Le projet de Grand Canal du Nicaragua

 cristallise la colère

LE MONDE | | Par Frédéric Saliba  (Mexico, correspondance)

Les habitants d’El Tule et de Rivas, communes du sud du Nicaragua, ont baptisé leur réveillon « le Noël noir ». Mercredi 24 décembre, ils se sont affrontés par centaines aux forces de l’ordre pour s’opposer au lancement des travaux du « grand canal interocéanique » entre le Pacifique et la mer des Caraïbes. Ce projet pharaonique, censé concurrencer le canal de Panama, menace la plus grande réserve d’eau douce d’Amérique centrale, la forêt tropicale et les populations vivant sur le tracé du chantier.

Manifestation, le 22 décembre 2014, à Managua, contre la construction du Grand Canal du Nicaragua.

« La police nous a attaqués avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes », a raconté à la presse Yader Francisco Sequeira, habitant d’El Tule, bourgade située à 260 km au sud-est de Managua, la capitale. Comme ce paysan, qui vit dans la province de Rio San Juan, 30 000 Nicaraguayens, dont des Indiens ramas ou nahuas, devraient être expropriés de leurs terres pour construire le canal traversant le pays d’ouest en est. Mercredi, les heurts avec la police ont fait 21 blessés, dont l’un grièvement, selon les autorités, qui ont arrêté 33 manifestants. Quatre jours plus tard, six opposants étaient toujours emprisonnés.

Lundi 22 décembre, l’ancien commandant sandiniste, Daniel Ortega, réélu en 2011 pour un troisième mandat présidentiel, a lancé en grande pompe le chantier du canal. Le projet, estimé à 50 milliards de dollars (41 milliards d’euros), a été attribué dans une totale opacité à l’homme d’affaires chinois Wang Jing. A la tête du consortium international Hongkong Nicaragua Development Investment (HKND), le magnat asiatique des télécoms a obtenu une concession de cinquante ans, renouvelable une fois, pour construire le plus ambitieux chantier d’Amérique latine.

« Cession scandaleuse »

Le premier coup de pioche a été donné dans la bourgade de Brito, sur la côte Pacifique. C’est là que débutera en 2015 le percement du canal, dont l’inauguration est prévue pour 2020. Sa route traversera le lac du Nicaragua, appelé aussi Cocibolca, sur 105 km, puis des forêts tropicales, pour aboutir à l’embouchure de la Punta Gorda, sur la côte de la mer des Caraïbes. Une fois terminé, l’ouvrage, avec ses 278 km, fera plus de trois fois la longueur de celui de Panama (77 km). Le projet prévoit aussi une zone commerciale de 35 km2, plusieurs complexes touristiques, un aéroport, deux ports, des routes et des usines de ciment et d’acier.

« Non au canal, dehors les Chinois ! », ont scandé les opposants au projet, qui ont organisé une quinzaine de manifestations depuis septembre. 277 communautés devraient être expropriées au prix du cadastre (inférieur à celui du marché) sans aucune possibilité de faire appel. « Les habitants refusent de brader leurs terres », a fustigé l’avocate Monica Lopez. Membre du Grupo Cocibolca, qui fédère une dizaine d’organisations scientifiques et écologistes opposées au projet, Mme Lopez a déposé un recours pour inconstitutionnalité contre la concession accordée à HKND qui, selon elle, « représente une cession scandaleuse de la souveraineté nationale ». Même contestation du côté du centre de défense de l’environnement Alexander von Humboldt, qui s’est joint au mouvement pour dénoncer une possible catastrophe écologique. La construction du canal menacerait seize bassins hydrographiques et quinze zones protégées, dont le système de terres humides de San Miguelito.

Biodiversité exceptionnelle

Jorge Huete-Pérez, président de l’Académie des sciences du Nicaragua, a aussi tiré le signal d’alarme en cosignant un article, publié en février dans la revue scientifique Nature, sur les risques de faire entrer de l’eau salée dans le lac Cocibolca, immense réserve d’eau douce (8 624 km2) à la biodiversité exceptionnelle, située sur la route des oiseaux migrateurs. Depuis, ce spécialiste de la biologie moléculaire martèle dans les médias que « la composition chimique de l’eau sera modifiée, altérant la faune et la flore. La sédimentation pourrait aussi affecter dramatiquement cet écosystème. La pollution pétrolière par les bateaux pourrait toucher les animaux, mais aussi les humains qui boivent l’eau du lac et l’utilisent pour irriguer leurs terres. » Sans compter la destruction potentielle de milliers d’hectares de jungle dans une zone déjà victime de la déforestation.

Des arguments réfutés par le gouvernement, qui assure que le tracé du canal « minimise les risques pour l’environnement ». Sa principale motivation réside dans les retombées économiques du projet, devant permettre de créer des emplois pour réduire la pauvreté, qui frappe 45 % de la population. « Le canal représente aussi une opportunité d’allouer davantage de ressources à la protection de l’eau du lac Cocibolca et à la reforestation du pays », a rassuré Manuel Coronel Kautz, président de l’autorité du Grand Canal du Nicaragua.

Mais, en face, les opposants semblent plus déterminés que jamais. « Ici je suis, ici je mourrai », jure Ramona Henriquez, habitante de la communauté de Santo Domingo de Piche, dans un documentaire diffusé sur Internet par le Centre Humboldt. Et Mme Lopez de s’inquiéter : « La répression policière risque de provoquer une escalade de la violence. » Le bras de fer ne fait que commencer.

 

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