La classe politique française est tellement décevante et les défis des diverses impasses françaises sont tellement grands qu’on en viendrait à espérer le pire pour que, dos au mur, nos responsables politiques soient obligés de faire les indispensables réformes structurelles pour sauver notre pays de la thrombose politico-administrative qui le paralyse…
On vient de le voir aujourd’hui: après plusieurs semaines de jacqueries fiscales et avant celles qui se préparent pour accompagner l’augmentation de la TVA à 20%, le gouvernement redécouvre soudain tout l’intérêt de conduire enfin la grande réforme fiscale que François Hollande nous avait promise… S’agit-il d’une vraie volonté ou d’une stratégie d’enfumage de tous les bonnets rouges?
En tout cas devant le 96ème congrès des 36769 maires de France, porte de Versailles à Paris, l’ex député-maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, par ailleurs Premier ministre d’une majesté partie en Terre Sainte, n’a pas pu éviter sifflets et huées de la part de ces élus locaux incontournables dès lors qu’il s’agit de contourner toute réforme territoriale…
Face à la cruelle urgence de faire des économies dans le fonctionnement territorial de la France, d’en finir avec le fameux « mille-feuilles » administratif de compétences croisées, de finances entremêlées, de doublons inutiles, de fromages pour les clientèles des uns et des autres… Devant la nécessité de simplifier ce labyrinthe baroque dans lequel le précieux lien entre gouvernants et gouvernés s’est perdu, et pour en chasser un certain nombre de minotaures cumulards qui s’écharpent dans des concurrences ridicules avec nos écharpes tricolores, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la grande réforme de modernisation et de simplification qui serait la soeur jumelle de la réforme fiscale:
l’acte III de la décentralisation n’est qu’une usine à gaz de plus, la décentralisation telle qu’elle est conçue depuis 1982 est une aporie… Un problème sans solution qui renvoie sans cesse au problème.
En effet, depuis l’échec en 1969 de la dernière et seule véritable réforme de régionalisation de la France (qui a fait partir le Général de Gaulle du pouvoir), la décentralisation n’a été qu’une stratégie pour masquer cet échec fondamental au profit d’une déconcentration de l’Etat central vers des collectivités territoriales sans pouvoirs véritables.
Face à l’impossibilité de réformer le Sénat, de simplifier la carte communale, de réformer le canton et le département, de hiérarchiser ou de spécialiser les compétences (en brisant le tabou de la « clause de compétence générale »), la décentralisation a empilé: intercommunalités pour ne pas avoir à fusionner les communes, les régions et les pays pour mailler et coiffer les départements irréductibles ou neutraliser les concurrences urbaines… Et voici maintenant venir les métropoles pour coiffer ou doubler les départements et les régions…
L’ACTE III de la décentralisation actuellement poursuivi par un gouvernement qui ne veut mécontenter personne, construit donc une usine à gaz et pour la première fois, l’usine à gaz pourrait devenir explosive !
LA FRANCE EN MIETTES
Prenons le cas d’école normand avec, par exemple, la mise en oeuvre de l’AXE SEINE, cette ambition qui se voudrait nationale et européenne…
Vendredi 8 novembre dernier à Rouen, il y eut une réunion plénière des « partenaires » de l’Axe Seine pour qu’enfin se mettent en place les groupes de travail spécialisés placés sous l’autorité du délégué interministériel du Gouvernement, le préfet François Philizot (alias Casper le gentil fantôme…)
La liste des partenaires qui doivent être mobilisés pour réussir l’Axe Seine mérite d’être citée en entier…
Département de la Seine
Département des Hauts-de-Seine
Département de la Seine- Saint-Denis
Département des Yvelines
Département du Val d’Oise
Département de la Seine Maritime
Département de l’Eure
Département de la Manche
Région d’Ile de France
Région de Haute-Normandie
Région de Basse-Normandie
Commune de Paris
Commune de Rouen
Commune du Havre
Commune de Caen
Commune de Cherbourg – Octeville
Agglomération de Rouen
Agglomération du Havre
Agglomération de Caen
Communauté urbaine de Cherbourg-Octeville
CCI de Paris
CRCI d’Ile- de- France
CRCI de Haute- Normandie
CRCI de Basse- Normandie
CESER d’Ile de France
CESER de Haute-Normandie
Chambre d’Agriculture d’Ile de France
Chambre d’Agriculture de Normandie
HAROPA (ports)
Voies Navigables de France
Réseau Ferré de France
On a oublié personne, je crois…
Huit départements, trois régions, cinq communes, quatre agglomérations, trois CESER, quatre CCI etc…
Trois groupes de travail doivent travailler:
Le Conseil régional de Basse-Normandie doit piloter les questions du développement économique, le Conseil régional de Haute-Normandie doit piloter la question des transports et des réseaux tandis que le Conseil régional d’Ile de France dirigera l’atelier de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Pour ce qui concerne le financement des infrastructures de transport sur cette échelle inter-régionale qui les oblige tous à bosser enfin ensemble, on a déjà un ordre de grandeur des besoins financiers nécessaires sur la période 2014/ 2020:
De 150 à 183 millions d’euros pour les routes (hors A 13 et A 28)
8 millions pour les aéroports
De 470 à 493 millions pour le ferroviaire
De 585 millions à 1 milliard pour le fluvial car ça fait 50 ans qu’on a rien fait !
De 19 à 83 millions pour la logistique
De 550 millions à plus d’un milliard pour les ports maritimes…
Soit, au total, rien que pour les transports: plus de 2,8 MILLIARDS d’euros à dépenser… (un peu moins que pour remettre Marseille à flot! )
Or, dès qu’on parle « gros sous », ce qui était déjà compliqué à cause du « mille-feuilles » risque de devenir insoluble a fortiori quand on sait qu’il va bien falloir faire des économies d’échelle et une rationalisation des investissements…
Pour qu’un « Mille-feuilles » soit enfin comestible, il faut largement saupoudrer la pâte de sucre glace…
Mais par les temps de disette des finances publiques que nous vivons, le saupoudrage à coup de millions d’euros c’est fini!
Pour financer l’AXE SEINE, le Gouvernement veut mettre en oeuvre un CONTRAT DE PLAN INTERREGIONAL ETAT – REGIONS (CPIER) unique en son genre… Voilà qui serait, enfin, conforme à la hauteur des enjeux d’une Normandie façade maritime privilégiée de la France.
Sauf que, sauf que…
Ce CPIER inédit s’ajouterait aux DEUX CONTRATS DE PLAN REGIONAUX NORMANDS (CPER) signés avec l’Etat par la Basse et la Haute Normandie pour la même période (2014 / 2020)
Je pense que vous voyez tout de suite le problème… Et le ridicule de la situation!
Le communiqué final de la réunion de Rouen précise en effet :
« Nous attendons qu’à ce projet d’intérêt national corresponde une ambition nationale, portée par des moyens budgétaires supplémentaires et spécifiques de l’Etat… »
Eh bien voilà! démonstration est faite que 40 ANNEES DE DECENTRALISATION N’ONT SERVI A RIEN !
On vous réservera, hélas, le pire pour la fin:
Les deux demi-présidents régionaux normands (Beauvais pour la Basse et Mayer-Rossignol pour la Haute) ont fait part lors de la réunion de Rouen de leur vive crainte de voir « leurs régions deshabillées pour habiller l’interrégion »
Preuve pitoyable s’il en est, qu’une Normandie disloquée par deux conseils régionaux qui s’ignorent à tout point de vue y compris dans ce qu’il y aurait de plus urgent à partager pour d’évidentes raisons stratégiques et prospectives, risque de faire échouer le financement de l’avenir normand à l’échelle pertinente.
MORALITE:
De deux choses l’une…
Soit l’Etat central s’occupe à nouveau de tout et la Normandie pourrait y trouver enfin son compte (car la haute-fonction publique d’Etat qui a divisé dans les années 1960 est désormais largement favorable à une fusion normande)
Soit on régionalise véritablement la France sur la base de vraies régions avec de vraies compétences, de vraies finances et assises de vrais territoires.
La décentralisation, telle qu’elle est menée depuis 1972 et 1982, n’est plus possible tant elle génère le parasitage politicien de notre avenir collectif.
Le fait que la France soit depuis 40 ans, mise sous tutelle financière à cause d’un déficit public structurel et d’une dette financière internationale, devrait nous sauter aux yeux: cela correspond aussi aux 40 ans d’une décentralisation qui révèle ses vices et ses défauts voire son inefficacité dès lors que l’on doit faire plus attention à la dépense publique.
C’est donc la crise des finances publiques dont nous voyons à peine le début qui imposera à une caste politique aveugle des révisions qui seront déchirantes, à commencer pour elle-même !
LA REUNIFICATION DE LA NORMANDIE NE VIENDRA NI DE CAEN NI DE ROUEN… MAIS DE BERCY !
C’est certain, pour les comptables du ministère des finances, deux léopards (voire trois) sur un seul drapeau normand…
ça coûterait moins cher et cela serait plus efficace!
sources: d’après Fil-fax Normandie n°4661 / Chronique de Normandie n° 338
