Communiqué de la Section Française de l’Observatoire International des Prisons

Dans nombre de prisons françaises, des fouilles à nu systématiques sont exercées à l’encontre de toutes les personnes détenues ayant eu accès aux parloirs, et ce en toute illégalité. Adoptée le 24 novembre 2009 sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la loi pénitentiaire est en effet venue encadrer la pratique de ces fouilles en ne les autorisant que de façon exceptionnelle. Ce jeudi 20 octobre 2011, l’OIP dépose plusieurs recours devant le juge administratif pour obtenir la suspension ou l’annulation des décisions instituant de tels régimes de fouilles dans les établissements pénitentiaires de Salon-de-Provence, Oermingen et Poitiers-Vivonne. Des recours visant d’autres établissements pénitentiaires suivront dans les prochaines semaines. L’OIP rappelle que la loi pénitentiaire, que l’administration résiste à appliquer, est venue encadrer l’usage des fouilles à nu, avec l’objectif, à terme, de tendre vers une disparition de ce type de fouilles.



La fouille corporelle intégrale est une mesure de sécurité impliquant la mise à nu autoritaire des personnes détenues. Pratiquée dans des locaux ne garantissant le plus souvent pas l’intimité des personnes qui y sont soumises, elle requière de celles-ci l’adoption de positions embarrassantes pour rendre visible l’entre jambe et rendre possible une inspection visuelle anale. Le caractère humiliant de ces fouilles est un constat largement partagé par nombre d’organes nationaux (Commission nationale consultative des droits de l’Homme, parlementaires..) et internationaux (Cour européenne des droits de l’Homme, Comité européen de prévention de la torture, Comité contre la torture des Nations-Unies).



Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a condamné la France à plusieurs reprises pour sa pratique des fouilles à nu (Frérot c/ France, 12 juin 2007 ; Khider c/ France, 9 juillet 2009 ; El Shennawy c/ France, 20 janvier 2011), la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 est venue en encadrer l’usage en posant trois principes impératifs : un principe de nécessité au terme duquel les fouilles, qu’elles soient par palpation ou intégrales, ne peuvent être effectuées que si elles sont justifiées par « la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement » ; un principe de proportionnalité qui impose que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues » ; et enfin un principe de subsidiarité qui implique que les fouilles à nu « ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».



C’est en ce sens que le Conseil d’État, dans le cadre d’un récent recours intenté par l’OIP pour suspendre le régime de fouilles à nu que subissait une personne détenue à Salon-de-Provence à l’issue de chacun de ses parloirs, s’est prononcé le 9 septembre 2011 sur l’illégalité des fouilles imposé à ce détenu, en rappelant que les fouilles corporelles intégrales devaient être justifiées par des raisons sérieuses de sécurité et ne pouvaient être appliquées de façon indistincte et systématique à l’ensemble des détenus ayant accès aux parloirs. Concluant qu’« une fouille corporelle intégrale, répétée à la sortie de chaque parloir autorisé, impose à l’intéressé une contrainte grave et durable susceptible d’excéder illégalement celle qui est nécessaire pour l’application de l’article 57 de la loi du 24 novembre 2009 ».



En outre, les débats parlementaires sur la loi pénitentiaire mettaient alors en exergue l’objectif, à terme, de tendre vers une disparition des fouilles intégrales grâce au recours à des moyens de détection moderne. Or, force est de constater qu’aucune politique d’équipement des établissements pénitentiaires en matériel de détection (détection électronique ou à rayons X, scanners) n’a été conduite depuis l’adoption de la loi.


Aujourd’hui, près de cinq ans après les condamnations de la France par la Cour Européenne des droits de l’Homme, qui évoque une atteinte à la « dignité » de la personne, et deux ans après l’adoption de la loi pénitentiaire, l’OIP observe la persistance de fouilles intégrales effectuées de façon systématique sur l’ensemble des personnes détenues ayant eu accès à certains secteurs de la détention comme les parloirs. Plusieurs établissements pénitentiaires, dont la maison d’arrêt de Nantes, le centre de détention de Poitiers-Vivonne ou encore le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, par exemple, disposaient encore en septembre 2011 de règlements intérieurs prévoyant que « l’accès au parloir implique que les détenus se soumettent obligatoirement à une fouille par palpation avant et intégrale après la visite ». Nombre d’établissements ont aussi décidé de la généralisation de cette pratique sans pour autant formaliser la décision, tels les centres de détention de Salon de Provence ou d’Oermingen.



Dans un contexte de résistance manifeste de l’administration pénitentiaire à l’application de la loi pénitentiaire et de la jurisprudence française et européenne, l’OIP a donc décidé d’intensifier ses recours administratifs en aidant des personnes détenues à obtenir la suspension, en référé, de ce régime de fouilles dans tous les établissements où il sera avéré qu’il est pratiqué, mais surtout, en demandant l’annulation des décisions des chefs d’établissement instituant ces régimes de fouilles systématiques (règlement intérieur, note, décision informelle).



Cette démarche s’inscrit dans le cadre du combat mené par l’association contre cette pratique gravement attentatoire à la dignité des personnes détenues. Intrinsèquement humiliante, aux effets dévastateurs, la fouille corporelle intégrale devait rester très exceptionnelle, en attendant d’être purement et simplement supprimée. 


Il en va du respect de la dignité des personnes incarcérées.



L’OIP rappelle :

  • l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui précise que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;

  • l’article 57 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 qui dispose désormais que « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes » ;

  • l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme EL SHENNAWY c/ FRANCE du 20 janvier 2011 précise que « des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associées et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui […], peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus ».


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