À la suite du Medef, qui avait fait capoter des négociations en 2008, le gouvernement s’oppose à la revendication, de simple justice, d’un droit au départ anticipé pour les salariés ayant été astreints à des travaux pénibles. Selon le système envisagé, seuls les travailleurs déjà malades seraient éligibles.
C’est l’une des injustices les plus insupportables : le travail contribue à priver les ouvriers de plusieurs années de vie de retraite. Leur espérance de vie est inférieure de 6,5 ans à celle des cadres. L’écart est encore plus grand si l’on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé : à l’âge de trente-cinq ans, les ouvriers ont en moyenne vingt-quatre ans à vivre sans incapacité, contre trente-quatre ans pour les cadres. Même s’il n’est pas seul en cause, personne n’ose nier la lourde responsabilité du travail, de ses pénibilités multiples, aux effets à court mais aussi à long terme. En 2003, cherchant à se montrer équitable au moment où il imposait un allongement de la durée de cotisation, le gouvernement Raffarin avait demandé aux partenaires sociaux de négocier des modalités de prise en compte de la pénibilité pour la retraite. Sans résultat, le Medef ayant fait capoter les pourparlers en 2008. La patate chaude retombe maintenant dans les mains du politique.
Formellement, l’équipe Sarkozy-Fillon affirme vouloir traiter le sujet dans la réforme en gestation. Dans les faits, c’est, à ce jour, une nouvelle lourde désillusion qui se profile pour les nombreux salariés concernés. Non seulement ils devraient subir le report de l’âge et l’allongement de la durée de cotisation annoncés, travailler plus longtemps, donc, même si, pour eux, c’est plus dur, et si cela a des effets potentiellement graves pour leur santé, mais ils ne pourraient compter sur un véritable droit à compensation des dommages entraînés par la pénibilité. Pas question de « recréer de nouveaux régimes spéciaux », se justifie le ministre du Travail, non sans mépris pour des hommes et des femmes qui n’attendent pas un quelconque privilège mais la réparation d’une injustice. Éric Woerth rejette toute idée de droit collectif, et envisage un système « individualisé ». En pratique, les salariés concernés devraient passer devant une commission médicale, chargée de vérifier si leur état de santé est atteint. Autrement dit, et alors que beaucoup de pathologies professionnelles se déclarent après la retraite, « il faudra être déjà malade pour envisager de rentrer dans un dispositif », explique Éric Aubin, chargé de la retraite à la CGT.
un dispositif très incertain
Un dispositif, de surcroît, très incertain : le ministre n’évoque pas explicitement un droit à départ anticipé, et il est à craindre que, obsédé par l’objectif d’augmenter le taux d’emploi des seniors, il privilégie des mesures pour maintenir à tout prix les salariés usés au travail. Quitte à les reclasser ou les orienter vers le tutorat. Comme en 2008 face au Medef, premier à avoir avancé l’idée, l’ensemble des syndicats ont rejeté le principe de l’examen médical. Pour conquérir « l’équité devant la retraite en pleine santé », la CGT défend la proposition d’un droit à cessation anticipée d’activité, en fonction de la durée d’exposition à des travaux pénibles. Ce droit serait financé par une cotisation des entreprises, mutualisée, et modulable selon leurs efforts de prévention, l’essentiel étant bien de viser la réduction à la source des causes de la pénibilité.
Retraites. La grande illusion de parisot
« La promesse de s’arrêter à soixante ans, ce n’était pas un acquis social mais au contraire une grande illusion ou un grand mensonge », a déclaré Laurence Parisot dans une interview au Figaro du 2 juin. La présidente du Medef revendique une « réforme définitive », qui relèverait de l’âge de départ et allongerait la durée de cotisation. « Le gouvernement raisonne aujourd’hui sur la base d’un trimestre par an, mais pourquoi pas un semestre par an », avance la patronne des patrons. Sans surprise, le Medef ne veut pas entendre parler de pénibilité, sauf « au cas par cas », quand la maladie est déjà là, le mal déjà fait.