Tartuffe et Judas
Ça n’arrête pas ! Le président de la République annonce une « révolution » trois fois par jour – matin, midi et soir, comme les traitements – et généralement devant 30 caméras et autant de micros… La dernière livraison a eu lieu lundi, quand il a promis la « formidable révolution » qui allait jeter bas, d’un coup, une double religion : celle du chiffre et celle du marché… Diable ! Le « chiffre » (il s’agit d’évaluation économique) et « le marché » en tremblent encore… Ce n’est plus un chef d’État, c’est un chef de service de la parole contestatrice… Rien de bien nouveau, d’ailleurs : dans toutes les périodes historiques de profonde régression réactionnaire, les hommes aux commandes se présentent comme des agités de la rupture générale. Mais ils n’agitent que leurs bras et ne produisent que du vent…
En général aussi, ils font des émules. C’est le cas au gouvernement : les ministres, avant d’être ministres de ceci ou de cela, sont d’abord ministres du verbe. L’un d’entre eux est particulièrement doué pour cet exercice : M. Christian Estrosi, en effet, déploie un zèle infatigable. Il se présente à la fois, lui aussi à dose intensive, comme le prophète de la réindustrialisation de la France, l’ami du prolétariat souffrant, le bon apôtre de l’emploi, et il se répand aux quatre points cardinaux du pays toujours flanqué d’une brigade de journalistes. Il s’autoproclame « le pompier et l’architecte » et prend à témoin le Ciel et la Terre : « Est-ce qu’on veut qu’on se batte pour qu’il y ait encore des activités industrielles dans les territoires de France ou non ? » Il répète : « Je suis le ministre des ouvriers. » Les ouvriers ? Il y en avait 285 derrière les murs de l’entreprise Molex, il n’y en aura plus demain que 20 environ, à Villemur-sur-Tarn. Le ministre a paraphé : merci pour tous…
Tartuffe et Judas sont au pouvoir : l’hypocrite protège le traître. Mais le mot ne se fait pas usine. Les discours lénifiants et les engagements mielleux ne peuvent pas estomper longtemps que la politique de l’Élysée – et de son officine, Matignon… – ne roule pas pour l’industrie mais pour le dividende. Un an après les premières secousses de la crise, la stratégie du sommet de l’État et des états-majors des milieux d’affaires a pour but de tenter de sauver le système : elle ne vise pas à inverser le cours du capitalisme. Or, quelles que soient les apparences, quelles que soient les analyses soi-disant expertes, quelles que soient les pommades rassurantes des proclamations officielles, le système est toujours dans l’oeil du cyclone de sa propre crise. Un enseignant de l’université de Bordeaux, Jean-Marie Harribey, écrivait, par exemple, récemment dans les colonnes de Libération : le système a atteint la « limite à l’exploitation de la force du travail et à celle de la nature ». Comme « seul le travail produit de la valeur économique » et comme « la logique de l’accumulation du capital » conduit à le détruire en détruisant l’environnement, c’est le système lui-même qui se dirige vers une crise énorme… Cet universitaire estime que le capitalisme ne pourra plus un jour se reproduire.
En somme, les beaux esprits qui aperçoivent le bout du tunnel de la crise nous racontent des histoires.