Assis face à l’oracle, Nicolas écoutait sans broncher. Quel débris ! Pour moi et pour lui, que de patience ! Pleurer sur soi se disait-il. A ce stade, les professeurs sont de pauvres professeurs. Dans l’ambiance feutrée, il écarta d’un geste le garçon de café venu prendre la commande. Saturé de tous liquides. Non, aujourd’hui, il ne s’attarderait pas. Aussitôt remis les documents à Laurier, il repartirait avec trois nouvelles questions à démêler. Plutôt des énigmes. Qu’il faudra résoudre ou pas.
Au vrai, vous n’êtes responsables de rien ou de pas grand-chose. Vous êtes, pour la plupart, nés, comme on disait autrefois, avec une cuillère d’argent dans la bouche. Vos langes venaient déjà de vos grands-parents. Oui, je sais, c’est vrai ou faux selon les cas. Ce solennel sentencieux de Pierre Bourdieu vous a bombardé Héritiers. Même si vous n’en êtes pas, vous l’êtes. Pour chacun, dans un genre différent. Votre principale qualité : être toujours du côté du manche. Ce qu’un autre nommait les superbes et qu’il confrontait aux autres, qu’il appelait les humbles. Oui, que vous le vouliez ou non.
La malédiction de votre mise au monde (ce que les Espagnols appellent avec bonheur la mise à la lumière) est là : vos parents étaient trop ambitieux. Or l’espérance leur manquait. Tuée dans l’œuf à cause de leur patiente médiocrité. Je sais que ce que je dis là, sera qualifiée de pensée de droite. Ce sera l’avis des autres ! A mon âge, pensez si je m’en fiche. Et toi aussi, je le sais. De tout ça, moi, de tes parents et de ce qui pourra advenir.
Jeunes gens, on vous verra dans quarante ans. Serez-vous encore admis sur le Forum ? Y serez-vous toujours en vogue ? Je réponds oui, et aussi impitoyables. Je vous juge avec sévérité parce que je vois en vous de la mauvaise graine. Celle qui donne le mauvais blé. Vous avez mille fois raison de manifester contre le blé Monsanto ; vous y voyez une véritable concurrence.
Le tout dans la vie, vois-tu Nico, c’est de ne pas se tromper d’ennemi. Tout est là. Le cœur de cible comme on dit dans les écoles de commerce. Ce pourquoi vous voulez tous y aller, vous et vos parents. Pour savoir où il va falloir viser. Là-bas, on vous adore, d’abord parce que vous êtes bons clients, mais aussi parce ce qu’on vous y enseigne ne vous apprendra rien. Ce monde de demain, vous y êtes déjà. Vous en constituez l’essence.
Nicolas Pouzzoles ne répondait rien. A quoi bon ? On l’aurait surpris en lui démontrant qu’il portait une réelle affection à ce satirique professeur. Ce clown n’était ni vieux ni triste. Devant sa bière, il attendait qu’on lui apporte son costume de Père Noël ou de saint Nicolas. Après quoi, il distribuerait autant de coups de martinet que de friandises aux enfants des écoles. Son drame : constater que sa vie n’avait donné lieu à rien dont il puisse être fier. Ni même content. Ce jour là, il affectait d’en être inconsolable.