SOUCHON et VOULZY ou l’art de tourner autour du trou normand… en chansons !

Le premier album intégralement réalisé (paroles et musiques) par nos plus grands duettistes (encore vivants…) de la chanson française était très attendu !

« Derrière les mots » d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy, beaucoup de choses en effet, comme un grand vin libérant en une seule petite gorgée une symphonie de sensations, les chansons fines et denses de Voulzy et Souchon disent l’essentiel en peu de mots donc: ça parle d’amour, bien entendu mais surtout d’amours neuves ou anciennes liées à la géographie, à un espace vécu.

 

On pourrait apprécier certains de ces douze titres avec l’âme avisée d’un géographe… Hélas on risque d’être déçu par le voyage: non pas parce que Souchon et Voulzy manquent d’imagination mais parce que la géographie qui transpire est celle que l’on pratique lorsqu’on participe, que les intéressés le veuillent ou non, des élites mondaines actuelles toujours entre deux avions entre les mégalopoles parisienne et londonienne.

Souchon et Voulzy chantent ainsi une bluette inattendue à propos d’un jeune couple en petite voiture bleue perdu quelque part dans les blés de la Brie et cela donne la chanson « En Ile de France », version proposée par Alain Souchon du « Bonheur est dans le pré » : « Pourquoi chercher au bout de la Sixty- Six ou à Katmandou dans les palais blancs remplis de gloire où le champagne coule dans la baignoire quand il suffit d’enlacer les lacets qui tournent en Ile de France »… Carte postale bucolique idéale d’une campagne francilienne sans ses gros céréaliers sur-mécanisés et syndiqués à la FNSEA et sans les bouchons de la … francilienne !

L’album se présente sous l’aspect d’un petit livre d’images et nous invite à la flânerie et à la rêverie, voire à une « mise au vert » pour fuir les densités exténuantes d’une mégalopole: les deux chanteurs, hérauts et colporteurs musiciens de nos mélancolies amoureuses les plus secrètes, mettent en scène leur amitié profonde en posant sur le gazon de vertes prairies, au milieu des bocages touffus et des forêts sereines du Perche, cette « Arcadie » végétale idéale et discrète où des célébrités parisiennes se font une cure de vraie vie à moins d’une heure de Paris derrière les murs d’anciens manoirs et presbytères du XVIIe siècle…

Le titre « Idylle anglo-normande » nous avait fait acheter l’album peu avant la Noël et nous pensions l’écouter le lendemain, une fois débarrassé des papiers cadeaux, dans notre maison de la Manche, non loin de Granville comme pour mieux savourer d’avance la possible évocation, languissante et douce amère, d’une ancienne liaison amoureuse entre un trader de la place de Jersey et une jeune touriste venue de la Normandie continentale.

Mais je dois avouer mon erreur et mon manque d’imagination: il s’agit, en fait, de la rencontre fortuite de la salle des machines jusqu’à une cabine du pont supérieur, entre un matelot et une jolie passagère de la Brittany ferries à bord du « Saint Michel » entre Ouistreham et Portsmouth: « Sur le car ferry de Portsmouth à Ouistreham, les passagères ont du charme. Le vent s’est levé sur le pont du Saint-Michel quand elle est passée sur la passerelle… »

Soudain, le charme se rompt car nous connaissons les arrières-boutiques sociales peu reluisantes de cette compagnie « transmanche » d’origine bretonne qui fait son gras chez nous avec l’argent public des collectivités territoriales « bas » normandes, en sur-exploitant les petites mains des non moins charmantes femmes de ménage normandes qui triment le matin et le soir dans les ponts du navire pour faire disparaître au plus vite les tristes effets de l’alcoolisme lorsque « en mer, au large, le vent est malhonnête. Roulis, tangage, il fait perdre la tête »…

Qu’on nous permette de plus apprécier le livre témoignage de la journaliste de Florence Aubenas « Quai de Ouistreham » que cette carte postale improbable: la « mini croisière » proposée par la Brittany Ferries à ses clients « anglo-normands » ou autres, est tout sauf idyllique !

 

Quoique passablement agacé, nous écoutâmes néanmoins le disque jusqu’au bout car Voulzy et Souchon ont vraiment le talent de réveiller tous les souvenirs de nos jeunesses: la dernière chanson évoque « la baie des fourmis » près de Beaulieu sur la Côte d’Azur. Après les délicieuses évocations de Brighton proposées par Laurent Voulzy, nous voici soudain propulsés sur la « French riviera » comme après une grosse heure de vol entre Londres et Nice.

http://www.nicematin.com/beaulieu-sur-mer/voulzy-et-souchon-chantent-la-baie-des-fourmis-de-beaulieu-sur-mer.2017029.html

C’est alors que je réalise que je n’ai pas la même conception de la géographie que ces deux là qui chantent si bien, pourtant, la carte du tendre: moi j’aime les lieux comme un arbre pourrait les aimer… Eux ils surfent de « spot en spot »! C’est plus cool et c’est fun, c’est tendance… comme un crash aérien? L’élite qui turbine dans le ciel (la « jet set ») a besoin de se poser parfois dans une carte postale alors que la plupart d’entre nous continuons de vivre concrètement dans l’épaisseur parfois rugueuse et poisseuse d’un lieu. Un lieu, un pays, une région que nous aimons parce que nous y vivons vraiment..

Et certains « planchers des vaches » sont parfois trop proches de Paris ou de Londres pour qu’ils soient évoqués en tant que tels. La Normandie, par exemple… On doit compter Souchon parmi les amoureux du Cotentin, mais à l’instar d’un Didier Decoin, le Cotentin pour Souchon, c’est une île de la Manche (la mer ou le département?). On connait la passion de Laurent Voulzy pour l’Angleterre et l’histoire anglo-normande mais depuis … Saint-Malo. (« on a tous dans l’coeur des vacances à Saint Malo avec des parents en maillot qui dansent chez Luis Mariano… »)

La liste des lieux qui ont inspiré les deux chanteurs pour leur premier album complet en duo est donnée au tout début, en guise de remerciement: le géographe que je suis appréciera ce geste plutôt élégant mais il achèvera de nous convaincre que les deux compères nous proposent finalement de tourner en chansons autour du trou normand!

« Merci la Marne, le Surrey, le Perche, la Bretagne, le Blésois et la Baie des fourmis… »

Mais que vient donc faire la Bretagne dans cette liste puisqu’aucune chanson dans l’album ne fait écho à cette région?

Et pourquoi la Normandie n’est pas citée dans cette liste alors qu’une chanson de l’album fait l’éloge de certains services proposés par une compagnie de ferries bretonne entre Portsmouth et Ouistreham?

Certainement parce que les Normandes qui sont trop occupées à des contrats précaires dans une économie dite  » de service » au bénéfice de clients au fort pouvoir d’achat venus de la région parisienne n’ont pas le temps d’écouter les bluettes proposées par Souchon et Voulzy…

Parce que la carte postale normande évoque encore trop les bombes de 1944, le morne béton de la Reconstruction, une météo plutôt humide et une ruralité compassée…

Parce que la Normandie est mutilée, brouillée, éparpillée, divisée dans l’ombre portée de la puissante Ville Lumière parisienne ou concurrencée par des métropoles et des régions qui ont une image plus « moderne », plus « jeune », plus « cool », « fun », « tendance » etc… La Normandie, étant une matière exigeant un minimum de culture historique, ne serait qu’un hobby pour vieux schnocks errant dans les bibliothèques et les dépôts d’archives…

Etrange paradoxe que ce nom de Normandie si connue et si renommé dans le Monde entier sauf en France, voire en Normandie même alors que le moindre trou (lieu?) est élevé à la dignité d’avoir son nom propre…

Bien entendu, Il faut savoir apprécier la beauté des chansons de « Souchy et Voulzon » en tant que telles! Tout en tolérant l’idée que la violoniste professionnelle qui fait du son dans l’album puisse toucher son cachet quand bien même elle soit la femme d’un Premier ministre en exercice…

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