Zita Swoon : concert dansé en apesanteur

Étonnez-moi et emmenez-moi. Le rêve de tout spectateur, c’est sans doute de se poser dans un fauteuil un soir, sans trop savoir à quoi s’attendre, d’ouvrir en grand ses récepteurs pour en prendre plein les esgourdes et les mirettes. Sur la scène du Rive Gauche, cette mission était confiée mardi 18 octobre au groupe Zita Swoon et au danseur Simon Mayer de la compagnie Rosas. On allait pouvoir vérifier une fois de plus combien est inventive et surprenante cette filière scénique belge sur laquelle le théâtre stéphanais ouvre une bienveillante fenêtre depuis quelques saisons.
Or donc, comment qualifier ce concert dansé, promu par Stef Kamil Carlens l’un des plus brillants songwriter de sa génération, cofondateur naguère du mythique groupe dEUS. Formulons une hypothèse : avec Dancing With The Sound Hobbyist, nous sommes face à une tentative de dé-construction de l’idée même de concert pop-rock. Depuis les années 1970, les groupes et artistes mythiques se sont largement essayés à transcender ces moments de ferveur collective en allant vers le spectacle total, tirant souvent vers la mégalomanie. Ils ont cherché le salut de stades en festivals, portés par des foules hurlantes et chantantes.
Zita Swoon ne s’est jamais livré aux canons du genre, morceaux de trois minutes, couplet refrain, solo… Il est donc logique que sur scène le groupe propose une autre piste pour revisiter l’exercice obligé du concert. Drôlement plus risquée, autrement plus excitante. Tous les incontournables sont là : musiciens et chanteur au look improbable avec costume bleu électrique, chaussures fluo, pantalons et vestes à rayure, choristes plantureuses au déhanchement cadencé. Ce cadre posé, le groupe ouvre une porte dérobée et nous invite à le suivre pour un voyage à la destination inconnue, sans billet de retour en poche.
L’ouverture du spectacle place dans la lumière un danseur, et quel danseur ! Issu de la compagnie Rosas dont la réputation n’est plus à faire, Simon Mayer, collier de barbe et corps christique est tout à la fois électrique et électrisant, capable de faire chanter le sol par des frottements et glissades, mais aussi de virevolter au-dessus des instruments. Sa gestuelle est précise et déroutante, enchaînant les mouvements saccadés et violents à un lâcher prise du corps.
Les spectateurs hésitent. Sommes-nous au concert ou devant un spectacle de danse ? Du coup, faut-il applaudir après chaque morceau ou à la fin ? La salle tangue un moment avant de se laisser hypnotiser.
On comprend que la présence du danseur ne relève du "faire joli" ni d’une plate illustration du propos musical. Peu à peu, c’est l’ensemble de la performance qui prend une tournure singulière comme si les deux univers entraient en fusion : le danseur chante et joue de la guitare, les choristes sont aussi danseuses et instrumentistes, le chanteur et les musiciens dansent.
Sur le plan musical, le groupe méduse par sa liberté et ses audaces mélodiques portées par le talent de ses musiciens au "toucher" délicat et énergique qu’ils caressent un piano, effleurent un xylophone ou poussent une basse dans ses derniers retranchements. De plaines riantes en canyons vertigineux, de vallées brumeuses en plongées abyssales, ils offrent une succession de paysages musicaux traversés sans jamais revenir sur leurs pas. Dans cette fuite en avant, une surprise chasse l’autre : doux et lents instrumentaux, morceaux joués toutes guitares hurlantes, folk luxuriant porté par la voix nasale de Stef Kamil Carlens. Au final, pas moins d’une cinquantaine d’instruments sont ainsi mis en mouvement au fil des trouvailles de cet orchestre inspiré. Et l’on sort de là heureux et empli de la douce ivresse que procurent les voyages en apesanteur.

Bruno Lafosse

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