Les vertus d’une pierre « miracle »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Rémi Barroux

C’est une pierre « miracle » qui a sauvé le jambon de Parme, en Italie, il y a quelques années, et qui pourrait être la solution pour lutter contre la prolifération des algues vertes en Bretagne. Elle va être prochainement testée en France à côté du cap Fréhel (Côtes-d’Armor), à l’échelle du bassin versant du Frémur.

La chabasite, roche volcanique de la famille des zéolithes, présente dans les tufs volcaniques, était traditionnellement utilisée dans les constructions de la province de L’Aquila, dans la région des Abruzzes. Elio Passaglia, un chercheur de l’université de Modène, lui a découvert des vertus insoupçonnées : ce minéral est capable de capturer l’azote ammoniacal (NH4 +) à l’origine des nitrates responsables des proliférations d’algues vertes sur les côtes.

UN TOUR DE « MAGIE »

La roche, présente à un haut degré de pureté en Italie, mais aussi en Arizona, aux États-Unis, a également intrigué les chercheurs de la NASA. Mais la démonstration de son efficacité, le professeur Passaglia l’a publiquement démontrée en Toscane lors de l’été caniculaire de 1998, alors que les odeurs pestilentielles des nombreux élevages de porcs entraînaient les protestations des riverains inquiets pour l’attractivité de leur région.

Dans la foulée, le maire du petit village médiéval de Pavullo nel Frignano, à une soixantaine de kilomètres de Parme, sous la pression de ses administrés, réclame même la fermeture des élevages. Lors d’une réunion de crise, le professeur Passaglia fait un tour de « magie ». Ayant apporté un récipient de lisier de porc, extrêmement malodorant, il verse de la poudre de chabasite dessus. La puanteur s’atténue puis disparaît. Une expérimentation est aussitôt engagée dans le plus grand secret. Et les plaintes des riverains cessent.

En 1999, Giovanni Battista Pasini, le président de la Communauté de montagnes de la région de l’Emilie-Romagne, publie un décret incitant les producteurs à utiliser la chabasite dans l’alimentation des porcs. Une pratique répandue maintenant chez la moitié des éleveurs.

UNE POUDRE « SANS TRACE DE RÉSIDU ORGANIQUE, BIOLOGIQUE OU HYDRIQUE »

Depuis, la société Verdi, une PME située à Castelnovo di Sotto, dans le nord de l’Italie, exploite le principal gisement de Sorano, en Toscane : « La plus haute concentration de chabasite au monde », avance Pietro Azzolini, son directeur. Son potentiel a été évalué à 6 500 000 mètres cubes. En dix ans, 300 000 mètres cubes de cette roche jaune ocre caractéristique des villages de la région ont été soustraits à la mine à ciel ouvert. Après une découpe à la main, Verdi raffine et réalise une dessiccation à haute température pour obtenir une poudre « sans trace de résidu organique, biologique ou hydrique », assure M. Azzolini. Selon lui, les réserves de ce gisement fourniraient les besoins italiens et même bretons durant un siècle.

La structure de la roche offre des cavités permettant la capture du NH4 +, support de l’ammoniac (NH3), a établi le professeur Passaglia. Un kilo de chabasite est capable de piéger 18 grammes de NH4 +. Dans les élevages, la chabasite, intégrée à l’alimentation des porcs à raison de 3 %, après broyage très fin, dessiccation et réduction en poudre, a réduit l’azote ammoniacal de 30 % dans le lisier. Les émissions d’ammoniac dans l’atmosphère ont chuté de 20 %.

« LE PORC PRODUIT MOINS DE GAZ »

Des travaux complémentaires réalisés en France ont aussi établi la diminution des nuisances olfactives. « Cette réduction des pics d’odeur peut atteindre 40 % durant la phase de croissance du porc », explique Eric Poincelet, expert en technologie verte et codirecteur de Nitracure, une société créée à Montpellier en 2012 avec le soutien des Italiens de Verdi. Les taux de phosphore dans le lisier seraient aussi réduits de 40 %. Les émissions de gaz à effet de serre, carbonique (CO2), méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O), diminueraient d’un cinquième environ. « Plus simplement, explique M. Poincelet, le porc produit moins de gaz, en raison d’une meilleure assimilation des nutriments et d’un meilleur confort de digestion. » La chabasite peut aussi être dispersée directement sur le terrain sous forme de granules, à raison de 6 mètres cubes par hectare. Une expérimentation, financée par l’Europe, est en cours en Italie.

« Ce n’est pas la pierre philosophale, prévient Jacques Bouyer, directeur de Nitracure. Mais ces résultats étonnants ont convaincu, en 2011, Michel Cadot, alors préfet de Bretagne, et Claudy Lebreton, le président du conseil général des Côtes-d’Armor, d’engager des études et une expérimentation. » A l’issue de ces travaux, les données italiennes ont été validées.

La chabasite est testée dans la Ferme de Kerguéhennec (Morbihan), une station expérimentale de la chambre régionale d’agriculture. La vice-présidente du conseil général des Côtes-d’Armor, Monique Le Clézio, qui a participé à une mission d’étude en Italie, rappelle qu’« il faut garder la tête froide, réaliser plusieurs expérimentations pour trouver des solutions qui auront certes des effets, mais aussi un coût ».

« LE MODÈLE ÉCONOMIQUE EST PLUS QUE RENTABLE »

Selon M. Poincelet, « le coût de la chabasite serait de 700 euros la tonne, à l’arrivée en Bretagne, dont près de 50 % pour le transport ». « Le modèle économique est plus que rentable », assure M. Bouyer. Avec un coût de 4 euros pour un porc de 100 kg, soit 4 centimes par kilo, sachant que l’on consomme environ 35 kg de porc chaque année, cela représenterait un surcoût de 1,30 euro par an par consommateur. « L’équation financière est encore balbutiante. Mais une chose est sûre : avec les sommes colossales que s’apprêtent à investir l’État et les collectivités pour la dépollution des sols et des rivières en Bretagne, la chabasite vaut le coup d’être essayée », ajoute le directeur de Nitracure.

Il y aura des effets positifs en termes d’emploi mais surtout sur la santé publique et l’agriculture, espère Claudy Lebreton. Une opportunité, selon lui, alors que le modèle breton est soumis à de fortes critiques.

Il reste à trouver les moyens de financer l’importation de la poudre de roche. Un coût, limité, que ne semblent pas vouloir assumer les éleveurs ou les producteurs d’aliments pour les animaux.

Rémi Barroux
Journaliste au Monde

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