« Costa Concordia », le récit d’une nuit de naufrage

LEMONDE.FR | 16.01.12 | 20h10   •  Mis à jour le 16.01.12 | 20h39

Au moins six personnes sont mortes, une soixantaine ont été blessées, au moins une quinzaine sont portées disparues dans le naufrage de ce navire qui transportait plus de 4 000 personnes.

Au moins six personnes sont mortes, une soixantaine ont été blessées, au moins une quinzaine sont portées disparues dans le naufrage de ce navire qui transportait plus de 4 000 personnes.AFP/ANDREAS SOLARO

Près de la côte de la petite île de Giglio, l’épave s’est enfoncée d’une dizaine de centimètres. L’orage et la mer agitée du début d’après-midi, lundi 16 janvier, ont menacé de faire sombrer totalement le navire échoué trois jours plus tôt, poussant les sauveteurs à suspendre leurs recherches pendant quelques heures, peu après la découverte d’un sixième corps. Alors que le commandant est accusé d’homicides involontaires multiples et d’abandon de navire, l’examen de l’équivalent des « boîtes noires » doit encore déterminer l’enchaînement exact des événements qui ont mené au naufrage. Mais déjà, des témoignages et des vidéos partagées par les passagers permettent de reconstituer le récit du naufrage.

« ATTENTION, NOUS SOMMES TRÈS PRÈS DE LA RIVE »

« Antonio, viens voir, nous sommes tout près de ton Giglio ! », le navire a quitté Civitavecchia, près de Rome, depuis sept heures. Il est peu de temps avant 21 h 40. Le commandant, Francesco Schettino, interpelle un responsable des serveurs du bateau : il tient à le remercier d’avoir renoncé à une semaine de congé par cet « inchino ». Comprendre une révérence, un salut, toutes lumières et toutes sirènes, à la petite île dont est originaire l’employé, raconte le Corriere della Sera. « ‘Attention, nous sommes très près de la rive’, répond-il au commandant. Trop tard, » relate le quotidien italien. Le navire heurte un rocher, une large brèche s’est ouverte dans la coque. Il se trouvait en effet très près de la côte : à 150 mètres, selon le procureur en charge de l’enquête.

Sur le bateau, ce gigantesque temple du divertissement aux cinquante-huit suites avec balcons, cinq restaurants, treize bars, cinq jacuzzis, quatre piscines, c’est le blackout. La première partie de cette vidéo témoigne du message diffusé par la direction du navire. Dans toutes les langues, le message martèle qu’il s’agit d’un problème électrique. « La lumière a été coupée à cause d’un problème électrique. Nous contrôlons la situation. Nos techniciens cherchent à résoudre le problème et nous vous informerons des prochains éléments dès que nous en aurons connaissance, » rassure la voix émanant du haut-parleur.

 

Dans le même temps, les garde-côtes appellent le navire : « Nous avons des signaux qui indiquent qu’il y a quelque chose d’anormal, répondez s’il vous plaît », relate le Corriere della Sera. Au bout de la ligne, la même réponse, rapporte le journal : « Nous avons une panne de courant, nous sommes en train de la réparer ». Dans le couloir du navire, des touristes interpellent en espagnol un membre de l’équipage : « Tu parles espagnol ? ». « Un petit peu », répond calmement l’employé. « Pourquoi tu portes une veste de sauvetage, si tout va bien ? Pourquoi ? », questionne le touriste. Aucune réponse de l’employé.

« TOUT VA BIEN, C’EST SOUS CONTRÔLE »

Un autre témoignage, rapporté par l’AFP, fait état du même déficit d’information : un couple d’origine britannique dîne, lorsqu’ils entendent « un craquement ». Un verre glisse sur la table, l’homme demande à un membre de l’équipage s’il y a un problème. « Non, c’est le moteur », lui aurait-il répondu. Les lumières s’éteignent, se rallument, le bateau penche, les assiettes volent et s’écrasent, raconte le rescapé. « C’était le bazar. Tout le monde attrapait les gilets de sauvetage. Mais ils [l’équipage] ont dit : tout va bien, c’est sous contrôle », poursuit le touriste, de retour à Londres.

Il est 22 h 15, le standard de la police de la ville de Grosseto explose, rapporte le Corriere. « A l’aide, à l’aide, il y a eu un grand bruit », alerte une femme. Une voix d’homme explique : « Nous sommes au large de Giglio, nous avons entendu un grand ‘bang’. Mais c’est une heure après le choc, vers 22 h 42-43, que le navire lance l’alerte, selon le journal. L’ordre est donné de quitter le navire : sept brèves sonneries, puis une longue, retentissent, selon un témoin.

« HYSTÉRIE COLLECTIVE »

Jusqu’à 6 heures du matin, les passagers sont évacués. Tous leurs récits décrivent la même panique. « Tout le monde courait dans une ambiance d’hystérie collective et chacun ne pensait qu’à sauver sa propre peau. L’équipage avait évidemment oublié que son devoir était de rétablir l’ordre et d’attendre que les passagers descendent d’abord. Les membres d’équipage se bousculaient pour fuir avant nous. Dans cette panique, certains tombaient, d’autres leur marchaient dessus. D’autres, désespérés, se jetaient à la mer », a raconté à l’AFP une touriste de Bosnie.

Cet autre témoignage, d’une Française, recueilli par France Bleu, fait état de l’inorganisation des membres d’équipage. La vidéo ci-dessous témoigne du mouvement de panique alors que les passagers procèdent à l’évacuation. « Restez calme, nous contrôlons la situation », crache toujours un haut-parleur, en anglais. D’autres images, visionnables sur le site de la BBC attestent de ces scènes d’hystérie : « des passagers se battent pour des gilets de sauvetage, d’autres se jettent à l’eau pendant que les bateaux de sauvetage se remplissent », commente le journaliste. « Alors que le bateau penche, des passagers racontent avoir circulé dans les couloirs du bateau, sans aucune lumière, essayant de trouver la sortie », explique le reporter. Le commandant, lui, a déjà quitté le navire : un peu avant minuit, le commandant est aperçu sur les rives de Giglio, selon les pompiers.

Selon un serveur colombien, « les sauveteurs, la police, les pompiers ont mis au moins 45 minutes pour arriver ». Une Française, dont le mari fait partie des personnes noyées dans le naufrage, raconte au Figaro qu’« il n’y avait personne pour sauver [son] mari ». Elle ne sait pas nager, le couple n’a qu’un gilet de sauvetage et les chaloupes sont déjà pleines, explique-t-elle : son époux lui donne le gilet. L’homme de 71 ans se jette dans l’eau glacée et se noie.

REPRISE DES RECHERCHES

« C’était sauve qui peut et chacun pour soi », explique ce Français interrogé par France 3, qui fustige l’inorganisation de l’équipage et l’absence d’exercice d’évacuation au début du voyage. Arrivé dans une chaloupe, il explique les difficultés rencontrées pour la mettre à l’eau et la faire démarrer.

Les passagers sont alors hébergés dans les quelques chambres d’hôtel de l’île de Giglio, les gymnases, les écoles, les garderies et même l’église.

 

Dans le même temps, Edgard Lopez Sanchez, serveur colombien sur le Concordia et neuf autres membres d’équipage s’activent pour secourir les autres occupants du bateau, a-t-il raconté à l’AFP. « Nous avons sauvé entre 500 et 600 personnes, j’ai fait une dizaine de voyages avec le canot, il faisait froid, il y avait du vent », explique cet employé de 48 ans. De nombreux passagers sautent du navire et se cassent, qui un bras, qui une jambe sur les rochers.

 

Un plongeur italien inspecte le Costa Concordia, lundi 16 janvier.

Un plongeur italien inspecte le Costa Concordia, lundi 16 janvier. REUTERS/HANDOUT

Après plusieurs heures d’interrogatoire, samedi 14 janvier, dans la soirée, le parquet annonce l’incarcération du commandant de navire. Les recherches s’organisent pour sauver de rares rescapés, comme ce couple sud-coréen en voyage de noces, coincé dans une cabine pendant trente heures ou un commissaire de bord qui avait passé 36 heures piégé dans une salle de restaurant. Lundi 16 janvier, dans l’après-midi, après le passage de l’orage, les sauveteurs avaient repris leurs opérations, à la recherche d’une quinzaine de personnes encore portées disparues.

Flora Genoux (avec agences)

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