électorales, ainsi que matraqué de taxes les ménages, les entreprises ou les collectivités locales. Au total, de 43,6 % en 2007, le taux de prélèvements obligatoires passera à 44,5 % en 2012 selon Bercy.