CCCXVII.

Il y a peu je tentais de resituer dans ma mémoire (aussi ailleurs) un roulement à billes d’acier entrevu dans une vitrine. La réponse est venue d’un lecteur. Grand merci à lui. Tout ici n’est donc pas inutile.

Ceci m’a mis sur une autre piste. Toujours rue Jeanne d’Arc, toujours dans une vitrine, sur un socle pivotant, c’était un énorme morceau de charbon que le passant pouvait admirer. Mais là, pas de perte, nos mémoires sont d’accord, il s’agissait de la vitrine des Charbonnages Barrois, à l’angle de la rue des Bons-Enfants.

Comme pour le roulement à billes, je ne puis que dire sa force, sa permanence, son évidence. Tout dans l’irréductible, à savoir : rien à comprendre, nulle question, nulle réponse. L’anthracite seul…

Il y a, chez Charles Dickens (Temps difficiles) un personnage qui n’entend s’attacher qu’aux faits. Uniquement les faits. Pour lui, un cheval est un quadrupède herbivore avec quarante dents : vingt-quatre molaires, quatre canines, douze incisives. Rien d’autre. Il n’a que faire qu’un cheval soit un fier coursier, un pégase ou le fidèle Selim de Napoléon. Un cheval est un cheval.

Quelle était l’intention du charbonnier Barrois en mettant un morceau d’anthracite dans sa vitrine ? Sans doute rien d’autre que : Ginette, mettez ce gros morceau d’anthracite dans la vitrine. Et Ginette d’interroger : Mais pourquoi donc monsieur le directeur ?

Je n’en sais rien. Parce qu’il est gros, parce qu’il indique que nous vendons du charbon. Parce qu’il est noir et très brillant. Ginette se dit que Barrois, avec ou sans italiques, a courte vue. Vous ne pensez pas, monsieur le directeur, que ce morceau d’anthracite va avoir une autre fonction ? Celle par exemple d’indiquer un chemin aux petits garçons et aux petites filles. Vous croyez mettre un simple morceau de charbon. Au vrai, vous faites plus. Vous ne vous adressez pas à la raison, vous vous adressez aux sentiments. Vous faites dans le subtil. Dans la poésie.

Presque, oserais-je, monsieur le directeur, vous êtes dans le surréalisme. Vous mettez un morceau de charbon dans la vitrine parce que vous êtes charbonnier. En cela rien à dire. Mais nos actes sont-ils seulement ce que nous voulons ? Dès lors qu’il est dans la vitrine, ce charbon vous échappe. L’imaginaire du passant s’en empare et le fait vagabonder. Finis les faits, voici le souriant nuage de l’instant.

Ginette, vous me fatiguez, l’anthracite sert à chauffer. Rien d’autre. Mais, monsieur le directeur, pourquoi le gaspiller ? Ce morceau pourrait chauffer une famille de six personnes durant un mois (l’auteur : Ginette est adepte de la compassion). Or là, si vous exhibez votre force, vous montrez aussi votre mépris. En même temps, ajouterais-je, que vos moyens intellectuels limités.

Oui, oui, Ginette, vous allez bien ; comme disait l’autre : La beauté sera convulsive ou ne sera pas ! Me croyez-vous né de la dernière pluie ? Un charbonnier est toujours plus qu’un charbonnier. Mon père, et avant lui mon grand-père, me l’ont appris. Mettez ce morceau d’anthracite dans la vitrine et épargnez-moi vos commentaires.

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