Conférence de Durban : l’avis d’un économiste

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2011/11/conf%C3%A9rence-de-durban-lavis-dun-%C3%A9conomiste.html

La Conférence de Durban (Afrique du Sud) marque le retour du dossier climat dans l’agenda diplomatique international. Cette 17ème conférence des parties (COP) des États signataires de la Convention Climat de l’ONU initiée à Rio de Janeiro en 1992, s’inscrit dans un long processus.
Qu’en attendre après le flop retentissant mais prévisible de la Conférence de Copenhague en décembre 2009 ? C’est la première des questions auxquelles répond ci-dessous Jean-Charles Hourcade dans cette interview réalisée juste avant son départ pour Durban. Économiste, directeur du Centre international de recherches sur l’économie et le développement (CIRED), il participe à la Conférence de Durban comme membre de la délégation française. Spécialiste de l’économie du changement climatique, il est l’auteur de nombreux articles sur ce sujet et à participé aux travaux du groupe 3 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Que peut-on attendre de la Conférence de Durban ?
Jean-Charles Hourcade : Peu de choses spectaculaires. Durban intervient dans un contexte particulièrement défavorable avec une administration américaine bloquée par un Congrès hostile, une Europe polarisée sur la question de la dette et la fragilisation de l’Euro. D’où l’absence de leadership sur la question du climat. Un tel leadership viendra peut-être à l’avenir des BRICS (Brésil, Inde, Chine Afrique du Sud) mais Durban vient trop tôt pour eux. Cette conférence n’est pas pour autant inutile. Elle doit concrétiser les acquis de celle de Cancun en décembre 2010 : la nécessité d’un «changement de paradigme» de la négociation, ne plus se focaliser sur la répartition plus ou moins équitable d’un budget d’émission donné, considérer qu’une lutte ambitieuse de prévention du changement climatique constitue un point d’appui pour garantir un développement soutenable. Derrière le langage diplomatique, c’est de finances il s’agit. Durban ne peut produire des solutions immédiates mais une dynamique de négociations pouvant, à horizon proche et dans un contexte politique un peu moins défavorable, déboucher sur un accord sur ce point très sensible.
Faut-il s’occuper du climat malgré la crise financière ?
Jean-Charles Hourcade : C’est un des nœuds du problème. Aujourd’hui,les gouvernements et les opinions publiques sont obnubilés par la dette et le chômage. Or, le dossier climat a été traité par les médias comme une affaire d’environnement voire un «truc pour écolos».  Il ne peut que passer au second plan pour un temps surtout qu’une partie de l’option publique occidentale a été touchée par les «marchands de doute» sur ses fondements scientifiques. On est loin de l’ambiance de 2007 ou les candidats se croyaient obligés, devant l’efficacité médiatique de Nicolas Hulot, de s’engager sur une taxe carbone ! C’est pourtant paradoxal puisque, derrière la crise financière, il y a la crise d’un mode de développement fondé sur l’illusion d’une énergie abondante, peu chère et non génératrice de tensions politiques, un illusoire «commerce des promesses» et une financiarisation des économies. Cette financiarisation a conduit à la bulle immobilière et à l’éclatement urbain de même qu’à la transformation des matières premières en produits financiers. Autre paradoxe: la transition énergétique exigée par le dossier « climat », mais aussi pour éviter un XXIe siècle de tensions et de conflits armés autour de l’énergie et des matières premières, fournit un excellent support pour une relance économique riche en emplois (énergie, transports, bâtiments, nouveaux matériaux) qui éviterait que la «gestion rigoureuse» imposée par la crise de la dette ne nous enferme dans un mortel cercle récessif. La façon désastreuse dont a été gérée la taxe carbone montre le déficit d’information et de débats politiques articulés sur ces sujets. Pourtant c’est bien parce qu’il y a crise financière et de l’emploi, qu’on devrait débattre de la fiscalité carbone et de la finance carbone comme d’utiles éléments de réponse.
Est-ce que le Protocole de Kyoto est mort au sens où il est désormais trop tard pour qu’à son terme, en 2012, il soit poursuivi par un texte de même nature ?
Jean-Charles Hourcade : Il faut s’entendre sur les mots. S’il s’agit du Protocole de Kyoto tel qu’il a été interprété dans beaucoup de milieux – des engagements quantifiés sur des quotas d’émissions de gaz à effet de serre, engagements conduisant à l’établissement d’un marché mondial de permis d’émission négociable – un tel Protocole n’a aucune chance d’être adopté : les USA, les Chinois, les Indiens et les Russes pour s’en tenir aux partenaires majeurs en dehors de l’Union Européenne, ont bien fait savoir qu’il n’en était pas question. Leurs raisons en sont bien différentes mais, c’est évident depuis la mi-temps des années 2000. En revanche, les principaux pays en développement, et bien sûr l’Europe, insistent sur les acquis de Kyoto, et vont faire pression pour qu’il y ait une suite. Il y a pour eux, et particulièrement pour la Chine, des enjeux diplomatiques qui sont très souvent sous-estimés. La question du financement sera décisive. On pourrait imaginer des engagements non contraignants mais plus précis que les annonces vagues de Copenhague, des mécanismes de suivi international, et la mise en place de mécanismes financiers favorisant les investissements dans des projets «bas carbone» en particulier dans les infrastructures. Il est trop tôt pour juger de ce qui peut se passer vu l’instabilité économique et politique que nous traversons. Tout va se jouer sur la capacité des gouvernements à ne plus traiter l’affaire climatique comme séparé de la réforme du système financier international, de la sécurité énergétique, de la recherche des modalités d’un développement soutenable pour tous,… ce qui constitue en réalité la lettre et l’esprit de la Convention Climat.
Pourquoi tant de difficultés à traduire les principes de la Convention climat en politique concrète ? Pour vous, les gouvernements ne veulent pas ou ne peuvent pas conduire des politiques permettant d’éviter un changement climatique majeur ?
Jean-Charles Hourcade : L’erreur majeure consiste à avoir oublié les principes de la Convention, qui remonte à la conférence de Stockholm en 1972 : le dossier climat ne pourra être résolu que dans une perspective de développement soutenable. Le changement climatique n’est pas une question d’environnement séparable du reste ; c’est un révélateur du «mal développement», les conséquences de long terme de notre mode de croissance. Dès lors, c’est en liant les problèmes d’aujourd’hui (pauvreté, chômage, sécurité énergétique) aux politiques climatiques qu’on pourra mobiliser les acteurs économiques et sociaux autour d’un enjeu de long terme. Ce n’est pas en en faisant un dossier séparé du cœur des politiques économiques et sociales, voire quelques lignes programmatiques pour répondre aux sensibilités écologiques de l’opinion publique. Le ratage de la taxe carbone en France est symptomatique : elle était présentée comme une urgence environnementale puis caricaturée comme une concession de Sarkozy à Nicolas Hulot. Or, comme le disait très bien le rapport Rocard, il s’agissait d’abord d’un recyclage de la taxe pour disposer une fiscalité plus favorable à l’emploi. Mais pour cela il fallait négocier la taxe carbone avec les syndicats et tous les acteurs sociaux. Paradoxalement, et je reviens aux BRICS, c’est en nous imposant de revenir à la problématique du développement soutenable que ces pays nous forceront à sortir de cette schizophrénie et à briser le cercle infernal d’échecs diplomatiques répétés.
Des voix s’élèvent pour contester le risque social et économique que représente le changement climatique, comment l’évaluez-vous ?
Jean-Charles Hourcade : Je ne veux pas en rajouter sur « l’alerte climatique », le registre qui permet aux marchands de doute de trouver une audience. Il faut se rappeler que les «Cassandre» ne sont jamais écoutées. Lorsque le coût réel du changement climatique deviendra « chiffrable » dans une approche coût/bénéfice d’économiste classique, il sera trop tard pour agir. Prenons une image. Si vous êtes dans un col de montagne, où il est possible qu’une plaque de verglas surgisse au prochain tournant vous avez intérêt à tapoter la pédale de frein pour être à même de freiner vite si vous voyez une surbrillance de mauvais augure. bien sûr vous pouvez écouter votre voisin qui vous dit « t’inquiètes pas, fonces » mais au risque de vous retrouver dans le ravin. Ceux qui nient le risque climatique supposent que, s’il y a du verglas, le conducteur sera tellement habile qu’il fera un magnifique dérapage contrôlé. Le problème c’est que nos sociétés ne ressemblent pas à cet habile conducteur. Elles sont souvent divisées, préoccupées par d’autres urgences et leur personnel politique est souvent myope. C’est pourquoi les adaptations au changement climatique ne se font pas dans la lucidité et la solidarité. Nos «marchands de doute», aidés en cela par les «prophètes de malheur», interdisent un débat lucide sur la façon d’agir quand on ne peut le faire «en toute connaissance de cause». Le changement climatique sera un facteur puissant d’aggravation de tensions préexistantes dans nos sociétés et un révélateur de leur difficulté à agir de façon solidaire.
Est-ce raisonnable de considérer que l’on puisse contenir les émissions de GES puis les diminuer de manière importante sans toucher aux structures économiques et sociales actuelle et pas seulement en jouant sur les technologies ?
Jean-Charles Hourcade : La vague d’innovations technologiques nécessaire pour contenir les émissions de gaz à effet de serre ne viendra pas, comme on peut hélas l’entendre, d’un simple renforcement de la recherche-développement. Favoriser l’investissement en technologies «bas carbone» c’est d’abord toucher à la dictature de la valeur boursière qui s’est imposée depuis deux décennies comme ultima ratio de la gestion des entreprises, et c’est réduire autant que faire se peut la financiarisation des marchés de l’énergie et des matières premières. C’est aussi, s’agissant des infrastructures urbaines, réformer le marché de l’immobilier devenu valeur refuge pour l’épargne des classes moyennes et supérieures ; la hausse du prix du mètre carré pousse en effet à un éclatement urbain qui rend illusoire un recours massif aux transports en commun. Mais cesser de faire de l’immobilier une valeur refuge touche à la question des retraites et de leur financement.  Il faut revenir aux questions de fiscalité carbone, de finance carbone, donc à des éléments centraux de nos structures économiques. Mais au-delà, on ne peut enclencher ces mutations sans émergence de nouvelles façons de se transporter, de se localiser et de consommer. On entend monter des appels vertueux, légitimes et dignes d’intérêt à plus de sobriété. On voit bien le problème sinon l’impasse ; l’appel à la sobriété peut, et devrait être entendu par un cinquième de la population occidentale qui a de quoi s’interroger sur sa «surconsommation». Mais il ne peut qu’être rejeté par les populations pauvres et par les couches moyennes fragilisées de nos pays où les couches moyennes émergentes des pays en développement. Faire comprendre qu’il y a d’autres façons d’être riche renvoie bien sûr des enjeux anthropologiques profonds et à la vision de l’épanouissement humain. Mais attention à une fuite vers un discours éthique qui oublierait que le mode de consommation actuel résulte de choix consommateurs fortement orienté par les grands circuits de distribution et les images de marketing que nous aimons tant regarder même si nous les critiquons. Surtout, aucun discours sur la «sobriété» n’est légitime dans une société qui ne remettrait pas en cause la tendance forte à des inégalités croissantes.
Ici le texte de la Convention Climat de l’ONU (en français) de 1992.
Le texte du Protocole de Kyoto (en français).
► ici une longue note sur les sciences du climat.
► Le lièvre et la tortue, la fable appliquée au dossier climatique.
► Les températures mondiales en octobre 2011.
► Le bilan des émissions de gaz à effet de serre en 2010.
► Le réchauffement confirmé par le Berkeley Group.
► un panorama des publications scientifiques de l’été dernier sur le climat.
► La réponse du Cnrs à Claude Allègre.

Posts created 1543

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut