L’incroyable naufrage du paquebot Costa Concordia

 

 

Dimanche soir, la compagnie propriétaire du navire, Costa Croisières, a pour la première fois mis en cause directement le commandant, Francesco Schettino.

Le Monde avec AFP

« Costa emploie un personnel international. Il y a généralement 60 à 70 nationalités au sein de l’équipage d’un tel paquebot, composé notamment de personnels asiatiques »

http://www.meretmarine.com/article.cfm?id=118431&u=2802&xtor=EPR-56-[newsletter]-20120116-[article]

16/01/2012

Compagnies maritimes, chantiers, voyagistes et bien entendu passagers… Le monde de la croisière est sous le choc après le naufrage, dans la nuit de vendredi à samedi, du Costa Concordia. Le grand paquebot de Costa Croisières s’est couché devant le port de la petite île du Giglio, en Toscane, après avoir heurté un récif, qui a éventré sa coque. Les images ont fait l’effet d’une bombe. Impressionnantes, surréalistes même, que ces photos et vidéos montrant l’imposant navire de 290 mètres et 114.500 tonneaux, l’un des plus gros exploités en Europe, reposant sur le flanc tribord, tout près des rochers. Le Costa Concordia avait quitté le port de Civitavecchia vendredi à 19 heures et se dirigeait vers Savone à l’issue d’une croisière d’une semaine en Méditerranée. Après un séjour de détente et de découvertes, la plupart des passagers profitaient de leurs derniers moments à bord. Savone est en effet le port de départ du circuit sur lequel était positionné le navire. Il y embarquait et y débarquait le gros de ses passagers. Le Concordia était aussi en tête de ligne à Civitavecchia, ainsi qu’à Marseille, où il devait arriver hier, comme chaque dimanche cet hiver. C’est ce qui explique la présence de nombreux passagers français à bord. En tout, il y avait 4229 personnes sur le Concordia, soit 1013 membres d’équipage et 3216 passagers, dont, pour ces derniers, 989 Italiens, 569 Allemands, 462 Français, 177 Espagnols, 177 Croates et 129 Américains.

Cinq morts et une quinzaine de personnes manquant à l’appel

Hier, le bilan, toujours provisoire, faisait état de cinq morts, quatre passagers, dont deux français, et un membre d’équipage péruvien, des dizaines de blessés et toujours une quinzaine de personnes manquant à l’appel (11 passagers et 6 membres d’équipage). Sans relâche, les sauveteurs ont poursuivi ce dimanche les recherches sur le navire. Et il y a eu des miracles. Ainsi, un couple de jeunes sud-coréens en voyage de noces, a été sauvé après avoir passé 24 heures dans leur cabine, où ils étaient coincés. Hier matin, d’autres voix ont été entendues par les secouristes, qui tentent d’accéder à tous les locaux du gigantesque bateau, à moitié immergé. Blessé, le commissaire du bord a pu être secouru et a été hélitreuillé. Malheureusement, dans l’après-midi, deux corps sans vie ont été découverts par les équipes de secours. D’autres survivants pourraient être bloqués dans les entrailles du paquebot, notamment dans des poches d’air, mais les plongeurs peinent à accéder à tous les locaux. Les recherches se poursuivent donc pour repérer les survivants, une course contre la montre car, plus le temps passe, moins les chances de survie sont importantes.
Dans le même temps, les autorités, les sauveteurs et les équipes de Costa comptent et recomptent les personnes déjà évacuées, afin de déterminer avec précision combien sont en sécurité. Le chiffrage a été rendu difficile, bien évidemment, par l’urgence des opérations et la confusion régnant sur samedi sur l’île, d’où les rescapés ont été évacués vers Porto San Stefano, sur le continent. Dans les canots de sauvetage, sur les nombreux bateaux venus porter assistance, en hélicoptère ou même à la nage, tous les moyens furent bons pour quitter le paquebot et sauver sa vie. Dans la tourmente, certains naufragés ne se sont pas fait connaître. Il faut donc recouper les listes, ou encore contacter les familles, afin de déterminer avec précision combien de personnes ont vraiment disparu.

Un choc violent et des scènes de panique

Vendredi soir, alors que la plupart des passagers étaient au restaurant pour le dîner, le navire, qui longeait l’île du Giglio, a heurté un récif, provoquant une violente secousse suivie d’une coupure d’électricité. « C’est vers 21h30, en plein dîner, que nous avons ressenti de fortes vibrations. Quelques secondes de calme, puis un énorme choc, comme si le bateau avait accroché quelque chose à l’arrière. A ce moment-là, il a commencé à gîter du côté gauche. Des assiettes se sont mises à tomber des tables », raconte un passager. Après un moment de flottement, comme le veulent les procédures de sécurité, les passagers ont été invités à rejoindre les stations d’évacuation, sans que l’ordre d’abandonner le navire soit donné. Le personnel, qui suit des formations et des entrainements pour ce type d’évènement, a rejoint les postes qui lui sont attribués en pareil cas pour guider les passagers vers les canots et distribuer les gilets de sauvetage. « On nous a dit qu’il ne s’agissait que d’un petit problème technique, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que la situation était maîtrisée. Mais au bout d’un moment, le navire a commencé à se pencher de l’autre côté, vers la droite ; et cette fois, ça n’avait pas l’air de s’arrêter, il gîtait de plus en plus ». On imagine alors facilement le sentiment des passagers, pour beaucoup venus en famille. Comme certains l’ont confié, le souvenir de catastrophes maritimes a immédiatement occupé leur esprit. Même si, dans l’ensemble, le courant semble avoir été maintenu grâce aux générateurs de secours ou bien le maintien ou la remise en route de tout ou partie des générateurs principaux (comme en témoignent les images du paquebot presque totalement éclairé), des pertes d’électricité sont apparemment intervenues, plongeant certaines parties du navire dans le noir et ajoutant au stress. La tension est sans doute montée progressivement, au fur et à mesure que le temps passait, que les passagers attendaient dans le froid et l’angoisse et que le navire s’inclinait. Et, même si la grande majorité a visiblement gardé plus ou moins son calme, des passagers ont cédé à la panique, faisant que la situation est, à certains endroits, devenue quasiment incontrôlable. Les passagers décrivent, ainsi, des scènes d’affolement collectif. « C’était surréaliste. Des gens paniquaient, certains se battaient même pour monter dans les canots. Ça a été de la folie », raconte une rescapée. Une autre passagère affirme même que « des hommes ont poussé des enfants pour monter dans des canots ».

La problématique des mouvements de foule

Rien à voir, donc, avec les exercices règlementaires d’abandon de navire, organisés systématiquement dans les 24 heures suivant le début d’une croisière. Tous les passagers avaient suivi un exercice de ce type, à l’exception de ceux qui avaient embarqué le jour même à Civitavecchia, et qui y aurait participé samedi soir après le gros des embarquements à Savone. Obligatoires pour les passagers, ces exercices visent à faire connaître les procédures en cas d’évacuation, les points de ralliement, les regroupements devant les canots et le matériel de sauvetage. Harnaché dans leur gilet, les passagers se rassemblent alors sur les ponts où ils sont rangés en bon ordre, dans le calme et généralement la bonne humeur, écoutant – avec plus ou moins d’attention – les consignes données par l’équipage dans les principales langues.
Mais, dans la nuit de vendredi à samedi, la réalité était très éloignée de ces exercices théoriques bien huilés. Face à des passagers inquiets, voire paniqués, le problème de la communication a sans doute été primordial. Comme toute grande compagnie de croisière, Costa emploie un personnel international. Il y a généralement 60 à 70 nationalités au sein de l’équipage d’un tel paquebot, composé notamment de personnels asiatiques. Et la langue d’usage à bord est l’Anglais. Même si de nombreux membres d’équipage ont des bases sur d’autres langues, comme l’Italien, le Français ou l’Espagnol, on sait très bien qu’en cas d’urgence, il est très dur de parler autrement que dans sa langue maternelle ou une langue très bien maîtrisée. Or, dans l’affolement, la communication a, manifestement, été très délicate. « La communication est très importante et là, la barrière de la langue a été problématique pour rassurer les passagers », assure un Français présent sur le Concordia.
Il en a résulté une profonde confusion, renforcée par le manque d’information. Beaucoup de rescapés déplorent que les annonces aient minimisé les problèmes et que les officiers affirmaient que la situation était sous contrôle. Mais que fallait-il annoncer aux passagers ? Que le bateau était en train de couler ? Dans pareil cas, la consigne est de rassurer au maximum afin d’éviter la panique et les mouvements de foule, qui sont tout aussi dangereux que l’accident en lui-même. En effet, en cas de panique, les repères sont perdus, il n’y a plus de logique, plus de règle, plus de bon sens. C’est l’instinct de survie qui l’emporte. Et, alors, on se bouscule, on se pousse et on se marche dessus. En face, l’équipage, malgré toutes les formations et les exercices qu’il peut suivre, est impuissant à maîtriser la foule. Les procédures sont alors complètement dépassées. C’est, finalement, en partie ce qui s’est passé au bout d’un moment sur le Costa Concordia. Les témoins parlent d’une grande peur et des images prises lors de l’évacuation montrent, parfois, une incroyable cacophonie, avec des passagers criant et hurlant, ce qui rend les membres d’équipage inaudibles, surtout avec le problème de la langue.
Les marins ont aussi fait face à des passagers qui n’ont pas respecté les consignes. Ainsi, alors que le bateau accusait une gîte d’environ 20 degrés, rendant très difficile la mise à l’eau des canots, certains croisiéristes ont pris peur. Deux Américains ont, ainsi, expliqué une fois sur la terre ferme qu’ils n’avaient pas voulu suivre les recommandations de l’équipage, leur demandant d’attendre à bord. Voyant la côte toute proche et pensant que le navire allait chavirer, ils ont préféré sauter à l’eau et gagner le rivage à la nage. Malheureusement, parmi les personnes qui ont choisi cette échappatoire, on déplore au moins une victime française.

Un drame encore bien pire a sans doute été évité

Dans ce contexte épouvantable, les croisiéristes n’ont pas toujours compris les instructions ni, tout simplement, ce qui se passait. Beaucoup ont, notamment, déploré qu’il ait fallu attendre une heure, voire une heure et demi selon certains témoignages, entre le choc et le moment où l’évacuation a été ordonnée. Cela peut peut-être s’expliquer. D’abord, il a fallu un peu de temps pour que le commandant mesure l’étendue des dégâts et l’évolution prévisible de la situation. Malgré la fermeture des portes étanches, qui prend au maximum 40 secondes selon la règlementation, le Costa Concordia, coque éventrée, a embarqué en quelques instants des tonnes d’eau. Certes, les navires, surtout modernes, sont bien compartimentés mais, compte tenu de l’étendue des dégâts (on découvrira au petit matin une déchirure longue de plusieurs dizaines de mètres), il est sans doute vite apparu que le navire ne pouvait rester à flot. Il allait bel et bien couler. Dans ces conditions, le commandant aurait apparemment bien réagi. « Dans une situation pareille, il faut tenter d’échouer le bateau pour essayer de le stabiliser. C’est la seule manière d’éviter le chavirage », explique un officier travaillant sur des navires de croisière. Malheureusement, il n’y avait pas de plage ou de banc de sable à proximité immédiate, mais des rochers. Très dangereux donc d’aller s’échouer mais, d’un autre côté, rester en mer était probablement encore plus risqué. Car, là où il se trouvait au moment de l’accident, le Costa Concordia, s’il était resté sur place, se serait probablement totalement retourné. Gravement endommagé et probablement privé d’une partie de son appareil propulsif, le navire s’est, si l’on en croit l’évolution de son positionnement, rapproché du rivage, et plus particulièrement du port de Giglio, peut-être pour tenter un échouage, ou tout du moins être le plus près possible du port. La position actuelle du paquebot, à proximité des digues et tout près de la côte, incite à penser que le commandant aurait tenté une manœuvre de ce style. Et il aurait réussi, avec il est vrai beaucoup de chance. Car, si le Concordia s’est presque couché, il n’a pas chaviré, se stabilisant à environ 80 degrés de gîte. Suffisant pour mener à bien l’évacuation, qui a duré plusieurs heures. Si tel n’avait pas été le cas, le bilan aurait pu être autrement plus lourd, avec des centaines de morts et quasiment aucune chance de survie pour les naufragés coincés à l’intérieur. « Après le choc, le commandant était sur la passerelle. Après avoir évalué les dégâts, il a décidé de mettre le bateau en sécurité et, ensuite, il a décidé de le faire évacuer », a précisé hier Gianni Onorato, président de Costa Croisières. Le commandant aurait donc évité une catastrophe gravissime, ce qui ne préjuge en rien des erreurs qu’il aurait pu commettre en amont et desquelles ont pu découler le naufrage.

Le commandant abandonne le navire

Quoiqu’il en soit, le commandant a eu ensuite un comportement incompréhensible. En effet, personne ne s’expliquait hier soir pourquoi Francesco Schettino avait quitté le navire avant la fin des opérations d’évacuation, une information confirmée par le procureur de Grossetto. Logiquement, le commandant doit être dans les derniers à débarquer mais, d’après des témoins, il aurait abandonné le navire très rapidement. L’officier aurait quitté son bateau vers 23H40, alors que l’évacuation s’est prolongée jusqu’à 5 ou 6 heures du matin. Le commandant a même eu le temps de donner une interview à la télévision italienne. « Nous étions les derniers à quitter le navire », a-t-il affirmé, ce qui est évidemment faux. Les autorités lui auraient même demandé, en vain, de regagner le Concordia pour aider à coordonner les secours. Finalement, Francesco Schettino et son second, Ciro Ambrosio, ont été interpellés par la police italienne. Ils ont été incarcérés et sont poursuivis pour homicides multiples, naufrage et abandon de navire.
En dehors du commandant, des passagers se sont aussi émus que d’autres marins du Concordia quittent rapidement le bord. Si l’on ne peut exclure que des personnels aient paniqué, il est aussi prévu que des membres d’équipage évacuent en même temps que les passagers, et même avant certains clients. « Tous les personnels ne sont pas mobilisés jusqu’à la fin pour évacuer les passagers. Il y a des embarcations réservées à l’équipage et quand l’une d’elles est pleine, il n’y a pas de raison de la retenir. De plus, il est prévu que des membres d’équipage embarquent avec les passagers pour les encadrer dans la chaloupe », explique un officier. De même, il ne parait pas aberrant que certains personnels, notamment ceux parlant plusieurs langues, aient été envoyés à terre pour aider les secours à assister les naufragés, débarqués sur une toute petite île où le manque d’encadrement se faisait cruellement sentir.

Beaucoup trop près de la côte

Immédiatement après l’accident, de nombreuses personnes se sont interrogées sur la proximité du Concordia avec la côte. Le parcours du navire, que l’on peut suivre grâce à son système d’identification automatique (AIS) pose en effet question. Après son appareillage de Civitavecchia, le paquebot aurait filé tout droit sur l’île. Puis, arrivé à moins de 3 kilomètres du Giglio, il a apparemment changé de cap. Une route qui longe l’île et qui ne serait pas inhabituelle pour le paquebot. Le quotidien italien La Stampa a, en effet, retrouvé un courrier émanant d’élus de l’île de Giglio. Ceux-ci remercient la compagnie Costa après que, en août dernier, le Concordia se soit approché tous feux allumés du port, où s’étaient rassemblés la population et de nombreux touristes. Évoquant la beauté de ce spectacle, les élus se demandaient alors s’il serait possible de répéter cet évènement. Interrogé sur la question, le maire de la commune a affirmé hier qu’aucune manœuvre de ce type n’était prévue. Dans le même temps, des télévisions françaises ont rapporté hier soir des témoignages d’habitants du Giglio. Ceux-ci parlent d’une tradition, la « parade », qui aurait été instaurée avec les paquebots il y a quelques années. Ainsi, les navires, dont certains membres d’équipage sont originaires de l’île et y ont encore de la famille, s’approcheraient pour saluer les habitants…
Les informations AIS montrent en tous cas que le Concordia a clairement mis le cap sur l’île, à la vitesse d’environ 15 noeuds. Puis, plutôt que de longer la côte en parallèle mais à bonne distance, aurait pris une route légèrement inclinée, qui le rapprochait progressivement du rivage. Rapidement, la distance le séparant du rivage aurait décru, au point que le Concordia ne serait passé qu’à quelques centaines de mètres de Porto Giglio. La carte présentée ci-dessous à partir des informations AIS diffusées par Marine Traffic, dont les informations sont réputées comme fiables, comprend néanmoins une zone d’ombre assez étonnante. Alors que les informations AIS sont données toutes les 4 minutes jusqu’à 21H37, il s’écoule 16 minutes avant la position suivante, à 21H53, où le paquebot file à très petite vitesse (donnée à 2.9 noeuds). Entre les deux, le système, automatique, a tracé une ligne droite mais, faute de point intermédiaire, on ne peut tenir ce parcours entre 21H37 et 21H53 pour certain, même s’il parait plutôt cohérent. La dernière émission AIS montre le bateau quasiment à l’arrêt, au nord de Porto Giglio. Pour arriver là où il s’est échoué, il a donc fallu que le paquebot fasse demi-tour afin de se rapprocher du port. On notera que les horaires indiqués sur cette carte (UTC + 1 heure) ne corroborent pas certains témoignages de passagers, qui parlent d’un choc « vers 21H30 ». Ils semblent en revanche plus conformes à ceux annoncés par le groupe américain Carnival Corporation, la maison-mère de Costa, qui situe l’accident vers 22H. Là aussi, il conviendra de vérifier.

« Erreurs de jugement »

Les témoins indiquent qu’avant le choc, ils ont ressenti de puissantes vibrations. Compte tenu de la position des restaurants, notamment celui situé à l’arrière, cela semble correspondre à la cavitation des hélices, très perceptible lorsque le navire tente de ralentir ou change brutalement d’allure, par exemple dans le cadre d’une manœuvre d’urgence. Peut-être que l’officier de quart s’est rendu compte qu’il naviguait trop près de l’île, ou a détecté une anomalie au sondeur, et a alors voulu stopper ou changer de cap pour s’éloigner. Cela permettrait d’ailleurs d’expliquer les dégâts constatés sur la coque. La proue et la partie avant et centrale du navire sont intactes sur tribord (la partie émergée) de même que l’aileron stabilisateur, ce qui exclut un choc frontal ou un raclement par le travers avec un bateau évoluant en ligne droite. L’impressionnante brèche présente sur la partie arrière, où un rocher est encastré, laisse plutôt penser que la collision est intervenue alors que le navire était en giration. En virant de bord, la poupe aurait pu chasser, comme une voiture effectuant un dérapage, et se serait alors encastrée sur un haut fond. Il ne s’agit là que d’une hypothèse, qu’il faudra confirmer ou infirmer.
Le commandant Schettino s’est, pour sa part, défendu d’avoir commis une erreur, évoquant plutôt un éperon rocheux inconnu. « Pendant que nous utilisions le système de navigation, nous avons touché un pic qui sortait de la roche. J’ai des raisons de penser que ce pic n’était pas indiqué par le système de navigation», a expliqué sans vraiment convaincre l’officier peu après son débarquement. Le commandant Schettino fait, quoiqu’il en soit, l’objet de très vives critiques. Francesco Verusio, procureur de Grossetto, a affirmé que le paquebot « s’est approché de manière très maladroite de l’île du Giglio ». Le parquet a ajouté dans la journée que « la route suivie (par le Concordia) n’était pas la bonne. Le navire était à 550 mètres du rivage, ce qui est incroyablement proche », tout en affirmant que le commandant se trouvait à la passerelle au moment de l’accident, alors qu’on le croyait au restaurant. Le ministère italien de la Défense a, pour sa part, parlé de « grosse erreur humaine ». Même Costa Croisières, dans la soirée, a reconnu que son capitaine, entré en 2002 dans la compagnie en tant que responsable de la sécurité et nommé commandant en 2006, avait « commis des erreurs de jugement qui ont eu de graves conséquences » Et la compagnie d’ajouter : « ses décisions dans la gestion de l’urgence n’aient pas suivi les procédures de Costa Croisièrs qui sont en ligne avec les standards internationaux ».

Dans l’attente des informations fournies par le VDR

Une enquête a été ouverte pour déterminer les causes exactes de l’accident. On attend notamment le résultat de l’analyse du VDR (Voyage Data Recorder), la boite noire du bateau, où sont notamment enregistrées les conversations de l’équipage en passerelle. Il sera fondamental de connaître la route que devait suivre le Concordia dans la nuit de vendredi à samedi, et la comparer avec celle qu’il a réellement empruntée. Si les navires de commerce croisant dans la zone ont plutôt tendance, comme nous l’ont affirmé plusieurs officiers, à contourner le Giglio par l’ouest, il n’est pas inhabituel que les paquebots passent entre l’île et le continent, une zone où les fonds sont suffisants. Mais là, il semble que le Concordia, avec ses 8 mètres de tirant d’eau, ait été beaucoup trop près. Y-a-t-il eu une erreur de navigation ? Alors que le paquebot avait déjà, auparavant, paradé devant le Giglio, les officiers ont-ils décidé sciemment de s’approcher, pensant avoir assez d’eau sous la quille ? Est-on face à une erreur humaine, ou pourquoi pas technique, ou encore les deux à la fois ? Il arrive en effet que des avaries mineures, comme une panne électrique momentanée, dérèglent provisoirement les instruments de navigation, comme le gyrocompas. Le navire peut alors se décaler par rapport à la route que l’officier pense suivre. En pleine mer, cet écartement n’a pas vraiment d’incidence et, au bout d’un moment, le personnel de quart se rend compte de l’erreur et la rectifie (ou le matériel se recale automatiquement au bout d’un certain temps). Mais à proximité d’une île, une erreur de quelques degrés peut avoir des conséquences catastrophiques. Ceci dit, pourquoi, alors, le personnel de quart ne s’est pas rendu compte, entre les phares et les lumières du port, que le bateau était trop près ? De même, les autorités maritimes italiennes, réputées très tatillonnes et qui suivent le trafic maritime au radar et grâce à l’AIS, ont-elles demandé au bateau pourquoi il se trouvait à cet endroit ?
Beaucoup de question donc, auxquelles il faut maintenant apporter des réponses.

Sécurité à bord et procédures d’évacuation

Navire moderne, le Costa Concordia est équipé des derniers standards en matière de sécurité à bord des navires à passagers. Néanmoins, son naufrage et l’évacuation chaotique des passagers posent certaines questions, tout en mettant en lumière, malheureusement, des craintes exprimées ces dernières années par différents experts maritimes. Il conviendra par exemple de faire la lumière sur cette prétendue tradition visant à s’approcher aussi près des côtes, ce qui semble particulièrement dangereux. Il faudra aussi savoir si les autorités maritimes italiennes ont appelé le navire pour savoir ce qu’il faisait aussi près du rivage. Des détails techniques sont aussi à examiner. Ainsi, il conviendra de savoir pourquoi certains mécanismes des canots de sauvetage n’ont pas fonctionné et pourquoi l’un des câbles d’un canot a lâché au moment où l’embarcation, remplie de passagers, était en train d’être mise à l’eau. On parle aussi d’un blocage automatique des portes qui aurait empêché certains passagers de sortir de leurs cabines. Qu’en est-il exactement ? Dans un autre domaine, comment peut-on améliorer la communication entre les passagers et l’équipage dans un univers linguistique international ?
De manière générale, le drame devrait entrainer une remise à plat complète des procédures de sécurité et d’évacuation à bord des navires de croisière. A la lumière de cet accident et du « retour d’expérience », certaines procédures vont sans doute évoluer, et pourquoi pas, suivant les conclusions de l’enquête, la législation relative à la sécurité à bord de ces bateaux. Cela pourrait, d’ailleurs, constituer un véritable défi pour l’industrie de la croisière et son modèle économique actuel. Le naufrage du Concordia renvoie notamment à la problématique, maintes fois évoquée par les experts, de la course au gigantisme dans la croisière. Depuis 15 ans, la taille des paquebots n’a cessé de croître, le paroxysme ayant été atteint en 2009 et 2010 avec l’Oasis of the Seas et l’Allure of the Seas, deux monstres de 225.000 tonneaux dotés chacun de 2700 cabines (contre 114.5000 tonneaux et 1500 cabines pour Concordia) et capables d’embarquer quelques 8000 personnes. Sur ces géants, comme sur les navires plus petits mais déjà énormes, avec autant de monde à bord, comment éviter les mouvements de panique et assurer efficacement et rapidement d’éventuelles évacuations en cas de voie d’eau majeure ou d’incendie ? C’est un véritable casse tête auquel les chantiers, les compagnies, les organismes de certification et les autorités étatiques tentent de répondre depuis longtemps. Et auquel cet accident va probablement imposer de nouvelles solutions. Enfin, après cette catastrophe, il sera intéressant de connaître l’opinion des banques qui financent la construction des paquebots géants, ainsi que celle des sociétés qui les assurent. Vont-elles se montrer plus « exigeantes » à l’avenir ?

Un paquebot sans doute condamné

Car, sans même parler d’éventuelles suites judiciaires (un passager français a annoncé hier son intention de porter plainte contre la compagnie), le naufrage du Concordia va coûter une véritable fortune. Pendant que les recherches se poursuivent afin, espère-t-on, de retrouver d’ultimes survivants, on peut se demander ce qu’il va advenir du navire. Couché sur le flanc, le Costa Concordia offre une posture encore jamais vue pour un paquebot de cette taille. La coque est partiellement éventrée suite à l’impact avec le récif. Et le bateau est à moitié immergé dans l’eau de mer. L’appareil propulsif, le réseau électrique, les différents équipements, la décoration, des centaines de cabines… Une grande partie du bateau peut être considérée comme irrécupérable. Et la structure, dans son ensemble, a forcément beaucoup souffert, l’énorme masse d’acier s’étant sans nul doute déformée sous son poids. Cela pourrait même s’aggraver si l’épave ne tient pas sur les rochers et glisse vers le large. Dans ces conditions, même si le navire est récent et qu’il a coûté 500 millions d’euros à Costa et à sa maison-mère, le groupe américain Carnival Corporation (qui exploite comme Costa plusieurs paquebots identiques au Concordia), il ne serait pas étonnant qu’il soit déclaré en perte totale par les assurances. Tout dépendra des inspections que vont mener les experts. Ces derniers devront se prononcer sur le devenir de l’épave : peut-elle être renflouée, ce qui parait compliqué, ou bien doit-elle être démantelée sur place ? On devrait en savoir plus rapidement.

L’industrie de la croisière sous le choc

Mais, pour l’heure, la priorité de Costa va à ses clients. La compagnie, qui a mobilisé tous ses moyens ce week-end pour faire face à cette situation inédite, a organisé dans l’urgence le rapatriement des passagers. De nombreux cars ont, ainsi, ramené les clients français jusqu’à Marseille, où le navire aurait dû arriver hier. « C’est une tragédie pour Costa Croisières. Je n’ai pas de mot pour exprimer ce que je ressens. Toutes nos pensés et nos efforts vont d’abord vers nos clients, que nous rapatrions sur Marseille », expliquait hier Georges Azouze, président de Costa Croisières dans l’Hexagone. Le patron français de la compagnie, comme toutes ses équipes, est évidemment bouleversé par la tragédie et, le connaissant, on sait ses sentiments des plus sincères. Ces 25 dernières années, Costa s’est imposée comme leader de la croisière en France, second marché de la compagnie après sa terre natale italienne. Un succès fondé sur 64 ans d’expérience dans les voyages maritimes, un esprit novateur et familial, ainsi qu’une très forte réputation de sérieux et de fiabilité. A elle seule, Costa, dont la flotte comprend 17 navires (deux autres sont en commande) pèse environ la moitié du marché français, qui a représenté en 2010 plus de 400.000 passagers. La perte du Concordia est un coup très dur pour Costa, mais aussi pour l’ensemble des acteurs du secteur. La vue de ce géant couché sur le flanc, l’un des symboles de la croisière moderne, un navire très récent, équipé des dernières technologies, va évidemment laisser des traces. Il va, désormais, falloir rassurer les clients, peut-être pas les habitués – même si des questions demeurent quant aux procédures d’évacuation, ils ont été très nombreux à apporter leur soutien ce week-end à la compagnie – mais surtout les nouveaux croisiéristes. La catastrophe pourrait en effet dissuader des clients potentiels d’opter pour ce mode de voyage. Une réticence face à laquelle il convient de rappeler que les accidents de ce type sont rarissimes, alors que plusieurs centaines de navires accueillent chaque année plus de 17 millions de croisiéristes, dont 5.5 millions en Europe.

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