Projet de loi de finances pour 2012

intervention de monsieur le député

Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des centaines de milliers de personnes ont défilé ce week-end dans le monde entier, dans 952 villes et à travers 82 pays, pour dire leur indignation et leur colère face à l’impunité dont bénéficient les banques et les marchés financiers, dénoncer la complaisance dont font preuve les responsables politiques à l’égard des responsables de la crise, dont le premier objectif est d’en faire payer aux peuples la facture au travers de programmes d’austérité.

Ce mouvement prend de l’ampleur au fil des mois et progresse en popularité, car une part croissante de la population s’aperçoit qu’elle a été flouée.

Les chefs d’État s’étaient engagés, en 2008, à moraliser le capitalisme : non seulement rien n’a été véritablement entrepris pour réguler les marchés et éviter la survenue d’une nouvelle crise, mais surtout, vouloir moraliser le capitalisme est un leurre, une mission impossible, car on ne moralise pas un système dans lequel l’homme est un moyen et non une fin.

La crise prend aujourd’hui la forme d’une spéculation sur les dettes souveraines des États, une crise qui n’aurait pu surgir si les pays européens s’étaient dotés d’outils adéquats pour mettre un terme à la spéculation et à cette libre circulation des capitaux inscrite dans le traité de Lisbonne ; une crise qui n’aurait pu prospérer sans la progression spectaculaire de l’endettement dans la dernière décennie.

Vous voulez nous faire croire que cette dette s’est accumulée car nous aurions vécu au-dessus de nos moyens. C’est ainsi, en tout cas, que vous tentez de justifier vos politiques de restriction budgétaire. La réalité est tout autre. L’endettement public tient, en effet, à deux facteurs essentiels.

Le premier est l’obligation faite, depuis trente ans, aux États d’emprunter sur les marchés financiers, et non aux banques centrales, à des taux parfois supérieurs à leur propre taux de croissance, une obligation confirmée par les traités de Maastricht et de Lisbonne, qui ont interdit aux États de se financer directement auprès de la Banque centrale européenne. L’obligation de se financer sur les marchés financiers a aggravé, dans des proportions aujourd’hui insoutenables, la charge de la dette publique. On mesure par là même les dégâts occasionnés par cette Europe du tout marché et du tout financier.

Le second facteur d’endettement a été, bien évidemment, la baisse considérable du montant des recettes fiscales, une baisse orchestrée politiquement à l’échelle européenne. La politique de coordination par la concurrence, qui fut le fil conducteur de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, a incité les gouvernements nationaux des États membres à privilégier la concurrence sur la coopération.

Nous payons aujourd’hui les conséquences de la course folle à la compétitivité fiscale et sociale encouragée par Bruxelles. De ces deux facteurs, de ces deux choix politiques, vous êtes entièrement responsables.

Le pacte de stabilité monétaire, qui avait été présenté comme indispensable à la cohésion de la zone euro, loin d’ouvrir une période de croissance soutenue, a bridé les investissements et les salaires, maintenu un chômage de masse, accru, dans des proportions inouïes, les inégalités au sein de la zone euro, tant entre pays – nous en avons aujourd’hui l’illustration – qu’entre citoyens, freiné la croissance de notre continent au bénéfice exclusif des détenteurs de capitaux.

Toute la politique conduite par votre majorité depuis dix ans a consisté à accompagner cette fuite en avant dans la promotion du moins-disant fiscal et social, un moins-disant qui visait en premier lieu le coût du travail, le montant des prestations sociales et des pensions de retraite, le périmètre de l’action publique, la qualité des services publics.

C’est également au nom de ce moins-disant fiscal, déguisé sous le vocable d’attractivité, que vous n’avez eu de cesse de réduire les impôts des grandes entreprises et des nantis, un transfert de charge des bases les plus mobiles vers les moins mobiles, poursuivi avec opiniâtreté, quitte à piétiner les principes de justice fiscale les plus élémentaires.

La logique de concurrence fiscale et sociale dans laquelle se sont engagés, depuis 2002, les gouvernements successifs a tendu à faire peu à peu de la France un petit paradis fiscal pour les grandes entreprises et les ménages les plus riches. Depuis 2002 et plus encore depuis 2007, la multiplication des mesures en faveur des entreprises et des titulaires des plus hauts revenus s’est traduite par plusieurs dizaines de milliards d’euros de nouvelles dépenses fiscales, demeurées, pour la plupart, sans effets tangibles sur la croissance et l’emploi.

Ces mesures ont consacré une dégressivité de l’impôt profondément choquante : l’impôt sur les sociétés est ainsi proche de 30 % pour les PME de moins de dix salariés, mais tombe à 20 % pour les entreprises de plus de 500 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés et, enfin, à 8 % pour les entreprises du CAC 40.

Même constat concernant les ménages puisque le taux effectif d’imposition des plus hauts revenus est aujourd’hui fort éloigné du taux marginal de l’impôt sur le revenu, fixé actuellement à 41 %. Il est de 25 % pour les mille plus hauts revenus et tombe à moins de 17 % pour les dix plus hauts revenus.

Ces cadeaux fiscaux ont eu une incidence considérable sur le déficit et l’aggravation de la dette publique. Sans eux, la France aurait connu un excédent budgétaire dans les trois années qui ont précédé la crise, et les déficits auraient été probablement inférieurs à 3,5 % en 2009 au lieu de 7,5 %.

Le fait est que la dette publique aura doublé en dix ans de gouvernement de droite, passant de moins de 900 milliards d’euros en 2002 à plus de 1 800 milliards en 2012, et que cette aggravation est, pour l’essentiel, la conséquence du manque de recettes, combiné à la dégradation de l’emploi et à la faiblesse des rémunérations, qui ont elles-mêmes affaibli l’assiette des prélèvements sociaux.

Non, le problème aujourd’hui n’est pas celui de la dépense publique, c’est celui des recettes.

Le bilan de vos années de gouvernement est désastreux. Les chiffres en témoignent, qu’il s’agisse du chômage, dont le taux s’élève à 9,2 % et devrait encore progresser l’an prochain, ou de la croissance, qui n’atteindra pas le chiffre que vous escomptiez initialement de 2,25 %, ni même celui, révisé, de 1,75 % mais pourrait bien, selon certains instituts de conjoncture, ne s’établir finalement qu’aux environs de 1,2 %, voire 0,8 %. Plus douloureux et plus inquiétant encore est le chiffre de la pauvreté, puisque 8,2 millions de nos concitoyens, 13,5 % de la population, vivent désormais sous le seuil de pauvreté, un chiffre en augmentation de 680 000 depuis 2000, soit 9 %. Voilà votre bilan !

Dans le même temps, selon le palmarès des 500 plus grosses fortunes de France publiées par le magazine Challenges, la valeur du patrimoine des grandes fortunes a explosé en 2010 et 2011, et le magazine constate que, sur quinze ans, les fortunes ont crû six fois plus vite que la moyenne de l’économie du pays ou que les rémunérations les plus basses. Elles ont augmenté de 100 % en dix ans et de 340 % en trente ans ! Nous assistons à un véritable détournement de la richesse créée, que vous avez favorisé, défendu, au prétexte que cela était bon pour l’économie.

On en voit le résultat aujourd’hui : les 500 plus grandes fortunes, qui, toutes, correspondent à un patrimoine de plus de 60 millions d’euros, sont parfois colossales, se montant à plusieurs milliards d’euros.

Alors que nos PME peinent à accéder au crédit, les entreprises du CAC 40 prospèrent pour le plus grand profit de leurs dirigeants et actionnaires. Le résultat cumulé des quarante sociétés de l’indice atteint 82,5 milliards d’euros, soit 85 % de plus que l’année passée. Selon le journal Les Échos d’hier, « les résultats des entreprises et leurs dividendes sont en progrès constant et en passe de renouer avec les sommets passés ». L’austérité, on le voit, n’est pas pour tout le monde !

L’argument selon lequel l’ampleur des déficits et de la dette publique, qui résultent avant tout de choix politiques, impose de nouvelles restrictions budgétaires n’est qu’un prétexte. Vous usez du pire des instruments, la peur, y compris le chantage sur l’avenir de leurs enfants, pour contraindre nos concitoyens à accepter l’inacceptable.

Une fois de plus, le choix a été fait dans ce budget de privilégier l’austérité sur la croissance, dans l’unique but de satisfaire aux exigences des agences de notation et des marchés financiers.

Quelle déchéance que de voir des États soumis à de vulgaires agences privées, dirigées par des financiers souvent juges et parties dans ce monde nauséabond qui, selon une expression de Patrick Artus, « se gave de liquidités jusqu’à l’overdose ».

Au prétexte de réaliser des économies, vous allez supprimer l’an prochain 30 000 postes de fonctionnaires supplémentaires, portant à 150 000 le nombre de postes supprimés depuis quatre ans. Vous allez, ce qui n’est pas moins dangereux, comprimer un peu plus les dépenses de fonctionnement et d’intervention et réduire de quelque 200 millions d’euros les dotations aux collectivités locales, en dépit de l’étendue et de l’importance de leurs missions, cela après avoir gelé, c’est-à-dire baissé en valeur, leurs dotations depuis trois ans.

Ces mesures dangereuses mettent en péril les moyens d’action de l’État et des collectivités, leur rôle de garant de la cohésion sociale et de levier de l’activité économique. Vos mesures compromettent le retour de la croissance, car une baisse des dépenses publiques risque d’avoir pour conséquence, comme le soulignait le FMI en octobre dernier, une baisse correspondante de la richesse produite, et alors que l’OFCE alerte sur le fait que l’austérité dans toute l’Europe mène tout droit à la récession.

C’est ce à quoi nous sommes en train d’assister. Vous êtes en train de créer une situation gravissime.

Sur le plan des recettes, le nouveau coup de rabot sur les niches fiscales des entreprises et des particuliers à hauteur de 10 milliards d’euros représente un effort notoirement insuffisant. Surtout, les hauts revenus et les grandes entreprises ne contribueront, au final, que pour la moitié à peine. Le reste sera supporté par l’ensemble de nos concitoyens et plus lourdement encore par les foyers les plus modestes, notamment par la voie de l’augmentation de la taxe sur les mutuelles décidée en septembre. Cette mesure va renchérir le coût des mutuelles pour nos concitoyens à l’heure où, selon un récent sondage mené par Viavoice et publié mardi 12 octobre, un Français sur trois déclare avoir renoncé à certains soins ou bien les avoir remis à plus tard, en raison de leur coût.

Pour résoudre la crise, vous n’hésitez pas à vous attaquer à la santé de nos concitoyens. Là encore, les plus aisés s’en sortiront. Quelle injustice, quel mépris et, surtout, quelle fausse solution !

Les actionnaires et les rentiers restent les enfants gâtés de votre politique. La mesure de taxation des hauts revenus en est l’illustration puisqu’il ne s’agit, en réalité, que d’un artifice cosmétique. Cette taxe provisoire de deux ans de 400 millions d’euros ne peut, en effet, faire oublier que vous leur avez consenti, en juillet dernier, une baisse de 2 milliards d’euros de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Pour tenter de montrer que vous êtes impitoyable avec ces nantis, vous avez déclaré, madame la ministre, que vous les ponctionniez de 2 milliards d’euros au total, et vous aviez l’air de trouver la somme considérable. D’abord, ce n’est jamais que l’équivalent de la baisse d’impôt de solidarité sur la fortune de juillet et, surtout, cela ne représente que 1,6 % des 120 milliards d’euros dont se sont enrichies les 500 plus grandes fortunes en dix ans.

Vous n’arriverez décidément pas à convaincre que vous touchez à la fortune des plus riches de ce pays.

Sortir de la crise, c’est mettre un terme au formidable détournement d’argent opéré par les plus riches, arrêter la spéculation, arrêter les dividendes exorbitants acquis au détriment des salaires, du financement de la protection sociale et de l’économie. Est-il normal qu’en vingt ans, comme le souligne l’OCDE, les salaires aient augmenté de 81 % et les dividendes de 355 % ? Est-il normal que Michelin augmente ses salaires de 1,4 % et les dividendes de ses actionnaires de 30 % ? Est-il normal que ce soient les plus riches qui, proportionnellement, paient le moins d’impôts ?

Oui, il faut une autre répartition des richesses et on doit rendre l’argent utile, c’est-à-dire le mobiliser pour relancer la croissance. Cela veut dire accorder la priorité à la relance de la demande intérieure, à la relance de l’investissement public comme privé et à une politique fiscale conjuguant justice et efficacité.

Il est possible de retrouver des marges de manœuvre en luttant plus efficacement contre l’évasion fiscale, qui représente un coût évalué entre 30 et 50 milliards d’euros annuels. Cela passe par une politique vigoureuse de lutte contre les paradis fiscaux et une politique volontariste d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne.

Plus fondamentalement, les différents rapports du Conseil des prélèvements obligatoires ont mis en exergue le montant proprement exubérant des niches fiscales dont l’utilité économique ou sociale reste à démontrer. Les 468 niches fiscales ont représenté l’an passé un coût annuel de quelque 74,8 milliards d’euros, en augmentation de 8,7 milliards d’euros depuis 2005. Des niches auxquelles il convient d’ajouter les nombreux dispositifs dérogatoires déclassés en 2006, dont le poids est, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, plus de deux fois supérieur à celui des niches proprement dites, et s’élevait à 71,3 milliards d’euros en 2010, contre 19,5 milliards en 2005.

La hausse spectaculaire du coût de ce qui s’appelle, de manière poétique, les « modalités particulières de calcul de l’impôt » a eu essentiellement pour origine trois dispositifs qui bénéficient aux grandes entreprises : le régime des sociétés mères-filles – 35 milliards d’euros –, le régime d’intégration fiscale des groupes – 19,5 milliards – et la taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant de la cession de titres de participation, évaluée à 6 milliards d’euros par an.

Ce type de dispositif explique pourquoi le taux d’imposition réel des sociétés est si éloigné aujourd’hui du taux facial de 33,3 % et pourquoi subsistent d’aussi fortes inégalités fiscales entre grandes entreprises, d’un côté, PME et TPE, de l’autre. Nous sommes aussi pour une modulation à la hausse et à la baisse de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’efficacité économique, sociale et environnementale de leurs stratégies de développement.

Au total, l’ensemble des cadeaux fiscaux, niches et MPCI, coûte à la France 146 milliards d’euros. C’est 7,6 % du produit intérieur brut, alors même que vous voulez ramener le déficit cette année à 5,7 % du PIB. Voilà pourquoi, sur ces 146 milliards, nous proposons de récupérer 50 milliards.

Parmi les autres niches dont bénéficient les entreprises figurent, bien sûr, les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, qui plombent les comptes sociaux – 25 milliards ne servent pas à l’emploi, selon la Cour des comptes elle-même – ou les dispositifs introduits en lois de finances, tels que l’exonération des heures supplémentaires, la TVA dans la restauration – un taux de 12 % réduirait la dépense de 3 milliards à 1 milliard d’euros –, et le crédit d’impôt recherche, qui coûte 4 milliards et doit être, lui aussi, modulé.

Concernant l’imposition des particuliers, les dérives ont, là aussi, été nombreuses. L’impôt sur le revenu a ainsi connu plusieurs réformes depuis 2002, qui ont toutes contribué à en réduire le rendement et la progressivité. Comme l’a souligné la Cour des comptes à plusieurs reprises, les baisses des taux du barème intervenues entre 2002 et 2007 ont bénéficié très majoritairement aux 10 % des ménages les plus riches : 10 % des contribuables ont bénéficié de 79 % des réductions de la baisse de 5 % intervenue en 2002. Nous proposons, avec un taux marginal à 75 %, le retour à neuf tranches et l’élargissement de l’assiette, d’obtenir de l’impôt sur le revenu 17 milliards d’euros supplémentaires.

De même, taxer le capital comme le travail rapporterait 100 milliards d’euros. Taxer les transactions financières à l’échelle européenne à hauteur de 0,05 % permettrait de freiner la spéculation et de dégager 200 milliards d’euros. Il faut reprendre le pouvoir sur les marchés financiers et arrêter de s’agenouiller devant les agences de notation qui ne sont que les exécutants des marchés financiers.

Il faut arrêter le détournement de richesses, afin de répartir celles-ci autrement, dans l’intérêt de nos concitoyens et du développement économique. Il faut relancer l’économie en s’appuyant sur la création d’un pôle financier public.

Tels sont les grands axes d’une sortie de crise et de la mise en œuvre d’un nouveau progrès économique et social dans notre pays. Tout le reste n’est que soumission à la loi d’intérêts privés qui, comme leur nom l’indique, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intérêt général.

Voilà pourquoi les députés communistes, républicains, du Parti de gauche et verts voteront contre ce budget de régression économique et sociale.

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