Rage sur ring

Le Rive Gauche présente Raging Bull, une création de Caliband théâtre mettant en scène
un comédien, un danseur hip-hop et un musicien électro. Une oeuvre hybride inspirée
de la vie du champion du monde de boxe Jake LaMotta. Quand la culpabilité se
loge dans le cuir des
gants de boxe, elle cogne
avec rage pour mieux
s’exposer aux coups. Dans la langue
de Jake LaMotta, petit voyou blanc du
Bronx, cette colère auto-destructrice a
pour nom Raging Bull (Taureau furieux).
Pour beaucoup, c’est un nom mythique
sur une affiche, celle du film de Martin
Scorsese. Mais, de cette rage quasianimale,
le cinéaste américain n’avait
qu’affleuré les sombres origines, malgré
une image en noir en blanc où sang et
sueur se confondent dans une tonalité
très « film noir ».
Ce sont ces origines-là, poisseuses et
tragiques, dont s’est emparé Mathieu
Létuvé pour créer son propre Raging Bull
sur la scène du Rive Gauche. « L’enfance
de LaMotta est une clé pour comprendre
la rage qui l’animait », lâche le comédien
et metteur en scène sans vouloir révéler
les causes de cette culpabilité aux
83 victoires dont 30 par KO. « C’était
d’abord une lutte contre lui-même,
contre la culpabilité. »
Il faudra voir le spectacle pour comprendre
pourquoi LaMotta encaissait les
coups, jusqu’à en épuiser ses adversaires
les plus coriaces. Un spectacle
« hybride », prévient Mathieu Létuvé,
où le comédien incarne tous les personnages,
dialoguant avec un danseur, sous
le flow d’un musicien électro. « Ils vont
chercher dans la grammaire du hip-hop
pour répondre au récit », indique-t-il.
Le Raging Bull de Mathieu Létuvé n’est
pas un « remake » théâtral du film de
Scorsese mais une création directement
inspirée de l’autobiographie du « vrai »
LaMotta aujourd’hui âgé de 92 ans. Un
livre (publié en français aux éditions
13e Note) dont le titre Raging Bull est
certes devenu célèbre grâce au couple
Scorsese-De Niro, mais dont la paternité
est bel et bien à porter au crédit littéraire
de LaMotta et consorts.
« Une confession brute qui m’a touché »,
confesse le même Mathieu Létuvé qui
reconnaît « quelque chose de monstrueux
» dans ce Jake LaMotta des
bas-fonds du Bronx. Une monstruosité
qui ne pouvait que fasciner la compagnie
Caliband théâtre, dont le nom renvoie
au personnage difforme et vil de
La Tempête de Shakespeare, pièce
montée par la troupe et jouée au Rive
Gauche en 2011.
Mais c’est le personnage de LaMotta qui
intéresse en premier lieu le metteur en
scène. La boxe n’est ici qu’« une toile
de fond », confie-t-il. LaMotta n’a que
16 ans quand il découvre la boxe en prison,
sous la férule d’un curé. « Raging
Bull est une histoire de rédemption. » Qui
a vu le film de Scorsese ne s’en étonnera
pas, le thème imprègne l’oeuvre du
cinéaste. On l’aura cependant compris,
contrairement au film, le ring ne sera
dans ce Raging Bull-ci que le cruel
théâtre d’un drame où les coups meurtrissent
l’âme.
Pourtant, la boxe n’est pas un art étranger
à Mathieu Létuvé. Le comédien a
pratiqué le noble art et a remis les gants
à l’occasion de la préparation du spectacle.
« Je voulais créer un écho entre le
théâtre et la boxe. » Dont acte. Mathieu
est allé trouver le Ring stéphanais. Une
rencontre qui a emballé Nathalie Hellin,
secrétaire du club de boxe. « L’artiste sur
scène est nu comme un boxeur, dit-elle.
Sur le ring comme sur scène, on est seul
face au public, on n’a pas intérêt à rater
sa prestation. » Quant à Jake LaMotta,
Nathalie Hellin ne le connaît qu’à travers
le rôle de De Niro. Le vainqueur de
Marcel Cerdan ne compte pas parmi les
légendes de la boxe. « LaMotta n’est pas
un exemple de bon boxeur, reconnaît
Mohamed El Karraz, président du Ring
stéphanais. Mes références sont plutôt
Sugar Ray Léonard ou Mohamed Ali. »
Pour Mohamed El Karraz, les « encaisseurs
» comme LaMotta s’exposent
trop aux problèmes neurologiques pour
forcer le respect. « Ce que j’apprends
à mes boxeurs, c’est que la meilleure
attaque, c’est la défense », précise-t-il.
Même si, aux qualités premières d’un
bon boxeur, « la discipline et l’hygiène de
vie », s’ajoute « la rage », concède-t-il.
La rencontre entre Caliband et le Ring
stéphanais fait toutefois écho avec
LaMotta. C’est le Rouennais Affif Djelti
qui entraîne le Ring stéphanais. Comme
LaMotta, l’homme est champion du
monde. Quatre fois, dans la
catégorie des super-plumes,
trois fois d’Europe et six fois de
France. Affif Djelti est cependant
aux antipodes du « style »
LaMotta, le premier boxant
dans l’esquive, quand le second
encaissait. « Si tu veux gagner,
ne cherche pas à détruire,
construis ta victoire », clame
Affif Djelti. Une devise qu’aura
finalement fini par comprendre,
en son temps, le champion du
Bronx. Il conclura les dernières
pages de son autobiographie
en des termes similaires : « Je
me battrai pour bâtir, non pour
détruire. » Comme quoi, la
rédemption peut elle aussi se
loger dans des gants de cuir.

DU RING À LA SCÈNE
Une collaboration s’est nouée entre Le Rive Gauche, le centre socioculturel Georges-Déziré et le Ring stéphanais, via le spectacle "Raging Bull" de Caliband théâtre. Vendredi 9 janvier, le centre socioculturel Georges-Déziré projettera le film de Martin Scorsese à 19h (durée: 129 minutes, à partir de 15 ans, entrée gratuite sur réservation au 02.35.02.76.90). La projection sera suivie du vernissage de l’exposition de Yann Cielat qui a photographié les boxeurs du Ring stéphanais. Samedi 10 janvier, des extraits de la pièce de Mathieu Létuvé seront donnés aux adhérents du club de boxe et du centre socioculturel Georges-Déziré.

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