Comment combattre l’escroquerie statistique ?
En 2009, notre collectif de statisticiens et de chercheurs démontrait comment le gouvernement Sarkozy n’hésitait pas à tordre la statistique pour justifier son action sur différents thèmes (pouvoir d’achat, délinquance, immigration, chômage, pauvreté). Nous alertions notamment sur la possible divergence, à terme, entre l’indicateur adopté par le gouvernement pour suivre l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté sur cinq ans (le taux de pauvreté « ancré dans le temps ») et l’indicateur communément retenu (le taux de pauvreté relative), en France par l’Insee et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, ainsi qu’au niveau européen (Eurostat). En période de relative croissance économique, l’indicateur gouvernemental baisse en effet mécaniquement – comme on pouvait déjà à l’époque le constater sur le passé – ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’indicateur de pauvreté relative utilisé internationalement.
Trois ans après la publication de cette alerte à l’escroquerie statistique, la diffusion du rapport 2011 du gouvernement sur « Le suivi de la baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans » confirme cette crainte. Roselyne Bachelot n’hésite pas en effet à s’appuyer sur l’indicateur biaisé de pauvreté ancrée dans le temps, qui est passé de 13,1 % en 2006 à 11,8 % en 2009 pour se féliciter de l’action menée par le gouvernement pour lutter contre la pauvreté. Ce qui est en contradiction flagrante avec le constat dressé par l’Insee qui souligne, au contraire, dans ses récentes publications, une hausse significative (de 13,1 % en 2006 à 13,5 % en 2009). Avec cette approche biaisée, le gouvernement fait sortir de la pauvreté plus d’un million de pauvres, pas moins !
Roselyne Bachelot n’hésite pas non plus à mélanger les deux indicateurs pour soutenir que la France aurait fait mieux que l’Allemagne, qui a enregistré une hausse de la pauvreté (13 % en 2005 contre 15,5 % en 2010 selon elle ). La ministre des Solidarités sait pertinemment qu’en comparant ces deux pays elle utilise pour la France l’indicateur contesté du taux de pauvreté ancré dans le temps et pour l’Allemagne celui du taux de pauvreté relative. La manœuvre est (trop) grossière pour passer inaperçue. Elle ne manquera pas cependant de semer une certaine confusion dans l’opinion publique. En choisissant de placer en position « centrale » cet indicateur biaisé pour le suivi de la pauvreté, Martin Hirsch ne pouvait ignorer ce risque. C’est à l’évidence un mauvais coup pour la démocratie. La lutte contre la pauvreté est une question trop sérieuse pour qu’on la réduise à une bataille de chiffres. Elle exige un débat de fond sur des questions essentielles (l’accès à l’emploi, au logement, à la santé, à l’éducation,) que la polémique lancée par le gouvernement tente d’esquiver.
Au-delà de ces pitoyables manipulations dont l’objectif est de légitimer la politique du président Sarkozy, qu’en est-il de l’objectif de réduction de la pauvreté en France et en Europe ? Dans les deux cas, il est clair que les deux cibles ne pourront être atteintes, quel que soit l’indicateur retenu. En période de relative prospérité économique, l’indicateur de pauvreté ancré dans le temps baisse mécaniquement, mais ce n’est plus le cas en période de crise et de retournement économique. Les cures d’austérité que les gouvernements français et européens tentent d’imposer à leurs populations ne peuvent qu’accentuer les risques de récession et aggraver la situation des populations les plus vulnérables. Ces manipulations statistiques confirment que le gouvernement n’hésite pas à utiliser toutes les ficelles, aussi grosses soient-elles, pour tenter de convaincre une opinion publique qui, à quelques mois des élections, ne peut que constater les désastres des politiques menées.
Par lorraine data, pseudonyme collectif de statisticiens et chercheurs.