Au terme de trois journées de réflexion les Assises de l’éducation se sont conclues, vendredi 18 novembre, sur la relation sensible entre l’enfant et la ville. Ou comment penser l’urbain à hauteur d’enfant. Co-éducation, coordination, table ronde éducative, partenariat… quels que soient les mots utilisés, c’est toujours la même priorité qui a émergé des Assises : la construction d’une action éducative partagée. Ni les enseignants, ni les parents, ni les éducateurs, ni les animateurs, ni les associations ne peuvent aujourd’hui relever, seuls, le défi de la réussite éducative. "On n’est plus dans le modèle de l’école républicaine française de Jules Ferry, où l’éducation se résumait à l’école, organisée par l’État, a expliqué le sociologue Bernard Bier. Dans sa famille comme à l’école, l’enfant était confronté à un même modèle d’autorité et la transmission du savoir était verticale alors qu’aujourd’hui le savoir, comme l’autorité, vient de plusieurs sources."
Chaque société définit le modèle d’éducation qui lui correspond. Dans la société de communication qui est la nôtre et alors que les enfants évoluent dans beaucoup de sphères éducatives (la famille, l’école, les centres de loisirs, les clubs sportifs…)," nous avons à réinventer quelque chose qui a mis un siècle et demi à s’organiser", a poursuivi l’universitaire. Multitude des espaces de socialisation, accélération du temps, via les nouvelles technologies… Mais aussi l’apparition de politiques éducatives territoriales, à partir des années 1980, qui change aujourd’hui la donne.
Depuis la décentralisation et la création des zones d’éducation prioritaires (ZEP), les collectivités locales — et notamment les villes — sont devenues des acteurs des politiques éducatives. À plusieurs titres. En tant qu’initiatrices de partenariats (comme les Animalins à Saint-Etienne-du-Rouvray), mais aussi en tant que pilotes de l’organisation urbaine.
En s’appuyant sur les études qu’il a menées à Lyon, Jacques Donzelot, historien du social et sociologue de l’urbain, a voulu attirer l’attention sur les limites d’une rénovation urbaine qui ne prendrait pas en compte l’enjeu scolaire : "On peut urbaniser les cités, mais ce n’est pas pour autant que les habitants des quartiers intégreront la ville", a-t-il lancé. "Les rigidités de l’éducation", le manque de liens entre les enseignants et le milieu dans lequel ils travaillent font que "l’effet ghetto persiste par-delà la rénovation urbaine". Un écueil qui guette les politiques publiques qui n’actionneraient qu’un seul levier. Et qui ne prendraient pas en compte une vision plus globale des projets de ville, associant l’approche urbaine, mais aussi sociale, culturelle, éducative.
Face à de tels enjeux, de nombreuses questions se bousculent sur la conception d’une ville accueillante pour les enfants. À partir de ses études anthropologiques sur la façon dont les enfants organisent leur espace dans les cours de récréation Julie Delalande, professeure à l’université de Caen-Basse Normandie, a ainsi dégagé quelques pistes de réflexion. "Ils ont besoin d’espaces intimes pour s’isoler, mais aussi d’espaces non aménagés pour avoir des terrains de liberté". Des espaces malheureusement battus en brèche au fil des années au nom de la transparence et d’une vision sécuritaire de l’enfant, ou du jeune, pour lequel on nourrit toutes les craintes, mais qu’à l’inverse on stigmatise dans l’espace urbain comme fauteurs de troubles. Dès lors comment concilier le besoin des adultes de sécuriser et de contrôler l’espace des enfants et le besoin de liberté et de création de ces derniers ? C’est toute la question de savoir "comment se met-on tous ensemble à égalité de légitimité autour de la table ronde éducative ?", a résumé Bernard Bier.
Présent pour ce dernier acte des Assises, le président du réseau français des villes éducatrices, Yves Fournel, adjoint au maire de Lyon, a conscience du défi qui attend tous les acteurs de l’éducation et, au premier chef, les collectivités. Il faut apprendre à "travailler ensemble, en passant des contrats pour inscrire nos actions dans la durée", a-t-il insisté. C’est ce que la Ville de Saint-Etienne-du-Rouvray a commencé à faire avec les Animalins, qui reposent sur un contrat avec l’Éducation nationale et la Caf de Rouen. Une première étape à consolider : "Notre projet éducatif local est un processus qui s’inscrit dans le temps, a insisté Joachim Moyse, premier adjoint au maire, en conclusion des Assises. Notre territoire a des potentialités, des ressources que nous devons mettre au profit de l’épanouissement et de l’expression des enfants". Une manière d’annoncer le travail à venir sur les "quartiers d’enfants" qui passe par le recensement de tous les espaces et structures à mettre au service de l’éducation pour inventer un territoire qui deviendrait en lui-même "apprenant". Une utopie ? Pas forcément : les Québécois l’ont fait.
Isabelle Friedmann