Le commandant du Concordia dans la tourmente

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18/01/2012

On a du mal à y croire. La presse italienne, depuis le placement en garde-à-vue du commandant du Costa Concordia, se fait l’écho des premiers témoignages reçus sur le déroulement des évènements, vus depuis la passerelle. Qui, s’ils devaient s’avérer, font froid dans le dos, notamment sur l’attitude du commandant.
Une dizaine d’officiers de l’état-major a déjà été entendue par la justice italienne, après que le procureur de Grossetto ait ouvert une enquête préliminaire pour « homicides involontaires multiples » et « abandon de navire ». Le commandant et l’officier de quart au moment des faits sont toujours en garde-à-vue, un juge va prochainement se prononcer sur leur placement en détention provisoire. Ces infractions sont passibles de 15 ans de prison.
Les officiers du Concordia ont apporté de nombreux détails sur les évènements, et leurs témoignages ont fuité dans la presse italienne.

Le commandant voulait « montrer de quoi il était capable »

Si l’on en croit les témoignages, de l’avis général, le commandant de 52 ans, entré en 2002 chez Costa Croisières  comme responsable de la sécurité et promu commandant en 2006, était un « casse-cou ». Et il semblerait que, le soir du 13 janvier, il ait voulu se fixer un défi en frôlant l’île du Giglio. « Il voulait montrer de quoi il était capable », explique un des officiers. C’est lui qui aurait demandé à l’officier de quart de faire une route « d’accostage de l’île », avec un cap au 278° qui amenait le navire à 0.5 mille de la côte. A l’arrivée à proximité de l’île, le commandant serait monté à la passerelle et aurait demandé à prendre la manœuvre, passant la barre en manuel, devant les officiers présents et visiblement médusés.
21h42, impact. Selon les témoignages, le premier réflexe du commandant est de contacter l’unité de contrôle de la flotte de Costa. Ses officiers l’entourent et lui demandent ce qu’il faut faire. Il ne répond pas tout de suite, absorbé par son appel à la compagnie. Costa a confirmé ce coup de fil, précisant que le commandant avait signalé « un problème grave à bord mais qu’il a minimisé le problème en disant qu’il pourrait s’en sortir ».

Une procédure d’urgence est déclenchée par la compagnie à 22h05. Le commandant ordonne alors à son second de se rendre à la salle des machines. Celui-ci s’y rend et rappelle, affolé, la passerelle, en disant qu’il a « de l’eau jusqu’au cou » et que plus rien ne fonctionne, que les générateurs sont inondés, que les circuits électriques sont hors d’usage et que les pompes sont inopérantes.
A ce moment-là, tous s’attendent à un ordre d’évacuation de la part du commandant. Qui est toujours au téléphone, apparemment appelé par un des ses anciens commandants, résident du Giglio et qui aurait été prévenu par le maire de l’île de la situation du Costa Concordia. Le commandant ne répond pas à ses officiers, ni à son second qui, en courant dans les coursives se rend compte de la gravité de la situation.

Les secours prévenus par les passagers

22h07, la capitainerie de Livourne, qui coordonne les secours de la zone, est prévenue. Mais pas par le commandant. Ce sont les gendarmes, prévenus par la famille qui a reçu un coup de fil affolé d’une passagère se trouvant sur le pont avec son gilet de sauvetage, qui ont appelé les garde-côtes. Incroyable scénario dans lequel c’est la capitainerie qui est obligée d’appeler le navire. « Nous les avons immédiatement appelés. Ils nous ont dit qu’il s’agissait d’un black-out et qu’ils géraient la situation ». Le chef de quart de la capitainerie retrouve la position du navire, voit qu’il est beaucoup trop près de l’île, insiste auprès de son chef pour qu’on envoie des secours quand même. Le chef d’opération de la capitainerie prend les choses en main.
22h30, toujours pas d’ordre d’évacuation du navire. Les officiers se seraient rebellés. Ils auraient pressé le commandant de faire évacuer le navire, alors que celui-ci était, semble-t-il toujours au téléphone. Une mutinerie aurait alors éclaté et tous auraient décidé qu’ils répondraient dorénavant aux ordres du commandant en second. Celui-ci aurait décidé immédiatement de l’évacuation du navire, qui, entre temps, a pris énormément de gîte, compliquant d’autant la mise à l’eau des chaloupes. Il est 22h58. Un des officiers aurait confié, dépité, que « durant les quarante premières minutes après l’impact, le navire était droit, on aurait pu mettre les chaloupes à l’eau des deux côtés, l’évacuation aurait été beaucoup plus facile ».

Une conversation ahurissante entre le commandant et les secours

1h26, les secours sont à l’œuvre. La capitainerie de Livourne a mobilisé les gros moyens : six hélicoptères, douze embarcations gonflables, cinq vedettes, des remorqueurs ont appareillé de Civitavecchia et de Livourne. Le chef d’opération de la capitainerie Gregorio De Falco finit par avoir le commandant du Concordia au téléphone. Celui-ci est déjà sur une chaloupe, visiblement avec d’autres officiers. S’en suit une conversation surréaliste, dont la bande sonore a été diffusée par le site du quotidien italien La Républica. L’officier qui coordonne les opérations à Livourne soupçonne clairement Francesco Schettino d’avoir quitté son navire et de s’être mis à l’abri, alors qu’il y a encore des personnes qui évacuent le paquebot. Non plus par des chaloupes, mais avec des cordes sur le flanc bâbord du navire, qui est alors couché (comme on peut le voir sur les images infrarouges). De Falco enjoint à Schettino de retourner à bord du Concordia mais l’officier, rappelé semble-t-il vers 1h46, est toujours sur un canot de sauvetage avec son second. Il explique qu’il est tombé à l’eau lorsque le navire a chaviré et que, n’ayant pas la possibilité de remonter à bord, affirme qu’il coordonne les opérations depuis cette embarcation. Ces deux conversations, très intéressantes, sont à lire ci-dessous, mais également, à écouter avec une version traduite et des images prises dans la nuit de vendredi à samedi, sur le site du journal suisse TSR.

De Falco : « Je suis De Falco de Livourne, je parle avec le commandant ? »

Schettino : « Oui bonsoir commandant De Falco. »

De Falco: « Dites-moi votre nom s’il vous plaît. »

Schettino: « Je suis le commandant Schettino, commandant »

De Falco: « Schettino ? Écoutez Schettino. Il y a des gens bloqués à bord. Maintenant vous allez avec votre chaloupe sous la proue du navire du côté droit. Il y a une échelle et vous montez à bord. Vous allez à bord et vous nous dites combien il y a des gens. C’est clair ? J’enregistre cette communication, commandant Schettino… »

Schettino: « Commandant, je veux vous dire une chose… »

De Falco: « Parlez à voix forte. Mettez la main devant le micro et parlez d’une voix plus forte, c’est clair ? »

Schettino: « Actuellement le navire est incliné… »

De Falco: « J’ai compris. Écoutez: il y a des gens qui descendent par l’échelle de proue. Cette échelle vous devez la parcourir en sens inverse, monter sur le navire et me dire combien il y a de gens et ce qui se passe à bord. C’est clair ? Vous devez me dire combien il y a d’enfants, de femmes et de personnes ayant besoin d’assistance. Et vous me dites combien de gens il y a dans ces catégories. C’est clair ? Écoutez Schettino, vous avez peut-être réussi à vous sauver de la mer mais là, vraiment ça va mal se passer… je vais vous causer d’énormes ennuis. Allez à bord, bordel de merde !! »

Schettino: « Commandant, je vous en prie »

De Falco: « Non, je vous en prie… Là maintenant vous y allez, vous remontez à bord. Vous m’assurez que vous êtes en train de remonter à bord… »

Schettino: « Je suis déjà en train d’y aller là, je suis là, je ne vais nulle part, je suis là… »

De Falco: « Qu’êtes-vous en train de faire commandant ? »

Schettino: « Je suis là pour coordonner les secours… »

De Falco: « Qui est-ce qui coordonne là-bas ? Maintenant vous remontez à bord pour coordonner les secours à bord. Vous refusez là ? »

Schettino: « Non non je ne refuse pas ».

De Falco: « Vous refusez de remonter à bord ? Dites-moi pour quel motif vous n’y allez pas ? »

Schettino: « Je ne suis pas en train d’y aller parce qu’il y a l’autre bateau qui s’est arrêté… » De Falco: « Vous allez à bord, c’est un ordre. Vous ne devez pas penser à autre chose. Vous avez déclaré l’abandon du navire. Maintenant c’est moi qui commande. Vous remontez à bord !! C’est clair ? Vous m’entendez ? Allez-y et appelez directement depuis le bateau. Sur place il y a déjà mon secours aérien ».

Schettino: « Où est votre moyen de secours ? »

De Falco: « Il est à la proue. Allez-y. Il y a déjà des cadavres Schettino ».

Schettino: « Il y en a combien ? »

De Falco: « Je ne sais pas.. Un c’est sûr, je l’ai entendu. C’est à vous de me le dire combien, bon sang !!! »

Schettino: « Mais vous vous rendez compte qu’il fait nuit et qu’ici on ne voit rien ? »

De Falco: « Qu’est-ce que vous voulez faire Schettino, rentrer à la maison ? Il fait nuit alors vous voulez rentrer chez vous ? Montez sur la proue du navire par l’échelle et vous me dites ce qu’on peut faire, combien il y a de gens, quels sont leurs besoins. Tout de suite !! »

Un peu plus tard, apparemment à 1h46, une nouvelle conversation se déroule entre De Falco et Schettino. Le chef des opérations à Livourne a semble-t-il été prévenu que le commandant du Concordia n’était pas remonté à bord.

De Falco: «Commandant, c’est De Falco de Livourne. Où êtes-vous ? Dans une chaloupe avec tous les officiers »

Schettino: « Oui, j’y suis avec le commandant en second » ( NDLR : sur une chaloupe de sauvetage).

De Falco: « Montez à bord tous les deux. Vous et votre second vous montez maintenant à bord, c’est clair ? »

Schettino: « Commandant, je voudrais monter à bord mais l’autre chaloupe ici. Il y a les autres sauveteurs… Elle s’est arrêtée et elle est bloquée, j’ai appelé d’autres sauveteurs. »

De Falco: « Cela fait une heure que vous me dites ça. Maintenant vous allez à bord, allez A B-O-R-D !! Et vous venez me dire tout de suite combien il y a de gens ».

Schettino: « D’accord commandant. »

De Falco: « Allez-y immédiatement !! »

A Marseille, on dément tout problème avec le Concordia et le commandant Schettino

Ces nouveaux éléments sont particulièrement intéressants. Mais, comme c’est le cas depuis le début de cette affaire, ils sont à prendre avec prudence. Car, depuis le naufrage, un incroyable flot d’informations contradictoires a été diffusé. Ce fut le cas au niveau des horaires, de la durée des opérations d’évacuation ou encore du moment où le commandant a quitté le navire. De même, on ne sait toujours pas avec certitude quelle trajectoire a exactement suivi le paquebot, dont l’AIS n’a pas émis durant plus d’un quart d’heure (a-t-il été coupé ?) au moment critique. Ainsi, hier, des médias évoquaient la possibilité que le navire soit passé entre deux grands rochers, au sud de Porto Giglio, une passe extrêmement étroite où s’aventurer avec un paquebot tiendrait de l’opération suicide ! Difficilement croyable mais, encore une fois, cela en rajoute à une multitude d’informations et de rumeurs qui, mis bout à bout, laissent de nombreuses incohérences quant aux scénarios avancés. Concernant les témoignages des officiers également, la plus grande prudence s’impose. Et, déjà, une accusation apparemment proférée lors des auditions s’avère totalement fausse. Ainsi, des officiers auraient selon la Reppublica évoqué un incident qui aurait déjà eu lieu avec le commandant Schettino, le 17 décembre, à l’appareillage de Marseille. Alors qu’il y avait plus de 50 nœuds de vent, celui-ci aurait annoncé qu’il appareillerait quelques soient les conditions, alors même que la plupart des officiers s’y opposait. Il serait pourtant parti, disent les officiers, présentant la manœuvre comme extrêmement dangereuse. Seulement voilà, après avoir contacté les pilotes du port de Marseille, il s’avère qu’aucun navire de Costa n’était en escale dans la cité phocéenne le 17 décembre. La seule sortie du Concordia qui pourrait correspondre est celle du 29 décembre, où le Mistral s’était renforcé en fin de journée, soufflant à 45 nœuds. Mais le paquebot est sorti sans encombre, au terme d’une manœuvre certes délicate, mais pas exceptionnelle. Interrogé par le Nouvel Observateur, Patrick Payan, le pilote qui était à bord du navire ce jour là, présente le commandant Schettino comme « une personne professionnelle et digne ». Dans ces conditions, il est permis de mettre partiellement en doute les témoignages rapportés par la presse italienne. D’autant qu’on sait très bien que dans la croisière, les rivalités entre officiers sont courantes. Et que certains, pour protéger leur carrière, ont peut-être voulu se défausser. Quant au caractère du « tonton », dépeindre le commandant Schettino comme une sorte d’Aldo Maccione en uniforme, prêt à épater la galerie et un peu imbu de sa personne, ce n’est pas suffisant pour en faire un coupable. Le milieu compte en effet un certain nombre de « princesses », au comportement parfois horripilant mais qui ne sont pas pour autant de mauvais officiers.

Francesco Schettino devrait être libéré aujourd’hui

Interpellé samedi et placé en garde à vue, le commandant du Concordia a été entendu durant trois heures, hier, par une juge de Grossetto. L’officier a de nouveau affirmé qu’il n’a pas abandonné le navire mais qu’il est tombé à l’eau et n’a pas pu regagner le bord. Son avocat a, quant à lui, rappelé que l’échouage du Concordia tout près de Porto Giglio, manœuvre mise au crédit du commandant, avait permis d’éviter que le bateau chavire et, par conséquent, que son client avait « sauvé des centaines, voire des milliers de vies ». Une maigre consolation pour les familles des victimes et les rescapés, révoltés par le fait que le capitaine ait apparemment volontairement approché de l’île et, naviguant bien trop près, a heurté le récif qui a provoqué la perte du Concordia et la mort d’au moins 11 personnes.
Toujours est-il qu’à l’issue de son audition par la juge, l’officier devrait sortir de prison aujourd’hui et être assigné à résidence. Et l’enquête, très laborieuse, se poursuit…

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