1er mai : un militant antifasciste dans le cortège FN raconte

(Trouvé dans les Inrocks)

Au défilé du FN, il y a des frontistes, mais pas que. Des militants d'extrême-gauche se glissent dans la manif pour soutirer des infos et à l'occasion nous raconter leur journée. L'un d'entre eux a passé un 1er mai undercover sous le pseudo de Sacha Iskander. 

En laissant traîner mes oreilles, j’ai entendu un tas de choses dithyrambiques sur Marine Le Pen : “elle est belle”, “on est tous amoureux d’elle”. Elle vivait son premier défilé de présidente du Front national et le dernier avant la présidentielle.

Elle avait prévenu qu’elle ne voulait pas voir de skinheads, mais son opération nettoyage, c’est du flan. Pour l’habillage, il faut montrer que le FN est un parti respectable, raisonnable, “un parti comme les autres”, mais Marine Le Pen a besoin de garder des liens avec l’extrême-droite radicale. Elle en est prisonnière et complice. Une élection se gagne aussi avec des gens qui collent des affiches, vont sur le terrain, occupent la rue.

Piocher les infos au plus près

Ma première fois, c’était en novembre 2006, à la fête des Bleu-blanc-rouge. Forcément, on surveille leur presse, leurs sites, mais le but est de piocher des infos au plus près : voir s’il y a du monde, jauger les groupuscules, les familles politiques en présence, qui ils mettent en avant. On y va pour récupérer du matos, faire parler des gens le plus possible. Une fois à l’intérieur, c’est open bar, tu fais partie de la famille.

Je me construis un personnage, jusqu’à présent jamais découvert. Lunettes de soleil, petit sweat, look passe-partout, rien de trop identifiable. Il faut apparaître le plus neutre possible parce qu’il y aura de tout : du MST (mocassin / serre-tête), du T-shirt Stooges et cheveux longs, jusqu’au crâne rasé à blanc. On doit se fondre dans le cortège, d’autant qu’on va en sortir, se mettre sur le côté, retourner avec d’autres groupes : il faut pouvoir se balader partout. Quand on repère un autre militant antifasciste, évidemment, on ne le connaît pas…

J’ai croisé Farid Smahi, exclu de la direction au dernier congrès du FN. D’habitude c’est costard et cortège présidentiel ; là blouson en jean, esseulé et la larme à l’oeil. Même s’il garde sa carte de militant, il a perdu sa place. Marine Le Pen était acclamée : “présidente”. Jean-Marie Le Pen : “président”. Bruno Gollnisch, lui, passait presque inaperçu avec trois mecs du DPS (le service d'ordre du FN). La bataille est finie, on rentre dans le rang.

“Le social, c’est le Front national”

Le 1er mai c’est la fête du militant FN : presque leur seule manif dans l’année. Il devait y avoir 3000 personnes. Un gros cortège présidentiel avec beaucoup plus de journalistes que d’habitude et le service d’ordre en costard, très virulent quand ils devenaient envahissants. Sollicités par le DPS, quelques radicaux sont venus renforcer le carré de tête.

Ensuite le cortège du Front national jeunesse, qui distribuait un T-shirt gratuit avec un flashcode pour iPhone. Tous les moins de trente ans étaient appelés à le rejoindre. Puis venait le Nord-Pas-de-Calais, le plus gros effectif des fédérations régionales. Annie Lemahieu, la virée de FO, trônait en tête avec une pancarte “exclue par mon syndicat”.

A part elle, la fanfaronnade sur les syndicats et les travailleurs tombait un peu à plat. On attendait un cortège spécifiquement syndical : rien qu'une pauvre banderole portée par Fabien Engelmann, (exclu de la CGT) et Thierry Gourlot de la CFTC.

A noter toutefois, la présence de plus de slogans axés sur la question sociale, peu utilisés auparavant : “le social c’est le Front national”, “la France aux travailleurs”, en plus des classiques “Français réveille toi, tu es ici chez toi” ou “Bleu blanc rouge, la France aux Français”.

Je me balade beaucoup, je trouve un moyen d’engager la conversation sur un vêtement, un sigle, un petit événement. Ça me permet de passer le temps en compagnie de quelqu’un, de discuter. Il ne faut pas seulement poser des questions, mais aussi montrer qu’on est curieux et qu’on connaît des trucs. Mais pas trop, sinon ça fait le mec expert qu’on ne connaît de nulle part.

Les skins s’étalaient un peu partout, bien lookés. On reconnaissait les marques habituelles : du Fred Perry, du Lonsdale, du Harrington, jean serré Adidas aux pieds, deux-trois treillis, des tatouages, et quelques boucles de ceinture 88 ou croix celtiques, que le DPS allait demander discrètement de cacher sous les T-shirts. Le FN veut garder ces petits jeunes sous la main, sinon ils pourraient ne pas voter.

On sentait de l’espoir : “ça va venir”, “les gens en ont marre”. Ils ont 2012 en tête. “On sera peut-être pas premiers du second tour, mais on y sera et on gagnera en 2017.” Seul le FN était visible ; les membres d’autres groupes respectent la tête de gondole électorale et se rattraperont au 9 mai.

J’ai aperçu le Mouvement d’action sociale (groupuscule partisan de la mouvance autonome et enracinée), Serge Ayoub, le GUD en blouson de cuir et lunettes noires, des militants du Parti solidaire français. Mais ils ne distribuaient pas de tracts et n’affichaient pas leur appartenance.

J’ai écouté les dix premières minutes du discours, après je devais partir. Il est important de réussir sa sortie, sans se faire repérer ni pister. On me dévisageait un peu plus que les années précédentes. Comme tout le monde est massé et qu’il y a un peu de passage à cause du Louvre, j’en profite pour me barrer en douce. Il y a eu pas mal de violences contre des militants dernièrement : des tabassages, des portes défoncées, un cocktail molotov sur un local…

Espionnage et contre-espionnage

Je vois ce genre d’opérations comme l’espionnage de mes ennemis politiques les plus chers. Je n’ai aucune sympathie pour les cadres, pour les idéologues. Par contre, je me suis déjà senti en empathie avec le public, dans un meeting à Hénin-Beaumont. Une empathie sociale. Marine Le Pen a ému la salle entière sur ces usines fermées et transformées en lofts pour bobos “qui veulent faire peuple”. On sentait une fierté ouvrière incroyable, qui frissonnait de plaisir en écoutant cette fille de milliardaire.

Ces gens-là ont raison d’être en colère et d’en vouloir à plusieurs dizaines d’années de politique antisociale. Sauf qu’ils se trompent de colère, se trompent d’ennemi, et se font berner. Ça me fait mal au coeur de voir ma classe sociale se faire berner. Je ne peux pas dire “les gens qui votent FN sont des cons”, ce serait trop simple. Il ne faudrait pas leur parler ? On fait quoi, on les extermine ? Si j’y vais, c’est aussi pour comprendre pourquoi ça marche.

Cette année, les cortèges régionaux avaient plus de gueule. Pas un défilé de déambulateurs, plus divers en terme d’âges et de catégories sociales. Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit de nouveaux adhérents ou d’anciens remobilisés. J’ai rencontré une petite vieille BCBG qui me disait venir pour la première fois, prendre la température alors qu’elle votait UMP. Si Sarkozy a bien réussi à siphonner le FN en 2007, il rate son coup cette fois-ci.

En dépit du ripolinage, le fond programmatique du Front national reste le même : un parti antisocial, de droite révolutionnaire, qui nécessite une vigilance antifasciste permanente. Depuis 2002, clairement, on assiste à une banalisation du racisme, avec tout un travail de pollution lexicale. Assez peu de forces du mouvement social intègrent la dimension antifasciste dans leur militantisme, malgré un renouveau de la prise de conscience du danger ces derniers temps.

“Le racisme c’est pas bien” à la SOS Racisme a marché pour mobiliser, mais politiquement c’est un échec. S’appuyer sur le droit à la différence a ouvert la voie au différentialisme de la Nouvelle droite. Il faut repolitiser : les réponses doivent être politiques pour battre en brèche la préférence nationale et revendiquer de nouveau l'égalité des droits.

Chaque fois que je me retrouve dans une initiative d’extrême-droite, je me demande dans quelle mesure je m’habitue à ce discours. En fait je ne m’y fais pas, mais je suis blindé. Dans un cortège où tout le monde le fait, je dois crier “Marine présidente”, même si ça m’écorche les lèvres.

A d’autres endroits, tu as envie de vomir. Mais même face à un vrai négationniste, qui t’explique que Auschwitz c’est pas possible, tu dois rester le plus neutre possible. Les fachos viennent aussi aux réunions et manifs antifascistes, on fait de l’espionnage et du contre-espionnage. C’est de bonne guerre.

Sacha Iskander

 

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