Un jour, Hicham Moatassim s’est présenté à l’audition de la classe théâtre du conservatoire de Rouen. Sans rien connaître des codes du genre… ni des préjugés qui ont la vie dure sur les deux rives de la Seine. Quatre ans plus tard, ce vendredi 7 octobre il joue son premier spectacle, Identité(s) Nationale(s), à l’espace Georges-Déziré. Portrait. "Hicham est une très belle personne. Sur scène, il a une présence formidable et une voix extraordinaire." Maurice Attias, le professeur d’art dramatique qui dirige le cycle "d’orientation professionnelle" au conservatoire de Rouen, est élogieux. De quoi faire rougir son ancien élève, Hicham Moatassim, lui si pudique. Un jeune homme réservé dans le cadre familial, amuseur sur les bancs de l’école où il imitait les profs avec, déjà, un certain succès. Depuis, il a quitté le fond de la classe pour monter sur le devant de la scène. A lâché son BTS travaux publics au lycée Le Corbusier pour une plongée dans le monde du théâtre. "Ça a changé ma vision du monde, assure-t-il. Un artiste n’est pas un bouffon, mais un miroir de la société dont il doit dénoncer les travers. Il n’est pas là pour se faire plaisir." Et toc !
C’est un peu par hasard, au culot, qu’il tente, il y a quatre ans, le concours d’entrée de la classe théâtre du conservatoire rouennais, "parce que j’avais vu que Frank Dubosc ou Valérie Lemercier avaient suivi le cursus". Cette fois-là, le jeune homme du Madrillet n’accède pas au cursus pro, mais intègre la classe amateur." Hicham n’était pas prêt, se souvient son professeur, il n’avait pas encore eu le déclic. Il avait une obsession pour le stand up. Je lui ai rappelé que les grands modèles américains du genre, comme Eddy Murphy, avaient une solide formation d’acteur. " Un an plus tard, l’élève a mûri, il réussit son entrée chez les "grands" et prend conscience que "plus rien ne sera comme avant".
Le p’tit gars de Saint-Étienne n’a pas le bagage culturel de certains de ses camarades "de la rive droite qui imaginent mon quartier comme “un cimetière des éléphants”, une “zone interdite” où ils n’ont jamais mis les pieds". D’ailleurs il avoue à l’époque nourrir lui-même quelques préjugés sur ces "personnes qui naissent avec déjà tout… ", de l’autre côté de la Seine. Pourtant, il comprend vite que "nos différences nous servent sur scène". Certes, le jeune homme d’origine marocaine ne connaît pas grand-chose de
l’œuvre de Shakespeare, mais le jour où il endosse les habits d’Othello, – le Maure de Venise – : "quelque part, je le comprenais". "Durant ces deux années, j’ai réalisé qu’être acteur était un métier très difficile. Un comédien est un gymnaste émotif, et moi je me suis constitué cette bibliothèque d’émotions."
Il y a quelques semaines, il est monté, seul en scène, présenter une première version de son spectacle "Identité(s) nationale(s)", au théâtre de la Chapelle Saint-Louis à Rouen. Une galerie de personnages, drôles, émouvants et décalés, confrontés à la misère ou au racisme ordinaire.
Sa première victoire : avoir réuni dans une même assistance, les copains du Château Blanc, ceux du conservatoire, et sa famille. "Un beau public, très vivant, pas toujours avec les codes du théâtre traditionnel. J’ai eu de bons retours et des critiques aussi, sur des questions de rythme par exemple. Au final, j’ai eu l’impression de gratter ma petite lumière…"
À l’heure de tous les possibles pour Hicham Moatassim, son prof Maurice Attias rappelle que "le plus difficile dans le métier, c’est de durer… d’être là dans dix ans. La réussite est un ha- sard, mais, quand elle se présente, il faut être prêt et en forme ". Hicham a retenu la leçon et promet de travailler encore et toujours. Tout en gardant à l’esprit une phrase de Shakespeare – encore lui – qu’il se plaît à citer : " Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve".
• Identité (s) Nationale (s) | Espace Georges-Déziré | Salle Raymond-Devos à 20 h 30. Entrée gratuite. Réservations au 02 35 02 76 90 (attention places limitées).