Rares sont les magasins Havrais qui atteignent quatre-vingt ans d’existence.Ce fut le cas de Bata place de l’hôtel de ville. La célèbre marque d’origine tchèque s’était implanté au Havre dans les années 1930. Elle avait d’ailleurs une forte implication en Normandie puisque Vernon comptait une usine de chaussures appartenant à ce groupe. Le magasin Bata fut très bien tenu jusqu’à sa fermeture.
L’histoire des commerces de chaussures du Havre reste à écrire. A la manière de l’historien Jean Legoy qui touchait à tous les sujets concernant l’histoire du Havre, il y aurait un travail d’historien du commerce havrais à exécuter, secteur par secteur. D’ailleurs Jean Legoy avait ouvert la voie en écrivant » Les Havrais et le livre » où il évoquait notamment le secteur de la librairie. Son ouvrage mériterait d’être continué, complété et surtout approfondi. Plus j’avance dans l’histoire de l’histoire du Havre, plus j’entrevois les forces et les faiblesses de nos grands historiens. Il faut dire, à leur décharge, que les moyens de connaissance ont considérablement évolué depuis quelques années.
Pour en revenir au commerce de chaussures du Havre et pour parler de la période que votre serviteur a connu ( en gros des années 1970 à aujourd’hui), on notera que les principales boutiques spécialisées en chaussure de la Ville se trouvaient surtout placées avenue René Coty et place de l’hôtel de ville. Ce dernier endroit constituait peut-être le summum de la qualité et du prix.
La pratique chez les marchands de chaussures a bien évolué en quarante ans. Dans les années 1970 voire 1980 la vendeuse (car il s’agissait le plus souvent de femmes) demandait votre pointure, vous faisait asseoir sur une chaise, vous prenait le pied et vous mettait le pied ( là j’ai un doute sur mes souvenirs!) dans la chaussure ou vous passait un chausse-pied pour que vous mettiez votre pied dans la chaussure. La vendeuse se trouvait souvent à genoux. Si votre pied faisait de la résistance elle partait illico chercher une ou des boîtes de chaussures dans la réserve. Elle disparaissait quelques minutes. Une fois les pieds confortablement installés dans les chaussures, on marchait un peu dans le magasin. L’affaire faite, à la caisse, on vous proposait des semelles, du cirage… Traditionnellement certains donnaient un pourboire à la vendeuse pour s’être bien occupé de vous. La concentration des boutiques dans le même secteur permettait un choix plus facile. Il n’y avait qu’à traverser l’avenue ou à faire quelques mètres pour trouver chaussure à son pied.
Les marchands de chaussures avaient su occuper une place géographique stratégique dans le commerce. Bata, à l’angle de la place de l’hôtel de ville et du Boulevard de Strasbourg détenait un emplacement de premier ordre. De même les actuels magasins de chaussures Caron et Heyraud semblent tenir les portes de la rue de Paris. La disparition de Bata me fait inévitablement penser à l’installation de l’établissement français du sang dans les rues piétonnes à un endroit qui n’aurait jamais dû être abandonné par le Commerce de détail. Comme je dis plaisamment, cela a saigné le quartier !
Dans d’autres quartiers du Havre ( Rond-Point, Graville, Saint-Vincent…) on trouvait quelques boutiques, plutôt isolées mais très résistantes sur le plan commercial. De manière surprenante elles existaient ou existent encore dans certains endroits ( par exemple le célèbre Max la Godasse avenue Maréchal Joffre). Les années 1980 et surtout 1990 et 2000 marquent tout de même leur suppression progressive.
Le commerce de la chaussure, dans les années 2000, a investi les centres commerciaux ( Coty, par exemple) où une vaste fréquentation lui offre une large clientèle. La liberté d’aller et venir dans ces magasins et le prix modeste des articles contribuent probablement à leur succès. L’existence de la Halle aux chaussures, grande surface spécialisée dans ce domaine ( présente dans les rues piétonnes) date aussi ( je parle de mémoire), des années 1990 ou 2000. La grande distribution a le vent en poupe pendant ces deux dernières décennies avec, il est vrai, un handicap en matière de réputation de qualité par rapport à des magasins traditionnels.
Le commerce de la chaussure a connu une évolution étonnante vers la fin des années 1990 et 2000. On a vu apparaître plusieurs magasins destinés uniquement à la vente de chaussures de sport : Foot Locker, Courir ! La mode et le développement des pratiques sportives explique ce phénomène surprenant. Les traditionnels Laguin-Sport et Sport 2000 auraient-ils pu bénéficier de cette vogue sportive s’ils étaient encore là ?
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L’apparition de magasins dédiés à une marque a constitué un signe nouveau et très encourageant pour le commerce havrais. Mephisto ou plus récemment Clarks sont apparus au cours des années 2000. Il s’agit d’une excellente technique de promotion pour ces chaussures de qualité. Le prix, souvent 80 à 100 euros la paire, reste tout de même un investissement.
L’existence de magasins dédiés aux chaussures pour enfants (Erika) reste logique dans la mesure où des parents sont prêts à payer cher pour que leur enfant soit bien chaussé et plus prosaïquement parce que les pieds changent vite à cet âge de la vie.
Les tentatives de créer des magasins de chaussures de qualité dans les rues piétonnes restent timides voire décevantes. La clientèle havraise qui a de l’argent demeure un marché limité. Donner 100 ou 150 euros pour des chaussures tire sur le budget.Au-delà, payer une paire 200, 300 voire 400 euros semble un luxe inaccessible. A ce prix là on n’hésitera pas à aller chez le cordonnier pour faire réparer sa paire. Tiens, une autre profession du commerce havrais…
ps : cette évolution est faite de mémoire. Les corrections et ajouts sont les bienvenus.