Dominique Hardy est intervenu, pour le groupe communiste, lors du Conseil Municipal du jeudi 9 décembre 2010 sur le fret ferroviaire et le triage de Sotteville.
Cette délibération et non pas une motion, proposée par notre formation politique, a à notre sens plusieurs objectifs. Le premier est naturellement de porter le débat dans notre conseil municipal autour d’un enjeu économique, industriel concernant le devenir du triage de Sotteville. Sotteville, ville cheminote, est attachée certes à son passé mais à les deux pieds dans le présent et doit penser dès maintenant à l’avenir.
Le 2ème objectif est de réfléchir ensemble au devenir du transport des marchandises par les voies ferroviaires à Sotteville, en France, en Europe.
Le 3ème objectif est de peser pour que les décisions du gouvernement et de la SNCF soient prises dans l’intérêt de tous et en plein respect avec les engagements du grenelle de l’environnement. Il s’agit en quelque sorte d’être utile pour passer des paroles aux actes, sans surenchére, en recherchant l’efficacité économique, écologique, en préservant ce bel outil qu’est encore la SNCF.
En effet, l’industrie ferroviaire dans son ensemble a des atouts. Elle était en 2008, la deuxième puissance ferroviaire européenne, avec un chiffre d’affaires supérieur à 3 milliards d’euros.
Les grands constructeurs bénéficient de commandes considérables et affichent des résultats en hausse : un chiffre d’affaires en progression de 5%, un résultat net en hausse de 10% pour Alstom sur 2009/2010 par exemple.
Ø La France qui préside le G8 et le G20 pourrait être à l’initiative pour l’harmonisation par le haut, des législations sociales et des fiscalités. Et, il faut à notre avis, en finir avec le scandale de l’argent public qui finance des liquidations de milliers d’emplois.
Etat, Région, SNCF y compris le RATP devraient avancer ensemble et peser sur les choix et les stratégies des grands donneurs d'ordres. Il y a besoin également d'étudier rapidement la faisabilité de création d'un pôle industriel ferroviaire national ou au plan des régions du fret, pour l'innovation, la construction, la maintenance de tous les types de wagons marchandises et des débouchés sur la construction ferroviaire « voyageurs ».
Ce sont là quelques propositions auxquelles nous avons réfléchies et qui sont portées au débat pour que notre pays reste un pays du rail.
L’industrie ferroviaire française n’échappe plus à ce mal profond qui sape l’économie nationale, entraîne l’explosion du chômage et de la précarité, frappe le monde du travail et fait obstacle à l’insertion des jeunes par l’emploi. L’industrie ferroviaire devrait être pourtant un pilier de la transition écologique et sociale. C’est elle qui doit permettre le déploiement des transports publics par rail, le transfert de la route au rail, que cela soit des marchandises ou des personnes. Moins chère et largement plus écologique, elle est l’industrie clef des objectifs de réduction des gaz à effet de serre.
L’attentisme de l’Etat, son suivisme vis-à-vis des politiques conduites par la SNCF sur le fret ferroviaire, accélèrent l’accumulation des difficultés.
Le Président de la SNCF a annoncé mardi 7 décembre dernier, lors d’une rencontre de l’association des journalistes de l’information sociale, qu’il voulait renégocier la réglementation du travail des cheminots. Il a tenté d’expliquer qu’un tel chantier, qui touche à l’organisation du travail, à la durée, à l’amplitude horaire etc… est possible sans remettre en cause le statut des cheminots. Qui va le croire ?
Pour lui, cette nouvelle « convention collective » devrait s’appliquer à l’ensemble du secteur ferroviaire, SNCF et privé. Voilà les éléments sont sur la table et nous savons d’expérience comment l’harmonisation va être proposée. Raison de plus pour défendre, préserver, développer l’entreprise publique SNCF.
Ø Il y a 5 ans en 2005, les députés Communistes interrogeaient le gouvernement sur les conséquences de l’ouverture en France à la concurrence du transport international de fret ferroviaire. Le gouvernement qui refusait de s’écarter de cette « voie que nous jugions dangereuse » répondait. Je cite : cette procédure s’inscrit dans le cadre de l’ouverture du marché du transport ferroviaire fret, voulue par la commission Européenne et affirmée dans son livre blanc intitulé : « la politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix », afin que ce mode de transport retrouve un niveau de compétitivité lui permettant de rester l’un des acteurs majeurs du système des transports dans une Europe élargie, notamment vis-à-vis de la concurrence du mode routier »
Ø Cinq ans plus tard, le constat est accablant ainsi que ne peut que le reconnaître le rapport du Sénateur Grignon (UMP) publié fin octobre de cette année.
La nouvelle politique fret avalisée par le gouvernement et que la SNCF veut imposer, fait l’unanimité contre elle. Les cheminots, les élus territoriaux, les entreprises, les opérateurs, contestent le choix d’abandonner le wagon isolé, les fermetures de sites, les suppressions de milliers d’emplois cheminots résultant de cette politique. Et, il y a les conséquences pour l’environnement puisque avec cette politique, le grenelle de l’environnement est laissé sur les quais de l’oubli.
Ø Le 18 février dernier à Zurich, sept grandes entreprises européennes de fret ferroviaire ont conclu officiellement l’alliance X Rail en vue, « de rendre plus performantes et plus attractives pour le client, les offres de transports international par wagons isolés ».
Leur déclaration commune s’appuie sur le fait que le transport par wagons isolés « représente environ 50% du fret ferroviaire européen et, selon des études réalisées, présente un potentiel de croissance important au niveau international »
La Tchéquie, le Luxembourg, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Autriche, la Hongrie, la Suisse et la Belgique en seront bénéficiaires. Mais pas la France.
SNCF et gouvernement restent à l’écart de la démarche – pourtant initiée par la SNCF ! – et approuvée par les syndicats cheminots.
Le 19 mars 2010 les principales organisations syndicales cheminots et des associations environnementales ont adopté une déclaration commune revendiquant un débat public sur ces enjeux.
On peut y lire notamment : « le fret ferroviaire de proximité, cette technique du wagon isolé, est stratégique pour relever le défi de la lutte contre le changement climatique et celui de l’aménagement du territoire. S’en désengager pour un opérateur public, comme la SNCF, est absurde et cela constitue une faute lourde pour la France.
L’Europe l’a compris, 7 des grands opérateurs ferroviaires s’unissent pour construire un projet de nouveau modèle économique dans ce domaine, la SNCF s’y refuse.
Le 3 juin, plusieurs centaines de personnalités, parlementaires et anciens ministres, responsables syndicaux, dirigeants d’ONG de défense de l’environnement et trois anciens ministres des transports ont rendu public un appel national revendiquant que le plan fret SNCF soit revu d’urgence.
Début, juillet, les organisations représentatives des principaux chargeurs ont dénoncé avec virulence la restructuration du fret et demandé la médiation du gouvernement. L’Association française des wagons particuliers, la Confédération française pour l’habitat, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, la Fédération française de l’acier, l’Union des industries chimiques, le Groupe des fédérations industrielles… et d’autres avec eux, ont affirmé que la réorganisation du fret SNCF dénommée « multi-lots, multi-clients », « n’est pas une réponse aux besoins des chargeurs »
J’ai évoqué, il y a quelques instants le rapport du Sénateur Grignon, que dit-il ?
Le titre du rapport est éloquent :
Le fret ferroviaire en France : un état des lieux préoccupant.
Quelques éléments de ce rapport.
Le trafic de fret ferroviaire en France a connu une baisse continue depuis la fin des Trente Glorieuses. En 1950, le fer assurait le transport des deux tiers des marchandise en France. Aujourd’hui, seule une marchandise sur dix est transportée par le fer, contre plus de huit sur dix par la route. On est en effet passé d’un volume de 148,5 millions de trains-kilomètres en 2002 à 82,9 millions en 2009. Certes, beaucoup de pays européens connaissent des difficultés similaires, mais le fret ferroviaire est en fort développement en Suisse ou en Allemagne, où il a crû de 50% entre 2000 et 2008.
Dès lors, il n’est guère étonnant de constater que fret SNCF rencontre de sérieuses difficultés, multipliant sans succès les plans de relance. L’activité fret de l’entreprise publique a consommé depuis 2003 environ 3 milliards d’euros de liquidités, et a enregistré en 2009 un déficit de 464 millions d’euros. La direction de la SNCF souhaite d’ailleurs réduire la dette de l’entreprise publique, qui avoisine les 8,6 milliards d’euros en 2010. Si les entreprises privées concurrentes de la SNCF ont atteint une part de marché de 16%, leur assurant une croissance dynamique, on ne saurait passer sous silence que ce développement se fait essentiellement au détriment de la SNCF, dont les parts de marché ne cessent de diminuer.
Le rapporteur Grignon ajoute : « la route exerce une concurrence féroce, qui va accroître avec la libéralisation partielle du cabotage »
Il poursuit ainsi : « l’Etat a sous investi dans les infrastructures ferroviaires depuis le début des années 1980, d’où un mauvais état du réseau. Plus loin, il indique les gouvernements successifs, ont fait le choix de privilégier le transport de voyageurs par train (TGV) au détriment du fret ferroviaire, à l’inverse de ce que l’on observe en Allemagne par exemple. Il conclut sur ce chapitre « l’une des conséquences de ce choix est l’insuffisante électrification des lignes de fret ».
Il écrit tout cela et pour autant il ne propose pas de changer de politique.
Ø Nous le savons la concurrence de la route est forte et il faut retenir que 2500 wagons jours, c’est le nombre de wagons triés à Sotteville, il n’y a pas si longtemps, c’est l’équivalent de 4000 camions avec tous les problèmes que cela engendre. Cette décision de sauvegarde le triage de Sotteville, nous en avons conscience, devra être prise au plus haut niveau, par le gouvernement et la direction de la SNCF. D’où la nécessité de peser pour se faire entendre.
Ø Il y a quelques mois, un comité de défense du triage de Sotteville a été mis sur pied et son activité rencontre un écho certain.
Son Président vient de s’adresser au Président de la Région Haute Normandie pour que cet élément du fret soit pris en compte lors des assises régionales de l’économie de l’industrie et de l’innovation. Le président Pierre Menard di nous estimons, et nous ne sommes pas les seuls, tant sur le plan local que national, que le maintien, la mise en place et le développement des infrastructures logistiques et notamment du fret ferroviaire constituent des préalables « sine qua non » à tout développement économique, en particulier industriel.
Les élus communistes souhaitent vivement que cette question soit prise en compte par la Région dans les débats qui vont se dérouler lors des ses assises de l’industrie.
Dans son journal Transligne de juillet le CER (comité d’établissement régional) SNCF montre bien les enjeux qui dépasse largement Sotteville.
Le triage permet effectivement de desservir rapidement un large territoire lié à l’activité portuaire.
Ø Cherbourg : 1er port de la Manche en eaux profondes pour l’Europe du Nord
Ø Caen Ouistreham où il manque 8 kms de voie ferrée à la sortie des ferries
Ø Le triage de Mézidon dont la réouverture assurerait la desserte de l’Ouest, du Sud Ouest et du Sud Est de l’Europe et de la France
Ø Honfleur, carrefour important avec la proximité de l’estuaire de la Seine
Ø Le Havre, 1er port container de France où Port 2000 occupe une place stratégique
Ø Rouen, 1er port céréalier
Ø Dieppe, un port avec beaucoup de projet de développement.
Et il y a l’impact sur l’emploi si le triage devait être condamné. Ce site ferroviaire, toutes activités confondues c’est 1500 agents. Nous avions en février dernier lors d’une question d’actualité développé cet aspect important de l’emploi dans notre bassin de vie, je n’y reviens pas.
En forme de conclusion
Ø Il y a eu depuis la Libération notamment, plusieurs films qui ont montré l’importance dans notre histoire du transport ferroviaire. Aujourd’hui, un film documentaire avec pour titre « Cheminots » est sur quelques écrans. Je vous le recommande.
Dans ce film le résistant Raymond Aubrac fait preuve d’une grande lucidité lorsqu’il dit « la SNCF fut les artères et les veines du pays mais aujourd’hui les politiques libérales sont en train d’en tronçonner les membres et le sang se retire…. »
J’ajoute, avant qu’il n’y ait plus de sang du tout, il est temps, dans nos différences, d’agir pour sauvegarder et développer le triage et le fret ferroviaire.
Vous l’avez compris, nous allons donc voter cette délibération et continuer notre action pour la vie du triage de Sotteville-lès-Rouen.