“ Le réseau européen a été très proche de ses limites pendant la vague de froid ”

François Boulet, directeur général de Coreso (Coordination of electricity system operators), revient sur la gestion du réseau électrique, notamment lors des pics de consommation, et sur l’incorporation des énergies renouvelables.

20 février 2012  |  Actu-Environnement.com

Actu-environnement : Comment le réseau européen a-t-il fait face au pic de consommation lié à la vague de froid de février ?

François Boulet : Il a été très proche de ses limites. Pendant les vagues de froid, la France importe beaucoup d’électricité, ce qui change de la situation habituelle puisqu’elle est plutôt exportatrice. Les flux allaient du Nord de l’Europe (Grande-Bretagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique et pays scandinaves) vers le Sud (France et Italie principalement).

Cependant, ces transits importants sont restés dans les limites opérationnelles même s’il n’y avait plus beaucoup de marge. Ce fut en particulier le cas des réseaux belge et de l’ouest de l’Allemagne.

AE : Les fluctuations sont-elles fréquentes ?

FB : Habituellement, les flux d’importations et d’exportations sont très variables. Le marché européen de l’énergie existe bel et bien et de très nombreux facteurs influencent les importations et exportations. Du côté de l’offre, les prix des combustibles fossiles déterminent le recours aux centrales thermiques, la présence de vent et de soleil fixe la production de l’éolien et du photovoltaïque et la pluviométrie dans les Alpes et les Pyrénées influence la disponibilité des ressources hydroélectriques sur de longues périodes. Par ailleurs, la température influence la demande. Tous ses éléments fluctuant en permanence il n’y a pas « une situation classique ».

AE : Comment sont coordonnées au niveau européen les situations extrêmes ?

FB : Dans de telles situations, les prix de l’électricité s’envolent là où la demande est élevée et des opérateurs peuvent mettre en œuvre des moyens de production qui, en temps normal, ne sont pas rentables. Pendant la vague de froid, les prix les plus élevés étaient en France, les opérateurs européens ont donc répondu.

Concrètement, la France a importé de l’électricité à un niveau quasiment maximal par rapport aux capacités de transport frontalières, c’est à dire de l’ordre de 3.000 mégawatts (MW) pour la liaison Allemagne / France et 2.000 MW pour la liaison Angleterre / France. Par ailleurs, une ligne de 1.000 MW ouverte en avril 2011 entre l’Angleterre et les Pays-Bas a alimenté l’Europe continentale.

Ceci dit, on avait déjà connu cela par le passé et il restait de la marge en France puisque certaines unités françaises n’ont pas été utilisées. C’est le jeu du marché qui a fait que l’énergie est venue de l’étranger.

AE : Est-ce pour cela que certaines des centrales de réserve allemandes ont été remises en service ?

FB : Soyons très précis car de nombreuses erreurs ont circulé. En septembre 2011 le gouvernement allemand a fait mettre en réserve des moyens de production pour pallier d’éventuels problèmes, suite à sa décision de sortir du nucléaire. Il s’agit de centrales au charbon qui étaient déclassées pour des raisons d’âge ou de coût. Les gestionnaires de réseau auraient souhaité qu’au moins un des huit réacteurs nucléaires arrêtés en mars 2011 soit mis en réserve, mais le gouvernement a refusé.

Par ailleurs, une part croissante des flux sur le réseau allemand va du Nord vers le Sud, car les centrales mises à l’arrêt sont au Sud du pays. Ils ont donc des problèmes d’évacuation de la production électrique du Nord vers le Sud et des soucis de tenue de tension au Sud. A cela s’est ajoutée la hausse des exportations vers la France qui a pesé sur le Sud de l’Allemagne.

Dans ce contexte ils ont dû utiliser certaines des centrales de réserve pour assurer la stabilité au Sud du pays. Ce n’est pas un problème de capacité en Allemagne, mais bien un problème de réseau.

AE : Il n’y a donc pas de risque de blackout du fait d’une éventuelle pénurie de moyen de production en Europe ?

FB : Non, l’équilibre offre / demande est maintenu, il n’y a pas de risque de pénurie en Europe au moins à moyen terme. Néanmoins, les situations varient fortement d’un pays à l’autre. Malgré l’arrêt des centrales nucléaires, l’Allemagne reste autosuffisante. En France, les moyens couvrent juste les pointes extrêmes mais le risque de pénurie est couvert par les capacités d’importation. En Italie, bien qu’ils importent environ 7.500 MW tout au long de l’année, de nombreuses centrales au fioul sont disponibles en cas de besoin.

AE : Quels sont les principaux enjeux du renforcement du réseau européen ?

FB : Les lignes d’interconnexion entre les pays visaient tout d’abord à partager les réserves de production entre les pays. On ne peut pas stocker l’électricité et il y a tous les jours en Europe l’équivalent de 1.000 MW indisponibles pour des raisons imprévisibles. En reliant les pays, on peut donc s’entraider. Cela permet à chaque pays d’avoir moins de réserves et de bénéficier de celles de ses voisins. Globalement, le parc de production européen est plus petit que ce qu’il devrait être si les pays n’étaient pas interconnectés.

Ensuite, il y a eu l’ouverture du marché. Les interconnexions sont devenues un outil d’optimisation permettant de faire tourner les centrales dont les coûts sont les moins élevés pour alimenter les zones de forte demande. Pour que cela fonctionne bien, il faut renforcer les lignes transfrontalières car certaines liaisons sont en limite de capacité ce qui impose l’arrêt d’unités de production très compétitives. C’est notamment le cas avec l’arrivée des énergies renouvelables.

La ligne France / Espagne est un gros chantier attendu depuis près de vingt ans et qui démarre tout juste. Les Espagnols doivent arrêter certains parcs éoliens car ils n’arrivent pas à exporter le surplus de production. C’est aussi le cas avec les parcs éoliens en mer du Nord qui ne sont pas bien reliés au sud de l’Europe. Le paradoxe est qu’on peut être amené à arrêter de l’éolien faute de capacités de transport, alors que dans le même temps on allume des centrales au charbon.

Le problème est toujours le même : tout le monde veut de l’énergie propre et moins chère mais personne ne veut que les lignes passent près de chez lui.

Propos recueillis par Philippe Collet

 

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