C'est fini. Les 91 salariés des papeteries de Veuze à Magnac n'ont pas trouvé de repreneur. Mardi, le tribunal prononcera la fin de l'activité de ce fleuron de l'industrie charentaise créé en 1828.
“Regardez bien cette fumée les gars. On n'est pas près d'en revoir.” La cheminée de la machine numéro 4 fumait encore pour quelques minutes hier soir aux papeteries de Veuze à Magnac. Mais dès ce matin, l'usine s'arrêtera de tourner, suite à la décision des salariés. Les 91 «Veuze» apprendront officiellement mardi après-midi au tribunal de commerce que leur entreprise est liquidée avec cessation d'activité immédiate.
Papeteries de Veuze: la fin de l'histoire
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Les salariés se sont rassemblés hier en fin d'après-midi sur l'un des quais de l'usine qui s'arrête demain. Ses portes fermeront définitivement mercredi. Photos Majid Bouzzit
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La dernière papeterie de France indépendante
«À moins que l'un d'entre nous gagne à l'Euromillions», essaie de sourire l'un. «J'ai reçu un coup de téléphone de Jean-François Dauré qui vient de prendre contact avec l'ambassade de Chine pour savoir s'il n'y avait pas de repreneurs dans son pays», raille Philippe Lalue, responsable syndical CFDT. Sourires moqueurs dans la salle. Quelques rares instants de détente. Parce que le retrait officialisé hier matin du dernier repreneur potentiel, le fonds d'investissements américain Open Gate, met au tapis 91 emplois et près de deux siècles d'histoire de l'industrie papetière en Charente.
Il fallait investir 8 millions d'euros environ pour relancer l'entreprise. Open Gate en avait visiblement les moyens, mais le fonds américain ne croyait pas en un retour sur investissement assez rapide. «Nous étions la dernière papeterie de France indépendante de tout grand groupe industriel», explique Éric Depeser, responsable de production et depuis vingt ans dans l'usine. «C'est la fin de six mois insoutenables, de vingt-neuf ans passés ici, mais peut-être qu'on va pouvoir se projeter dans l'avenir maintenant», explique Philippe Rodriguez, conducteur de machine dont le fils a été embauché il y a quatre ans. Le symbole aussi de cette entreprise familiale lancée par les Dubois en 1902 et qui s'étend aujourd'hui sur près de huit hectares à Magnac.
«Un sentiment de gâchis»
«Je jouais au football ici et pour me garder, le club m'a trouvé un emploi aux papeteries», se rappelle Philippe Rodriguez. Devant le quai de déchargement, Jean-Paul, trente-deux ans de boîte, se remémore les souvenirs de sa vie passée ici. «L'époque dorée de Dubois père ou l'incendie qui avait mobilisé les pompiers pendant quinze jours… Je me suis même amusé à compter le nombre de trajets faits pour venir jusqu'ici.» Malgré la fin inéluctable, «le sentiment de gâchis et d'une énorme gabegie depuis quatre – cinq ans» pour certains, la réunion d'hier soir pour informer les salariés est restée calme. Seuls quelques yeux rougis de salariées rappellent que les «Veuze» sont au bout du chemin. Le médecin du travail, qui s'occupe de l'entreprise depuis dix-neuf ans, est venu quand la nouvelle est tombée. Elle tend la perche: «N'hésitez pas à venir me voir si vous en avez le besoin.»
Mais pour le moment, point de rage ou de désespoir parmi la soixantaine de «Veuze» présents. «On ne va pas sortir les drapeaux, faire n'importe quoi, de toute façon, on est au bout du rouleau», prévient un syndicaliste.
Seul signe de mauvaise humeur, cette annonce du comité d'entreprise: «On a demandé à M. Thibault de Lisle [le manager de transition chargé de trouver des repreneurs, NDLR] de rester à la papeterie de Saint-Michel et de ne plus venir ici, c'est mieux pour sa sécurité…» L'incrédulité prédomine encore quand les membres du comité d'entreprise commencent à parler des lettres de licenciement qui arriveront dès le milieu de la semaine prochaine. Ou du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui va être proposé par les syndicats dès ce matin à Maître Torelli, le liquidateur qui doit être nommé par le tribunal de commerce jeudi.
«On arrête l'usine, mais chacun doit quand même venir prendre son poste jusqu'à mardi, indique Philippe Lalue. Parce que nous devons protéger notre outil de travail jusqu'au bout: il vaut mieux négocier avec une entreprise qui est en vie.» Mais au pied des immenses rouleaux de papier et de ce quai qui ne verra plus de camions venir charger le produit de presque deux siècles d'industrie locale, les «Veuze» tournent bien la dernière page de leur longue histoire.
91 salariés des papeteries de Veuze seront licenciés si le tribunal prononce la fin de la poursuite d'activité mardi.
Espoir de reprise à Saint-Michel
Maxime Thiollet, le P-DG du groupe cartonnier du même nom basé à Châteaubernard (80 emplois), préfère rester prudent. «C'est un sacré défi qui nous a été proposé quand on est venu nous chercher, alors vous comprenez bien que je préfère attendre lundi.»
Lundi, le comité d'entreprise des papeteries de Saint-Michel (88 emplois) se réunira. Ce jour-là, les salariés de l'entreprise en liquidation depuis le 28 février en sauront un peu plus sur le projet de reprise de la cartonnerie «familiale à dimension régionale», dixit Maxime Thiollet, qui est venu «prendre la température» sur le site de Saint-Michel. «Il nous a fait une bonne impression, explique Christian Mesnard, le délégué syndical CGT. Mais si on est optimistes, on a appris ces derniers mois que rien n'était acquis.» Toujours est-il que pour Saint-Michel au moins, le tribunal de commerce aura cette fois une offre de reprise à examiner, mardi prochain.
Seule certitude en cas d'offre retenue, il y aura des licenciements. «Mais je préfère parler du verre à moitié plein et du nombre de reprises d'emplois», explique Maxime Thiollet.