Atténuer le choc du pic pétrolier dans le secteur des transports

 

La décrue du pétrole conventionnel aura des effets sensibles dans le secteur des transports, dépendants à 95% de cette énergie fossile. Lors de la dixième conférence de l’ASPO, plusieurs communications ont été consacrées au sujet.

Les violentes manifestations de colère des taxis ont transformé Durban (Afrique du Sud) en paysage de guerre le 18 mai dernier. Passé inaperçu, cet événement donne la mesure de la vulnérabilité du secteur des transports confronté à la hausse du prix du baril. Certains analystes proches de l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier et gazier), tels que Harald Frey, de l’Institut des transports de l’université de technologie à Vienne (Autriche), se plaisent à souligner que l’ère du transport automobile de masse ne durera pas plus de 200 ans. Elle représente une fraction temporelle minime en regard des 6 millions d’années pendant lesquelles les humains et leurs ancêtres se sont déplacés à pied. Mais l’addiction automobile, elle, façonne désormais les espaces et les mentalités.

Paradoxalement, dans aucune grande métropole de la planète le gain de temps permis par la voiture individuelle n’augmente en valeur absolue, car l’augmentation des distances parcourues prolonge la durée des déplacements, selon une étude de l’université de technologie de Vienne. Marcher, rouler à vélo, utiliser scooters et voitures électriques, revenir à la voiture à chevaux, sont autant de mobilités qui pourraient émerger dans un futur proche. D’ores et déjà, il faut réduire la taille des automobiles et promouvoir les autobus en site propre, optimiser le nombre de passagers par véhicule, relocaliser au lieu de globaliser, changer d’échelle de valeurs, promouvoir la lenteur plutôt que la vitesse, la coopération plutôt que la compétition.

Vulnérabilité du transport automobile

L’ Afrique du Sud est un cas d’école, selon Jeremy Wakeford, président de l’ASPO sud-africaine. Près de 80% de son énergie primaire provient du charbon, elle dépend à 31% du pétrole dans son mix d’énergie finale, et ses importations et consommations de brut n’ont cessé d’augmenter depuis 30 ans. Les compagnies Sasol et Petro Sud Africa produisent 34% du pétrole consommé dans le pays, tandis que les 66% restant sont importés. Le secteur des transports absorbe 77% du pétrole, l’électricité du réseau ferroviaire étant produite à partir du charbon. 90% du brut importé provient de pays de l’OPEP, dont 29% de l’Iran. La courbe de hausse du PIB suit celle de l’augmentation des consommations pétrolières depuis 30 ans. Le ralentissement de l’économie sud africaine observé depuis 2006 coïncide avec une réduction des consommations pétrolières.

La route est très énergivore. Elle utilise 87% de l’énergie du secteur des transports. La part du fret routier n’a cessé d’augmenter au cours des cinq dernières années. En Afrique du Sud cependant, la voiture individuelle ne représente que 15% des usages, la mobilité étant assurée par des taxis minibus dans 22% des cas, et non motorisée dans 51% des cas. Quelles seront les conséquences du pic pétrolier sur les transports ? Le prix des carburants à la pompe a triplé en 10 ans et la hausse se poursuit, sensiblement liée à la hausse tendancielle du prix du baril. Conséquences : des guérillas urbaines se sont déroulées en mai dernier lors de protestations violentes de plusieurs centaines de taxis.

Rationner pour maintenir la paix sociale

Plusieurs voies sont envisageables pour atténuer ce choc. Dans le secteur des transports, l’éco- conduite, la réduction des vitesses maximales, le co-voiturage, le télétravail et la flexibilité des horaires de bureau, les péages urbains et les taxes sur les véhicules, les interdictions de circuler à certaines heures dans certaines zones, sont préconisés par le président de l’ASPO sud-africaine, en vue d’agir sur la demande. Le rationnement des carburants pourrait éviter à terme de fortes tensions sociales en garantissant une équité d’accès et en permettant aux autorités de réguler les stocks de carburants. Combinées entre elles et assorties de campagnes de sensibilisation, toutes ces mesures permettent de réduire de 42% la demande de mobilité individuelle tout en préservant la paix sociale.

Les avantages comparatifs d’un mode de transport par rapport à un autre seront d’autant plus nets que le prix du baril poursuivra sa hausse. D’ores et déjà, les modes de transports les moins coûteux par passager par kilomètre sont le tramway, le bus et le vélo électriques. Le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique des transports routiers est de 15% par passager d’ici à 2030, estime Jeremy Wakeford. Les gouvernements sont invités à investir dans l’entretien des infrastructures ferroviaires et les dessertes locales plutôt que dans les trains à grande vitesse, dont l’usage n’est possible que pour les classes aisées. Quant aux transports de marchandises, ils devraient être eux aussi assurés par rail plutôt que par route, et le fret ferroviaire devrait faire l’objet d’investissements prioritaires.

Repenser les structures

Pour Harald Frey, au-delà de l’amélioration de l’efficacité énergétique des modes de transports, il s’agit de revisiter les structures urbaines en fonction de leur résilience à long terme. Car qui dit efficacité énergétique dit effet rebond : la modération de la consommation de carburant par des véhicules plus efficients aura tendance à donner l’illusion de pouvoir aller toujours plus loin pour le même coût. Elle ne changera pas la donne, mais ne fera que reporter le problème de la dépendance au pétrole et la congestion urbaine.

D’où la nécessité de redessiner l’espace urbain. La capitale autrichienne en est un exemple, qui a su chasser les voitures en réhabilitant l’espace public au profit du tramway, du vélo et de vastes zones piétonnes. En raison d’une offre de qualité de transports en commun, de plus en plus de Viennois renoncent à passer leur permis de conduire. Redessiner l’urbanisme, lutter contre l’étalement des zones pavillonnaires totalement dépendantes de l’automobile, valoriser le commerce de proximité plutôt que les grandes surfaces sont autant de mesures susceptibles d’atténuer les effets du pic pétrolier. En fin de compte, ce sont les piétons qui seront gagnants, car ils bénéficieront d’une qualité de vie élevée dès lors que les villes se décongestionneront. La marche pourrait être le transport de l’avenir.

Agnès Sinaï

  |  Actu-Environnement.com

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