Une histoire du FN à travers ses numéros 2

Mégret, Gollnisch, Aliot… On a peu écrit sur ceux qui étaient chargés de faire tourner le parti. Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, explique dans un livre* 40 ans d’évolution politique du FN à travers ceux qui ont œuvré dans l’ombre des Le Pen.

© Quentin Laurent

 

Peut-on dégager un point commun chez les numéros 2 du FN ?

Les sept numéros deux du FN sont toutes des personnalités différentes: on part de Victor Barthélémy, ancien numéro 2 du PPF de Jacques Doriot, qui parlait d’hygiène de la race et se revendiquait «totalitaire», à Louis Aliot, qui va en Israël, qui en 2002 œuvre pour faire se rencontrer Le Pen et Mandela, qui est le moteur de la dédiabolisation, et qui évoque volontiers ses origines juives. Si le FN est un parti plastique au niveau des idées, qui peut passer d’une posture reaganienne dans les années 1980 à la politique actuelle protectionniste, il l’est également au niveau de ses cadres.

Ce qui rassemble ces numéros 2, c’est qu’ils se sont énormément dévoués, au service de la marque FN, sans jamais arriver à transformer ce parti squelettique en véritable machine militante. Par exemple, Carl Lang et Bruno Mégret proposent le meilleur matériel de formation des militants de tous les partis des années 1990. Mais tout échoue toujours car le parti n’arrive pas à s’implanter localement, ce qui est également la faute de Jean-Marie Le Pen, qui délaisse cette question pour se concentrer sur l’élection présidentielle.

Justement, comment s’est comporté Jean-Marie Le Pen pendant ses presque 40 ans de présidence face à ses lieutenants ?

Il a toujours été méfiant. Après, il a développé diverses attitude envers eux: il a eu de l’admiration pour François Duprat, mais une attitude agressive envers les autres. Il a pu développer des rapports père/fils avec Bruno Gollnisch, ce qui ne l’a pas empêché de le «tuer» en déclarant que «le destin des dauphins était parfois de s’échouer». Au vu de l’entretien que nous avons eu avec lui, je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il n’en ait pas quelques regrets, mais c’est une interprétation personnelle j’en conviens.

Pourquoi une telle attitude ?

C’est une personnalité égocentrée. L’autonomie qu’il reproche à ses seconds est celle qu’il avait quand il était, lui, le numéro 2 de Poujade ou Tixier-Vignancour et qu’il refusait de se soumettre à leur autorité. Mais pas seulement: le lepénisme a dépassé la famille Le Pen pour devenir une marque, un symbole. Les électeurs du Front national ne votent pas pour l’extrême droite, pas pour du national-populisme, mais pour du lepénisme. Il a dû porter tout cela. Le lepénisme a dévoré les numéros 2 du FN mais aussi les Le Pen.

Et entre eux, comment agissaient les numéros deux ?

Il y a tout le temps eu un jeu politique intéressant au FN: la polarisation médiatique entre les durs et les mous. Le tout étant de faire passer le numéro 2 en place pour plus radical que soi pour l’écarter politiquement et mieux prendre sa place. Ainsi, Gollnisch a été présenté pendant la campagne interne de 2011 comme un radical souhaitant l’autonomie du parti, face à la modérée et rassembleuse Marine Le Pen. Mais cela a été l’inverse avant. Lorsqu’il a émergé, il était considéré comme modéré face à un Mégret extrémiste. Et Mégret modéré face à un Stirbois très dur. Les Le Pen y gagnent le fait d’apparaître tel un trait commun aux diverses équipes. Les médias et les autres partis politiques y gagnent un excellent storytelling.

Quel héritage ont néanmoins réussi à laisser les numéros 2 ?

Barthélemy a donné des instances au parti, d’ailleurs calquées sur celle du Parti communiste. Duprat a introduit la dénonciation sociale de l’immigration, alors que Le Pen, au début, n’y croyait pas. C’est lui qui impose le slogan «un million de chômeurs c’est un million d’immigrés en trop».

Stirbois a encouragé Le Pen à s’émanciper des droites et à prospecter les milieux populaires, attitude que l’on retrouve avec Marine Le Pen aujourd’hui. Mégret a apporté la volonté de professionnalisation que l’on retrouve aujourd’hui proclamée par Floriant Philippot.

Y a-t-il eu un changement de gouvernance interne au FN depuis que Marine Le Pen est présidente du parti ?

Au-delà de la vie privée, puisque le vice-président Louis Aliot est le compagnon de Marine Le Pen, la nouvelle présidente, il y a une différence de méthode. Jean-Marie Le Pen travaille efficacement en petit comité, à deux ou trois. Elle s’appuie sur beaucoup de cercles concentriques, avec une équipe autour d’elle, plus qu’avec la hiérarchie. Elle paraît ainsi vouloir contrer préventivement toute possibilité qu’on lui refasse tous les conflits que son père a eus avec ses numéros deux. Elle a développé une armée mexicaine de vice-présidents, ce qui est fait pour truquer les cartes: au milieu de ce grand chaos, elle apparaît comme un pôle de stabilité.

Propos recueillis par Julien Licourt

* Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN. Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard. Ed. Nouveau monde. 8€.

Une interview publiée le 30 novembre sur lefigaro.fr

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