D’un 4 août à l’autre
Au lendemain de la nuit du 4 août 1789, Louis XVI, encore roi, écrit : « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient. » Et pourtant, la pression populaire était-elle qu’il dut se plier à la volonté du peuple, ce peuple français qui, depuis le 14 Juillet, a pris le goût de la liberté, de l’égalité et de la fraternité et ne sera jamais si triomphant que lorsqu’il prend conscience de sa propre force. Depuis lors, l’histoire de la France se lit comme la lutte obstinée entre ceux pour qui la République et le progrès social vont de pair, et ceux qui, sans relâche, en nourriront la pire exécration.
Depuis plus d’un mois, le pays commence à renouer comme rarement avec le fil de la conscience des injustices et des privilèges, dont la rupture, éclatante en 2002, a fait le lit du triomphe d’une « droite décomplexée » avec l’avènement de Nicolas Sarkozy cinq ans plus tard. Entendre un Jean-François Copé craindre une « nouvelle nuit du 4 août », alors que des centaines de milliers de salariés descendaient dans la rue un 24 juin, était aussi délicieux, de ce point de vue, que révélateur de l’ordre que défend l’UMP et de la grande peur qui saisit le camp des défenseurs des Bastille de l’argent roi. Alors que juillet 2007 voyait ces derniers jubiler devant l’avalanche de nouveaux privilèges accordés à la fortune, deux ans plus tard, les révélations en boule de neige de « l’affaire Woerth-Bettencourt » ont mis au jour la nature consanguine des noces du pouvoir, de son parti et des grands possédants. Quand, dans le même temps, le premier ministre évoque un nouveau tour de vis de super-austérité, que les profits des banques renflouées par l’argent public s’envolent, et que les seuls « privilèges » auxquels cette bourgeoisie entend s’attaquer, en plein cœur de l’été, c’est le droit des plus vieux de partir en retraite à 60 ans, et donc de libérer des postes de travail pour les plus jeunes, celui des étudiants de se loger ou des parents de handicapés de pouvoir payer le transport de leurs enfants alors, oui, le sentiment d’inégalité criante qui se fait jour peut nourrir l’envie de descendre massivement dans la rue, dès le 7 septembre prochain.
Quand le chef de l’État parle des retraites comme de la « mère des batailles », il faut le prendre au mot, quant au projet de société qu’il entend graver dans le marbre de la résignation et du repli sur soi, comme sur l’impact qu’aurait une défaite sur le sujet. C’est bien dans la grande peur d’un mécontentement populaire qui trouve un débouché massif dans la rue qui a conduit Nicolas Sarkozy à rouvrir en grand les vannes de la xénophobie, concourant en un seul coup à une dérive dangereuse pour la République comme pour les défenseurs d’un progrès social liant emploi, salaire et retraite à 60 ans. L’intronisation d’un préfet pour mieux instrumentaliser le thème de l’insécurité s’est accompagnée d’une intolérable opération d’intimidation de trois jeunes communistes, dont deux mineurs, que la justice a relaxés hier. La mobilisation qui les a accompagnés jusqu’aux portes du tribunal a également pesé. C’est un encouragement supplémentaire pour tous ceux qui, dans cette période, appellent à se rassembler le 4 septembre prochain contre la dérive actuelle du pouvoir et le 7 septembre pour la retraite à 60 ans.