623

Assis face à l’oracle, Nicolas écoutait sans broncher. Quel débris ! Pour moi et pour lui, que de patience ! Pleurer sur soi se disait-il. A ce stade, les professeurs sont de pauvres professeurs. Dans l’ambiance feutrée, il écarta d’un geste le garçon de café venu prendre la commande. Saturé de tous liquides. Non, aujourd’hui, il ne s’attarderait pas. Aussitôt remis les documents à Laurier, il repartirait avec trois nouvelles questions à démêler. Plutôt des énigmes. Qu’il faudra résoudre ou pas.

Au vrai, vous n’êtes responsables de rien ou de pas grand-chose. Vous êtes, pour la plupart, nés, comme on disait autrefois, avec une cuillère d’argent dans la bouche. Vos langes venaient déjà de vos grands-parents. Oui, je sais, c’est vrai ou faux selon les cas. Ce solennel sentencieux de Pierre Bourdieu vous a bombardé Héritiers. Même si vous n’en êtes pas, vous l’êtes. Pour chacun, dans un genre différent. Votre principale qualité : être toujours du côté du manche. Ce qu’un autre nommait les superbes et qu’il confrontait aux autres, qu’il appelait les humbles. Oui, que vous le vouliez ou non.

La malédiction de votre mise au monde (ce que les Espagnols appellent avec bonheur la mise à la lumière) est là : vos parents étaient trop ambitieux. Or l’espérance leur manquait. Tuée dans l’œuf à cause de leur patiente médiocrité. Je sais que ce que je dis là, sera qualifiée de pensée de droite. Ce sera l’avis des autres ! A mon âge, pensez si je m’en fiche. Et toi aussi, je le sais. De tout ça, moi, de tes parents et de ce qui pourra advenir.

Jeunes gens, on vous verra dans quarante ans. Serez-vous encore admis sur le Forum ? Y serez-vous toujours en vogue ? Je réponds oui, et aussi impitoyables. Je vous juge avec sévérité parce que je vois en vous de la mauvaise graine. Celle qui donne le mauvais blé. Vous avez mille fois raison de manifester contre le blé Monsanto ; vous y voyez une véritable concurrence.

Le tout dans la vie, vois-tu Nico, c’est de ne pas se tromper d’ennemi. Tout est là. Le cœur de cible comme on dit dans les écoles de commerce. Ce pourquoi vous voulez tous y aller, vous et vos parents. Pour savoir où il va falloir viser. Là-bas, on vous adore, d’abord parce que vous êtes bons clients, mais aussi parce ce qu’on vous y enseigne ne vous apprendra rien. Ce monde de demain, vous y êtes déjà. Vous en constituez l’essence.

Nicolas Pouzzoles ne répondait rien. A quoi bon ? On l’aurait surpris en lui démontrant qu’il portait une réelle affection à ce satirique professeur. Ce clown n’était ni vieux ni triste. Devant sa bière, il attendait qu’on lui apporte son costume de Père Noël ou de saint Nicolas. Après quoi, il distribuerait autant de coups de martinet que de friandises aux enfants des écoles. Son drame : constater que sa vie n’avait donné lieu à rien dont il puisse être fier. Ni même content. Ce jour là, il affectait d’en être inconsolable.

622.

La brasserie de l’Échiquier est ici une adresse presque ancienne. Située à proximité du palais de justice (d’où lui viendrait son nom, dire pourquoi) elle occupe le fond d’une esplanade que bordent autant de terrasses qu’en offre cette situation idéale pour qui aime boire en verre au soleil. Mais de soleil en Normandie, il n’y en a guère. Ou si oui, parfois.

Sous l’esplanade, un centre commercial abrite la Fnac et quelques boutiques. Au-dessus de l’esplanade, une résidence de standing (à peu près) où logent retraités friqués ou cadres supérieurs non moins. Ailleurs, on trouve une bibliothèque publique, un restaurant chinois, un autre milanais, un petit supermarché. Quoi d’autre ? Beaucoup de vide. Les lieux sont de passages ou de divertissements. Qui disait : La vie s’y écoule au rythme des saisons ? La brasserie est grande, peu éclairée, dans un ensemble de couleurs indistinctes. Rouge, jaune, des tons bois, nuances du genre feuille morte. On y déjeune le midi, on y dîne le soir, mais pas très tard.

Le professeur Pierre Laurier est un type de même genre. Lui aussi est cadre supérieur, lui aussi fréquente la Fnac et les bibliothèques publiques ; il ne déteste pas manger chinois ou milanais, et s’il déjeune le midi, c’est à la même table, vêtu d’un vieux veston de tweed beige, d’une chemise marron foncée et d’une cravate sombre. Comme on dit : il n’est pas regardant. Ou encore : il se fond dans le paysage.

Lorsque Nicolas Pouzolles entra à l’Échiquier, Laurier avait à peine touché à sa bière Chimay (tradition monastique) pour laquelle il lui en coûterait 3,80 euros. Le ticket sur la table voisinait avec un livre fermé dont, à cette distance, on ne pouvait discerner l’auteur et le titre. Ou alors si oui : une couverture blanche ornée de ce qui semblait un fragment de fresque pompéienne. Les deux hommes avaient rendez-vous pour faire le point sur des recherches entreprises par l’un au bénéfice de l’autre. Nous y reviendrons.

Pierre Laurier, seul à sa table, semblait néanmoins poursuivre une conversation entamée de longue date. Mon ami, tu te crois politique, or tu n’es qu’un pêcheur à la ligne. Un amateur. Tu enfiles des vers de terre et tu attends que ça morde. En attendant les petits poissons, tu te prélasses avec tes amis. Vos discours ne vous coûtent rien. Sans doute, vous faites croire le contraire. Pour cela, vous prenez des mines de conspirateur et parlez par allusions. Tu m’as compris, Charly ? Question inutile car l’eau du lac est transparente. Charly et toi vous n’avez pas vous comprendre. Il suffit que vous vous regardiez. Vos mots ou vos œillades, autant de contemplations pour vous et pour les autres. Et crois-moi, le mot contemplation, doit s’entendre dans tous ses sens.

Moi là-dedans (c’est toujours Pierre Laurier qui soliloque) je suis seul dans ma salle de cours à enseigner saint Anselme, Cicéron ou Gustave Flaubert. Ceci sans difficultés. Même avec un certain plaisir. J’essaie de vous êtes agréable. Ou utile. En fait, je guette votre approbation. J’attends.

621

Pour qui s’en préoccupe, Pouzzoles une ville de bord de mer, située en Campanie, pas loin de Naples. Nicolas le savait mieux que quiconque. La généalogie familiale, transmise par une grand-mère d’origine, s’arrêtait dans cette région volcanique. Mais elle précisait aussi, secrets de famille obligés, qu’Annarella et Caramella étaient deux sœurs restées célibataires. Qu’elles aient connu des carabiniers à la mode Vittorio de Sica, personne ne s’en souvenait. Et pour ce qui nous occupe, cela n’a pas d’importance.

Sorti du Café Thermogène (lieu de réunion des quatre amis) Nicolas se retrouva à maugréer. Passant par la rue Saint-Vivien, puis la rue des Faulx, il s’engagea dans les jardins de l’hôtel. En lui-même, le monologue commun se poursuivait. Pour eux, c’était acquis, ce monde s’équilibrait trop et trop bien. Si tout se maintenait, si tout se maintient, c’est avec la complicité de tous et de toutes. Ah, se disait-il, cette poubelle n’est pas seule. Elle n’est pas la seule. Nous sommes dedans. Voilà désormais où est la stratégie du monde. Et au final, il n’y en a qu’une, celle des machines et des objets. Celle des dépendances. Ce que tout à l’heure, Charly nommait l’interconnexion des choses. Qu’il nommait avec emphase (c’est moi qui souligne).

A cet instant, Nicolas passait au niveau du portail des Marmousets. L’abbaye Saint-Ouen est ici une grande chose. Et qui, elle, résiste. Le temps, peut-être. Mais pour qui a vingt ans, les vieilles pierres de Rouen font partie d’un décor trop familier. Jeune, on ne mesure pas ce qu’il en coûte de s’y attarder. On croit pouvoir s’en distraire. Illusion. Ce portail date du XIVe siècle ; les sculptures du tympan figurent l’assomption de la Vierge, son ensevelissement et sa glorification ; il est précédé d’un porche à pendentifs du début du XVe siècle. Du moins, à ce que disent les guides anciens. Et aussi que c’est devant ce portail que Jeanne d’Arc eut à faire une abjuration, solennelle. En pure perte, on le sait.

De fait, pour qui a vingt ans, le monde qui est ne comprend à peu près rien de ce qui se passe dans la jeunesse. A quoi ont-ils pensé ? Tout à l’heure, Charly répétait avec raison que la politique de papa ne croit plus en rien. Pire, plus personne ne croit plus en elle. Ce à quoi, ajoutèrent les quatre, qu’aujourd’hui ceux qui prennent avec trop de ferveur les questions de l’environnement, celles de politique ou de la démocratie, soit passent à côté, soit risquent gros. Comme en 1431 ? Pas loin. Face aux Anglais ou au Dauphin, nous avons peu de solutions : soit rester à la maison (au vrai, abandonner), soit tenir tête. Faire front, tenir en échec. Qui ? Quoi ? Eh bien, l’unique chose qui soit à la hauteur.

Mais nous voici rue de l’Hôpital, pas loin du lieu de rendez-vous que Nicolas Pouzzolles a avec un certain Pierre Laurier, professeur de son état, professeur ; qui plus professeur de lettres classiques ; ce qui, par les temps qui courent, laisse en plan toutes discussions.

620.

En novembre 1869, Gustave Flaubert publiait L’Éducation sentimentale. On le sait, le roman, sous-titré histoire d’un jeune homme, passe souvent pour l’archétype du roman d’apprentissage. Apprendre quoi et à qui ? Condensé de trois essais de jeunesse, le livre fut longtemps une référence. Cependant, noyé qu’il fut par des décennies d’analyses structurelles, on lui préfère aujourd’hui Madame Bovary. Dire : la casquette de Charles, la pièce montée du mariage, ou la scène de fiacre suffit à faire savoir qu’on sait. Personne n’en demande plus, sinon quelques imbéciles qui ne sauront jamais se tirer d’affaire.

Nicolas Pouzzoles est un garçon né vers 1994. De façon plus précise : né à Rouen. Lorsque commence le présent récit, Nicolas parle. Ou discute. Ou encore pérore. C’est selon ce qu’on a à dire de lui ou de ses amis. La scène se passe dans un endroit précis de la ville, café, galerie de peinture, atelier de remise en forme. On dira peut-être. Pour eux, c’est un lieu alternatif. Au parlé propre, cette appellation ne signifie rien. Enfin, pour nous. Mais beaucoup pour eux.

Au vrai, Nicolas Pouzzoles est un stoïcien. Il cherche à méditer, il veut vivre selon la nature et la raison. Il cherche le vrai bonheur. Il a lu chez un bon auteur : Sustine et abstine qu’on a traduit par « Supporte et abstiens-toi ». C’est comme un viatique provisoire. Une sentence comme chez d’autres ou une question de tee-shirt. Mais ça, Nicolas l’ignore. Pour le moment, il ne le sait pas. En ce moment, il parle. D’abondance et avec un air concentré. Sa voix n’est pas très chaude, presque métallique. Les mots se détachent un à un. Scansion d’acteur. La conversation a débuté par la mosquée de Cordoue (on se demande pourquoi !) puis nous sommes passés au Songe d’Hérode (parce que nous sommes en période de Noël ?) puis à un conseiller municipal écologiste, puis pêle-mêle, du center-park de Roybon (qui se souvient de quoi il s’agissait ?), de Thérèse Delpech (morte en janvier 2012), de Sylvia de Franz Schubert par l’ensemble Catonia. Que sais-je encore ?

Sur la table un peu haute, quatre verres dont l’un a contenu du coca-cola, deux autres de la bière, le quatrième un genre de menthe à l’eau. Nicolas Pouzzoles, et cela suffira, est vêtu d’un jeans usagé, d’un pull à col roulé de couleur rouille et d’un caban sans âge.

En admettant qu’on rédige le compte-rendu détaillé de la conversation, on mettrait à jour quelques probabilités, une ou deux certitudes, le tout enveloppé de lyrisme prophétique et de rhétorique abstraite. Ceci en mauvaise part. Si, derrière les discuteurs, un attardé écoutait, il aurait retenu qu’on s’arrangeait de mots plus que de phrases. Durant une heure, on parla insurrection, démocratie (vraie et fausse), vérité, vote, gouvernement, crise, réel, technique. Mais aussi pouvoir de la rue, soulèvement, intelligence commune, émergence. Je cite.

Mais si un tel récit existait, tout nous y demeurerait mystérieux : l’identité de son auteur, la date de sa composition, la trame de son intrigue. C’est donc qu’il faut poursuivre.

DCXVI.

La question du jour : où va-t-on mettre le squelette du cardinal de Joyeuse ? Ce débat passionne-t-il ? Moi, oui. Et aussi ceux chargés de déménager ce qui reste dudit. Logé depuis près de deux siècles dans la chapelle du lycée Corneille, ce faiseur de rois et de papes, est prié (façon de dire) d’aller voir ailleurs si j’y suis. La faute à la musique baroque, lui qui en fut si friand.

En attendant, plusieurs possibilités sont offertes aux décideurs. Après l’avis d’un comité d’experts, quatre sites ont été retenus. D’abord le futur mémorial Jeanne d’Arc situé on sait où. Hypothèse séduisante, mais on a argué (avec raison) que le public pourrait confondre Joyeuse avec Cauchon. Dès lors, il faudrait expliquer, argumenter, mettre les points sur les i, d’où un risque de soupçon traversant les mauvais esprits. Mais alors, si c’est pas lui, pourquoi il est là ? Admettons un guide (débutant ou pas) perdant ses moyens, le doute envahir les esprits, ça ni le moment et ni le lieu. Pas de vagues, pas de vagues !

Deuxième lieu retenu : le sous-sol des Nouvelles Galeries, rue Grand-Pont. On le sait désert, central et accessible aux handicapés. Si entente de la maison-mère a été trouvée, la faisabilité (quel mot !) s’est heurtée à une opposition du personnel rouennais. Par un référé déposé par ses délégués syndicaux (la CGT, toujours !) on a fait valoir un droit de retrait fondé sur le règlement intérieur. Un obscur article, écrit petit, stipule qu’on ne saurait exposer un corps d’archevêque à proximité d’un comptoir de sous-vêtements féminins. Chacune des parties, représentées par des avocats de renom, a remis ses conclusions. Jugement dans le premier trimestre de l’année prochaine.

Troisième lieu, et celui-ci a toutes chances d’être retenu, le fameux panorama XXL, dit aussi la Tour à Zizi. Certes, à l’origine, il était prévu pour un autre usage. Or, de récents sondages prédisent une faillite à terme. Il paraîtrait donc urgent de s’acheminer vers une porte de sortie. Dans cette perspective, on pense que de menus travaux permettraient d’exposer le sarcophage au centre du cylindre, ce qui permettrait au public d’en faire le tour. Cela pourrait donner à l’ensemble un air « tombeau de l’Empereur aux Invalides ». On peut même imaginer qu’il soit possible d’appliquer un billet d’entrée dit « couplé ». Contactée, l’ambassade de Chine populaire a donné son accord.

Laissons pour mémoire le quatrième lieu pressenti, la crypte de l’abbaye de Saint-Georges de Boscherville. Dommage. D’emblée, elle avait tout pour plaire : institution sérieuse, monument chargé d’histoire, cadre agréable. Pourquoi s’est-on privé de cette solution ? Rouen Chronicle le révèle aujourd’hui. On sait le président du conseil régional amateur de tables tournantes. Par une initiative malheureuse (il n’en est pas exempt), il a cru bon d’interroger un personnage connu, paraît-il inhumé au même endroit. Trois coups oui, cinq coups non, la réponse d’outre-tombe n’a pas tardée : ce fut niet. Nouvelle déconvenue pour l’exécutif, contraint de se rabattre sur un pis-aller et revenir sur des promesses hasardeuses. Pauvre Normandie !

DCXV.

De nouveau, le cardinal de Joyeuse (1692-1615). Né à Carcassonne, mort à Avignon, il repose à Rouen. Où ça ? Dans la chapelle du lycée Corneille (voir nos éditions du 1er décembre). Ça n’est pas drôle pour un méridional de vivre son éternité dans une ville où il pleut tant. Encore que, de récente facture, ces choses là ne sont plus ce qu’elles étaient. Chaque jour, in the tv, on voit pleuvoir là-bas et faire soleil ici. Mais François de Joyeuse s’en tamponne. Il n’a pas la télévision et de l’intérieur de la chapelle, il ne voit qu’à peine de pluie et pas trop le soleil.

Qu’est-ce que c’est que ce feuilleton sur le cardinal de Joyeuse ? Ce qui m’amuse, c’est qu’un homme mort en 1615 (dont on n’a rien à dire, ni en bien ni en mal) fasse l’actualité. Je crois me souvenir qu’on avait déjà parlé du pieux cardinal il y a une dizaine d’années. C’était au temps où, au-dessus de la chapelle et du lycée, on s’occupait de l’ancien couvent des Dominicains, bâtiment resté vide après le départ de nos bons pères. En haut lieu, on s’avisa que les lieux, d’une rare qualité, siéraient à une institution en rapport. Pas la caisse d’allocations familiales, ou celle des pensions aux handicapés bien sûr, mais quelque de chose de plus, comment dire, de moins, enfin vous voyez.

Qui autour de la table prononça : les affaires culturelles peut-être ? Un stagiaire ? Possible. Ils ont parfois de drôles d’idées. Toujours est-il que, chose dite, chose faite, on acheta à la hiérarchie propriétaire, couvent, jardin, cloître, chapelle, caves et même, tenez, la statue là, pas cher. Le tout dix mille, signez là. J’ai fait une affaire dit le maquignon du ministère. Un cheval comme ça, d’habitude, c’est vingt mille. Et sans la selle.

On s’installe quand ? demandèrent les Draqueux ? Lundi en quinze. Et le papier à lettres qui n’est pas prêt ! Comme adresse on met quoi ? L’adresse normale, 10 rue de Joyeuse. Un débat s’engagea. Rue de Joyeuse, ça fait un peu, comment dire, enfin vous voyez, vous comprenez, Joyeuse. Hi, hi ! Quoi, joyeuse, hi hi ? Mais enfin, ça fait lala lalère, hou hou. Bon, pourquoi pas alors : rue du Cardinal de Joyeuse, avec des majuscules. Ah oui, classe, tout à fait nous.

Et un autre dix mille pour le papier à lettres. Plus faire rire aux dépens quand la chose se sut. Même la presse nationale en parla. Quand la nationale parle de Rouen, c’est qu’il y a de quoi rire. Or, au ministère, on ne déjà riait plus. On n’a plus d’argent pleurnichait le ministre. Que faire ? Impossible de rogner sur Paris, on rognera sur Rouen.

Adieu chapelle, jardin, cheval, et même la selle. Les hou hou, vous resterez sur la rive gauche. On revendit le couvent, les Draqueux se serrèrent un peu plus, et la rue de Joyeuse resta sans Cardinal. Fin de l’histoire ? Non, il y a une suite. Drôle ? A peine moins.

DCXIV.

On semble s’activer du côté de la chapelle du lycée Corneille. Après des atermoiements d’ordre esthétique, les travaux ont repris. Dare-dare, presque. C’est que la musique n’attend pas. Bientôt, là où Pierrot le rimailleur communiait en veux-tu en voilà, on jouera de l’épinette et de la mandoline. Seulement, voilà, ça ne sera pas sans y laisser des regrets. D’abord celui d’avoir à s’occuper du cardinal de Joyeuse. Du moins, de son squelette.

Trois mots sur ce cardinal ? Il en faudrait plus pour vous retenir ici. Sachez qu’il fut fameux dans sa partie et, comme aurait dit Pierrot, que c’était un gars qui savait naviguer. Pensez, un type qui était à tu et à toi avec Grégoire Treize, Henri Trois, Henri Quatre, Urbain Sept, Grégoire Quatorze, Innocent Neuf, Clément Huit, Léon Onze, Paul Cinq, Louis Treize et encore un tas de gens sont les noms s’écrivaient alors en chiffres romains. Un tel homme devait être une tête (une tronche) et pas un à qui on marchait sur les pieds.

Il n’empêche. Nos élus républicains n’en ont cure (ce qui, en l’occurrence). Ils ont résolu, puisqu’il est mort, de déplacer notre homme Du moins, son tombeau. Comme celui-ci est en gros marbre bien dur, ils se feront aidé par un maçon (ce qui, en l’occurrence). Ai-je oublié, pour une bonne compréhension, de vous dire mon cardinal est inhumé dans la chapelle dont je vous parlais au début ? Enfin, si oui ou si non, ce tombeau gêne. Il n’a pas gêné pendant des siècles, mais maintenant oui, il gêne.

C’est que, pour écouter Bach ou Laverne (ce qui jamais ici n’arrivera), il faut que chacun puisse mettre son paletot au vestiaire et puisse se laver les mains. Du moins, quand le besoin s’en fait sentir. Or, simple exemple, à l’auditorium, il est hors de question de pisser dans un violon. Il faut donc des water-closets (ça ne se dit plus). Or, a priori, une ancienne chapelle en est dépourvue. L’architecte en a vite convenu : va pour des cabinets (ça se dit encore moins) et un porte-manteau (dit aussi perroquet). Pour ce faire, de Joyeuse en cadavre gêne.

Virez moi ça ! aurait dit l’élu, en parlant du tombeau. Ça coutera ce que ça coutera. Au fait, que contient-il ? Pas grand-chose car François de Joyeuse, fut inhumé en plusieurs morceaux, son cœur à Avignon, son corps à Pontoise. Quelle histoire ! Mais à Pontoise aussi, il gênait. D’où, après conciliabules de prêtres, un autre déménagement. En langage noble : une translation. Direction Rouen.

Cet épisode, dans l’attente de mieux, se passait en 1779. Ici, le corps fut logé dans un séminaire que le mort avait fondé. Mais, en 1826, revirement, on re-translate. Du séminaire cette fois à la chapelle du lycée. Pour l’occasion, les puissants cassèrent leur tirelire et mirent ce qui restait de notre héros dans le magnifique tombeau que l’on sait. Et qu’on va donc déplacer. Encore et encore.

Quelque chose me dit que l’histoire n’est pas terminée. Dans un prochain épisode, on verra comment et pourquoi.

DCXIII.

Les plus anciens d’entre nous (mais là, les vraiment plus anciens) se souviennent de la grande enseigne en forme de lyre qui longtemps figura en point de repère sur l’île Lacroix. Elle localisait une sorte de music-hall réputé, La Lyre. Je vous épargne le début, l’historique et la fin de la chose. Que d’autres s’y collent, pas le temps. Pas le goût, non plus. Disons que ladite lyre (toute de ferraille) disparut en 1965. Ça ne date pas d’hier. Encore moins d’aujourd’hui. De demain peut-être ? Il faut toujours penser à la jeunesse.

Ainsi qui nous dira si, en 2064, un ancien jeune se souviendra d’un grand cylindre de ferraille qui ornait les quais, un peu à la hauteur de l’ancienne préfecture (car elle aussi aura disparu). Ce cylindre en forme de baril de pétrole abritait un genre de panorama de toiles peintes. Quelque chose d’ancien qu’on voulait remettre à la mode. Lancé à grand renfort de communication institutionnelle, ce spectacle ne trouva pas sa place dans le paysage culturel local. Un temps reconverti en rotor (attraction foraine elle aussi oubliée), il servit pendant deux décennies de hangar pour la Société Protectrice des Animaux (les chiens en bas, les chats en haut) puis, prenant l’eau, fut démoli.

C’était en 2036 (ou 37 d’après d’autres sources). C’est loin. Depuis, la force publique a moins de goût pour les initiatives oiseuses. Il est vrai que les événements de 22 et 29 sont passés par là. Dès lors, que dire ? Qu’il n’y a plus de music-hall, plus de toiles peintes et plus de Société Protectrice des Animaux. A présent, on réfléchit et on s’applique. On prend son temps. Toujours. C’est le maître mot : il faut temporiser. Rien ne presse. Ceux qui connurent les anciens temps disent que ça allait plus vite ; ils ajoutent : autrefois. On croit qu’ils se vantent.

Oui, la ville a changé. Elle change. Par exemple, on coupe les arbres. De la fenêtre de ma salle de bains, je pouvais apercevoir un gros arbre rond. Loin, là-bas, au-dessus des toits. Il me paraissait gigantesque, ce qui ne sert à rien. Les tronçonneuses en sont venues à bout. Rien ne résiste à la fureur du service des espaces verts. Les prétextes ne manquent pas. Bref, me rasant le matin, je ne vois plus mon arbre. Il parait que je dois m’en consoler.

Comme je me suis consolé de la disparition de la grande lyre. C’est ce qu’on appelle vieillir. Mouais. Mais vieux depuis longtemps, je ne m’habitue pas. Sur la fin, ça semble même de plus en plus difficile. Je veux dire, les jours. Comme la barbe. Elle aussi pousse en désordre, n’importe comment, avec des buissons et des ramifications que je ne me connaissais pas. Des coupes sombres. Ça déboise, mais mal. Ajoutez à cela que je ne m’habitue pas la mousse à raser en gel. Trois bombes d’avance ! Une promotion, paraît-il. A ce genre de chose, Léone ne résiste pas.

Quelle ville et quelle vie ! Sur le tard, rien ne m’aura été épargné.

DCXII.

La ville devient de plus en plus amusante. Il y a peu, on a reconstitué, place de l’Hôtel de Ville, une sorte de bidonville. Ce décor, plus faux que vrai, était là histoire de sensibiliser la jeunesse au mauvais logement et à la solidarité tout azimut. Louable dessein. N’empêche, si le réalisme laissait à désirer, les sentiments étaient plus vrais que nature. C’était l’essentiel. Selon les gazettes, il paraitrait qu’on s’y est diverti de façon variée. Une fois, un peu sérieuse, une autre, un peu festive. Si l’initiative a été jugé douteuse par quelques-uns (il y a des grincheux partout), le sens commun a jugé la chose plus anodine que dérangeante. L’autorité municipale (plus municipale qu’autoritaire) a cru bien faire en autorisant ce déballage. Il est vrai qu’il n’était pas prévu pour durer et ne présentait aucun risque. Celui du ridicule, peut-être ? Pensez-vous, a répondu Yvon Robert, de ce côté-là, on est blindé.

La ville de plus en plus amusante ? A quelques centaines de mètres du précédent, on a installé un autre bidonville. Place Foch, cette fois. Plus ou moins clean celui-là. Et lui, pas sympathique du tout. Même inquiétant, un peu foutoir pour tout dire. Qui plus est, dans le genre revendicatif et jeunesse arrogante. Ce qu’en haut lieu, on déteste. Là aussi, pourtant, on voulait sensibiliser. Pour la planète en péril et l’économie hasardeuse. A deux pas de la Fédération de l’Achat des Cadres, pensez si on s’en fiche. Bref, l’initiative a été jugé douteuse par beaucoup (les grincheux, toujours !) et par d’autres, tout à fait désespérée (quoique, à y réfléchir, méritante). Au final, le sens commun a jugé la chose plus dérangeante qu’anodine. Le coup de pistolet au milieu du concert ? Oh, à peine, mais quand même. Bref, la police, prévenue par les voisins, s’est alliée aux services de la propreté municipale (plus municipale que… ) et chacun est rentré chez soi.

La ville devient de plus en plus ? Encore quelques centaines de mètres et jamais très très loin, voici le troisième bidonville. Sur les quais, cette fois. Une sorte de gigantesque bidon ferrailleux, peint en bleu (couleur préférée de qui vous savez) et visible, dit-on, de la planète Mars. Comme la muraille de Chine ? A peu près. Ce bidon se veut créatif, culturel, artistique. Il est sensé offrir au public (touristes du monde entier, unissez-vous) l’envie d’en savoir plus. Louable exigence ! Elle devrait (on n’a pas rien sans rien) lui coûter une dizaine d’euros et une crêpe au sucre. Ce bidonville, à l’inverse des deux autres, est prévu pour rester en place. C’est qu’il semble n’avoir aucun des défauts des autres, et toutes les qualités dont les autres sont dépourvues. Enfin, dit-on, car de ce côté de la barrière, l’optimisme est de rigueur. Peut-être trop.

Tout ça pour dire qu’il y a bidonville et bidonville. Confondre, c’est croire que tout se vaut. Or tout ne vaut pas. On ne saurait confondre un élu, un artiste et un anarchiste. Ou alors, si oui, ce n’est plus amusant du tout.

DCXI.

En consultation à la clinique. Dans la salle d’attente, la foule des grands jours. C’est le cas : prendre son mal en patience. La moyenne d’âge est importante. Si la jeunesse est malade, elle l’est ailleurs ou de façon différente. Chacun sa chaise ; les uns feuillettent des revues au delà du défraîchi, d’autres tapotent sur leurs mobiles réputés portables, quelques-uns (plusieurs) lisent, ayant apportés, comme si cela tombait sous le sens, un livre. D’autres encore, les derniers (dont moi) attendent leur tour (lequel finira par venir).

J’écoute les conversations. Elles sont rares. L’endroit réclame un silence de chapelle. On chuchote plutôt. Les couples surtout. Comme l’assistance a dépassé la bonne soixantaine, la surdité décennale fait qu’il arrive qu’on parle haut. Du moins, un peu plus que la normale, presque comme chez soi. A trois chaises de la mienne, c’est le cas d’un contemporain argenté et un peu rouge. Pour lui, pour son épouse, aussi pour la galerie, il commente le Figaro Magazine. Je distingue mal le propos, mais devine qu’il s’agit d’apprécier, avec plus de détachement que de bonhommie, la figure d’Éric Zemmour. Tout à l’actualité.

L’épouse du commentateur, se signale par son apathie de façade. Comme il insiste, elle marmonne un jugement, qu’à distance, je perçois sans tendresse (le jugement). Au vrai, elle aime surtout qu’on se fasse remarquer. Que dirait le docteur, si. Haussement d’épaules : tournant la page, le fatalisme du mari l’emporte et de conclure : Que veux-tu, c’est un artiste comme un autre ! La parole est d’or. Sans doute, voilà le personnage en question pesé d’un bon poids. Vox Populi ! Pourquoi vouloir en découdre, on a les artistes qu’on mérite et chacun selon ses goûts.

Pourquoi n’ai-je pas pris un livre ? M’en voici consolé. Pas sûr que plongé dans Critique de la raison pratique (à supposer que, simple exemple) j’ai pu saisir au vol ce fragment de philosophie bonhomme. Oui, tous ceux qui passent à la radio ou à la télévision sont des artistes. Sans distinction. Et le souvenir qui en reste (en restera) sera d’autant plus léger. Ou anodin. Le patient de la salle d’attente a sans doute assez de soucis avec sa santé pour ne pas s’embarrasser de jugements esthétiques ou philosophiques.

Il prend ce qui vient, comme ça vient. Du reste, il connait la fin, il en est proche. La clinique Saint-Hilaire (ou d’autres) amène à une sagesse, certes contrainte, mais n’empêche pas de toucher au détachement. Que disait Blaise Pascal déjà ? Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Qu’il s’agisse d’une chambre d’hôpital n’enlève rien au débat.

Je suis rentré par la ville (si les analyses sont sans surprise, elles n’excèdent pas le médiocre) où il fait encore un temps serein. A la Croix de Pierre, le boulanger vend des gâteaux à un seul euro. Même jugement que mes analyses. Et point final d’une chronique où l’on aura appris à se méfier de l’actualité, ne fut-ce qu’à la lumière des journaux.

DCX.

Il fut un temps où, lors d’une conversation à bâtons rompus, on confondait la rue des Basnage avec la rue du Bailliage, la rue du Bac avec la rue du Bec. C’était à ne pas s’y retrouver. Le calendrier des Postes seul nous départageait. Les meilleurs d’entre nous usaient de moyens mnémotechniques (quel mot !) Pour le Bac, facile : elle devait être, la rue, au plus près de l’eau. Pour le Bailliage, bernique. Celle des Basnage tient son nom d’une famille de notables (c’est Tanguy qui le dit et qui y est). Quant au Bec, on tombait dessus.

Aujourd’hui, la rue des Basnage est celle de l’Armitière. Ou encore du restaurant Maître Corbeau (pour d’autres). Rien à voir avec ce qui précède, donc. Encore que. Le phénix des hôtes de ces bois fait référence (je précise) à La Fontaine, dont il arrive que l’Armitière vende un ou deux exemplaires des fables choisies. Pas toujours, mais parfois. Au restaurant, on n’applique pas la réciproque. A tort, peut-être. J’ai connu l’Armitière, rue de l’Ecole, celle du temps où les enfants apprenaient Le Corbeau et le Renard. Cela dit en passant.

Autrefois, les lieux voués au présent Maître Corbeau abritaient une entreprise d’électricité (il me semble). Ou de chauffage ? Raison pour laquelle, sans doute, il y fait un peu frais. Sans habitude, j’y déjeune de temps à autre. C’est populaire, pas cher, bon (sans plus) avec l’impression d’être au milieu de gens pour qui je n’ai pas à m’en faire. C’est une cantine où l’on est comme transparent. Un peu à l’image d’un pâle gruyère.

La rue du Bailliage a tout perdu de son charme ancien. La faute au parking souterrain dont on a voulu ici dissimuler l’entrée. Flâner en ces lieux ? Vous n’y pensez pas. On ne dira jamais assez combien la construction du parking du palais a été un désastre. J’ai dit, ailleurs, pourquoi. On me l’a reproché. A présent, on invoque les nécessités du temps et le manque d’imagination. Faute avouée, à moitié pardonnée. Dites, la prochaine fois, votez pour moi.

On passe par la rue du Bec. On ne s’y attarde pas. Sauf, semble-t-il, à faire queue, vers seize heures, à la croissanterie dont j’oublie le nom. Pour le reste, dépêchons. Et rue du Bac ? Idem. Ce panorama des plans de la Reconstruction eut son intérêt. Il est aujourd’hui inexistant. Tout ce qui subsiste de ce quartier mériterait une entière piétonisation. Ne comptez pas sur nos créatifs municipaux. La prochaine fois, etc.

Oui, là encore, là toujours : la bagnole, la bagnole, la bagnole. Trois fois la bagnole ? Oui. L’autre jour, passant, j’ai constaté que l’antique Océanic Bar a disparu. Si la vitrine est toujours troquet, l’enseigne est placée sous une autre invocation. La précédente était déjà le fantôme d’une précédente. Mais des Lettres, du Pittoresque et de la mémoire de nos Rues, voilà que tout s’évapore. A la satisfaction générale ? Il faut croire. Comme disait mon ami Raphaël : Il ne me tarde pas de connaître l’issue de tout cela.

DCIX.

Dans mon jeune temps, et même après, il était admis que la gare (dite la gare rue Verte) était un bâtiment d’une extrême laideur. C’était aux temps où le Modern Style (dit aussi style nouille) défrisait le passant. C’est rien laid ! se rengorgeait le Rouennais. Au vrai, cette gare sans style véritable, si elle ne casse pas des briques, possède cependant une originalité certaine. Sachez qu’il en existe une presque exacte réplique à Limoges. En fait-on grand cas ?

Dans cinquante ans, que trouvera-t-on laid ? Pas grand-chose puisqu’on ne construit rien (toujours ici) qui puisse épater. J’en veux pour preuve le quartier Luciline qui n’a de nouveau que la conviction que mettent ses promoteurs à le vouloir tel. Pour y avoir déambulé, même au milieu des gravats, je dois reconnaître que l’ébahissement n’est pas de rigueur. Si vous vous attendiez à un futur à venir, disons qu’il sent déjà le réchauffé. Dire que dans les années Vingt et Trente, on a construit ici la gare, l’immeuble du Métropole, la défunte piscine du boulevard Gambetta, et quelques autres choses dont on ne dit plus rien !

Donc je me suis promené (façon de dire) allée (ou plutôt mail) Andrée Putman. La malheureuse ! Méritait-elle son nom ici ? Elle n’a rien fait pour. C’est contrainte qu’elle entre dans la postérité locale. Victime de la mode, de l’engouement, et surtout du toc à la sauce socialiste. Comme d’autres avant elle, me direz-vous. Les générations qui se succèdent ne sont pas fixées. Une pièce après l’autre. Quoi, qui ? D’abord, ce qui fait bien dans le décor. Dans le salon, là, accroché au mur. Je vous fais un chèque ?

Ça ne durera qu’un temps, croyez-le. Le mail Andrée-Putman deviendra une allée, une rue (à peine), et puis rien. Quand passent les poubelles ? Vous voulez rire. Ce qui président à Rouen, c’est l’utile, le rentable, puis, à condition d’avoir le temps, mais bien après, le visible plaisant (nommé parfois esthétique). Si Studio Putman il y eut c’était, n’est-ce pas, pour de bonnes raisons, celles du papier glacé. Et pis, dites, ça fait chic.

Quoique. Noir et blanc, c’est pas un peu triste ? Trop genre « avenue Junot » ? Je ne sais pas, je ne connais pas. Donc, oui, l’autre matin, dans le quartier, au pied d’un de ces immeubles sans âge mais qu’on découvre déjà vieux, au milieu des cartons, des rebus de chantier et de quelques canettes, il y avait un petit chat. Perdu, miauleur, une minuscule peluche. L’orphelin de la rue Putman ! Je suis d’un âge à jouer les Léautaud, lequel au sortir du Mercure, aurait couru chercher une tranche de foie chez le boucher.

Un boucher à la Luciline ? Pas à ma connaissance. Voilà pourquoi, ce vendredi, noir et blanc pour noir et blanc, il fallait passer son chemin. Hausser les épaules et faire semblant. Semblant de quoi ? De regretter que la vie qui est se charge moins du monde que ne le faisait l’ancienne. Enfin, de mon point de vue.

DCVIII.

Faut-il revenir sur la fontaine Sainte-Marie ? Cette figure plastique ne séduit plus personne. On sait qu’elle date de la fin du XIXe siècle, du temps d’un maire oublié nommé Barrabé. Cet enseignement offre à Yvon Robert une bonne raison pour ne plus rien inaugurer. Sagesse des élus ! Notre dite fontaine est tout symbole. L’eau, ses enfants, un cheval, un bœuf (l’élevage et l’agriculture), les arts, les lettres, les sciences, une majestueuse déesse figurant la ville… Nous sommes devant l’attirail d’une époque où l’on croyait autant au passé qu’à l’avenir.

Vous dire si on est loin de tout ça ! Et loin de l’art de Falguière, le sculpteur du tout. Ce dernier, méridional, admirateur de Gambetta, est aussi l’auteur de la statue de Jean-Baptiste de la Salle qu’on peut voir place Saint-Clément. Aucun rapport. Un peu l’auteur, il me semble, d’une sculpture qui ornait autrefois la brasserie de l’Alhambra lorsque celle-ci était encore debout. L’œuvre n’est-elle pas à Orsay ? Tout ça à vérifier. Bof, si cette chronique vire au bulletin des Amis des monuments rouennais, me voilà frais !

C’est d’autre chose dont je voulais vous parler. Plus immatériel. C’est que je songe à faire du rangement chez moi. Surtout à me débarrasser de mon encombrante bibliothèque. Mon neveu Jérôme ne lit rien (du moins, qui vaille à mes yeux) et la fille de Léone, étudiante prétentieuse (elles le sont toutes) répugne à ouvrir des livres qui sentent la grand-mère (dixit). Elle est polie, elle ne dit pas qui sentent le grand-père. Elle n’aura rien. Ou si peu.

Je suis allé sonder quelques bouquinistes locaux. Belle engeance ! Celui de la rue Beauvoisine n’achète rien ou à des prix dérisoires. Un autre, rue Cauchoise, le prend de haut. Il ne vaut que des auteurs (je serais bien en peine de lui en fournir). Place de la Calende, on a été effrayé du volume que ça représentait. Meilleur accueil chez Elisabeth Brunet (rue Ganterie) où l’esprit des lieux a quelques accords avec la culture telle que je l’entends.

Les autres me font l’effet de commerçants sans objet. Ils vendent des livres anciens (sont-ils propres au moins ?) mais ça pourrait être de vieux chaussons, des cadres à garnir, des sommiers à retaper. Le reste à l’avenant. Ce qui les guide : leurs belles carrières de brocanteurs. J’ai toujours voulu faire ça. Au passage, notons que ces professionnels ont une piètre opinion de la clientèle. Le plus aimable m’a indiqué d’un air désolé : Saint-John-Perse ? Ça ne se lit plus. Sentence dogmatique (même si). Je crois surtout qu’il reculait devant mes éditions originales.

Une, d’Oiseaux, doit valoir pas mal. Dites, douze eaux-fortes de Braque. Eh, ben, à Rouen, niquedouille. On n’a pas la clientèle. Comme esprit fort, j’irai donc déposer mon exemplaire aux pieds de la statue de Falguière. L’homme aimait les jolies femmes et les animaux de belle stature. Mes oiseaux feront contraste. Qu’est-ce que c’est que ça s’exclamera le gardien. Et Yvon fera débarrasser la place. Les forces de police ? Pensez-vous, le service des encombrants.

DCVII.

Un lecteur attentif (et scrupuleux) me signale une erreur de taille dans la Chronique DCIII consacrée au théâtre d’autrefois. A propos de la fontaine Sainte-Marie, il semblerait que j’ai, de visu, un peu trop placé le cheval à droite et pas assez le bœuf à gauche. Ou le contraire ? Bref, c’est l’inverse qu’il fallait lire. Un brin perplexe, je suis allé, hier, vérifier. Notre lecteur a raison. Certes, je pourrais ergoter. Dire que je me plaçais du point de vue du spectateur (l’admirateur ?) et qu’alors, nous n’y pouvons rien, le cheval est à gauche, le bœuf à droite.

Ce lecteur ajoute que cela n’a pas d’importance. Peut-être. Et de conclure avec une grande simplicité : j’aime bien ce que vous racontez. Avouez que. Là où je ne suis plus, c’est qu’il prétend que ce bœuf pourrait être une vache. A vérifier. Mais la montagne est haute et rien ne vaut de hanter les temples khmer.

Comme je n’avais rien à faire dans ce quartier, j’ai redescendu la rue Louis-Ricard. Station devant la place Alain où la façade de la caserne de gendarmerie (lu dans le journal) a été victime de jets de peinture lors d’une manifestation à la mémoire de ce malheureux Rémi Fraisse. Ce dernier, victime plus de son enthousiasme que de celui des gendarmes (ce n’est pas une opinion, c’est un fait), n’en demandait pas tant.

La façade, dit-on, en sera quitte pour un ravalement. Sans doute, mais c’est dommage. Ces jets de peinture lui donnent un petit air Jackson Pollock qui lui manquait. Et lui manquera tant ce bâtiment est immonde. Faut-il qu’une gendarmerie soit belle ? Non, pas obligé. N’empêche, celle-ci illustre la négligence et j’m’en foutisme le plus prosaïque. Et depuis le début. Depuis sa construction, 1959 ou 1960 (à vérifier). Ignore-t-on le nom du tâcheron qui en fut chargé ? Il vaut mieux.

A propos, que penserait Alain-le-pacifiste de tout ce remue-ménage ? Pas grand-chose de bon. Et moi ? Itou. Concours de circonstances dira-t-on. Etre là, au mauvais endroit, au mauvais moment. Voilà qui ne console de rien et laisse libre cours aux instincts les moins reluisants. Faisons confiance aux purs républicains socialistes pour se draper dans des habits trop grands. Faisons confiance aux juvéniles moralisateurs pour s’estimer investis d’une mission régénératrice. Les Saint-Just et les Robespierre ne sont pas toujours ceux auxquels on pense. Le grand âge et la bonne connaissance des classiques évitent de s’emballer.

Mais assez sur un sujet qui force aux banalités. Lorsque j’étais jeune, il était admis de considérer la fontaine Sainte-Marie comme la pire des horreurs. Goût de l’époque. Aujourd’hui elle souffre d’indifférence. On la regarde à peine (la preuve). L’eau n’y coule plus et ses illuminations d’autrefois (lors de la foire Saint-Romain) ne sont qu’un vague souvenir.

Ce qui nous entraine à passer le pont et aller manger des croustillons. Chose que ne fera plus ce pauvre Rémi. En secret, n’est-ce pas le mot final ? J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.

DCVI.

Ces jours-ci, au fil du temps, mort de Bindle, pseudonyme de Roland Vagnier. Pas loin d’une centaine d’années. Sa créature dessinée, Poustiquet, mascotte de Paris-Normandie, est morte aussi. Elle, depuis plus longtemps. Le journal, itou, pas loin. De fait, l’hommage de ce matin, octobre radieux, est plutôt creux. Vite fait, bien fait. Je vous parle d’un temps que les moins…, etc. Mais comme la plupart des lecteurs du canard approchent la soixantaine – (pis le pouce) – on comprend qu’il n’y ait pas à se fouler.

Tant qu’on célèbre, en pages Une, Deuze, Quatorze, Dix-huit et Vingt-trois, les faits et gestes des conseils général et régional, on résume l’essentiel ce qui se passe dans nos contrées. Pour le reste, rien de grave. Surtout ne vous trompez pas de photos, Rouly c’est lui, Rossignol, c’est l’autre. Poustiquet là-dedans ? N’y pensez pas. Le passé est le passé, qu’avez-vous à fouiller dans les égouts du présent. Nous ne sommes pas à la brocante du clos Saint-Marc, il ne suffit plus de crier Deux euros dans les caisses ! Il faut dire pourquoi le commerce va mal. Pourquoi Hortense (lecteurs, non, ne cherchez pas) se lamente.

Ce dimanche, elle me dit (elle ou un autre) que les étains ne se vendent plus, la faïence encore moins et la dinanderie, n’en parlons pas. Ce qui se vend ? Les appareils photos, les rasoirs coupe-chou et les lampes années Soixante. Tout ce que Poustiquet utilisa pendant des lustres. A l’exception des rasoirs, converti qu’il était à la mécanique des lames Gillette. Pas de jetables ? Oui, par la suite, bien forcé. Une discussion sur les mérites comparés des électriques et des mécaniques nous entrainerait trop loin. Comme on dit dans l’hémicycle : ce n’est ni le lieu, ni le moment.

A propos du canard, je ne vous apprends pas que le grand ponte de chez Total vient de mourir. Accident tragique, cette fois assez loin de Colombey. L’unanimisme étant de rigueur, je pleure en chœur. Les obsèques étaient à ce point émouvantes qu’il a fallu en parler à la Une de notre dit journal. Photo passe-partout et gros titre. Le quel ? Je vous le donne en mille : Le plein d’émotions. Ah, ah ! Avouez qu’on s’en roule par terre. Comme disent les lycéens de Corneille : Mort de rire.

Ce pauvre Filoche (voir nos éditions précédentes) se voit doublé sur sa droite (ou sa gauche, comme vous voudrez). Au marbre (terme échu), il parait que la première version de la Une était Le plein de super émotions. Le rédacteur en chef, perspicace, s’est aperçu de l’astuce. Enfin, c’est ce qu’on raconte. Mais on raconte tant de choses !

Enfin bref, le mal est fait. Pour la suite, on en discutera à La Consolation, (autrefois rue de l’Hôpital). Si toutefois Hortense paye sa tournée. En contemplant les verres coloriés, le temps sera venu de philosopher. Question, qui a dit : L’existence précède l’essence. Non, ça n’a rien à voir. Ce qu’il faut, c’est arriver à la troisième case. Poustiquet ne disait pas autre chose.

DCV.

Comme un autre chantait Pauvre Boris, nous voici avec Pauvre Filoche ! Ceci pour ceux qui l’ont connu ici, autrefois, et ne le chantent plus. Ou peu. Vrai qu’il n’a jamais été trop sympathique. Pour moi, pas du tout. Même à l’époque. Déjà l’air d’en savoir plus que les autres, de donner des leçons au monde entier. Vous dire s’il n’a pas changé. Du moins dans le fond. Quoiqu’aussi la forme soit restée la même. Un peu moins enrobé à l’époque.

Comment l’ai-je croisé ? Peu importe. Le croiriez-vous, il fut à Rouen comme un ravageur des cœurs. La chose m’a été confirmée par N*** qui eut une jeunesse comme on en fera plus. D’abord établie, communautaire, fille à guérillero. Enfin (en fin) commerçante patentée et Rouennaise dans le genre je sais tout. Elle, c’est un fait, le Parti socialiste, elle n’a pas pu (du verbe pouvoir). On ne peut pas toujours. Sauf pour Gérard Filoche qui lui, ne craint personne. Vous verrez.

Donc oui, un bourreau des cœurs. La libération des mœurs, n’est-ce pas. Et l’extrême gauche comme mantra perpétuel. Le temps aidant, il s’est assagi comme on sait. A la fois beaucoup et peu. Le genre feutré et le genre gueulard. Je suis oiseau : voyez mes ailes ; je suis Souris : vive les Rats. A noter que ce que j’en dis, c’est histoire de causer. Qu’attendre des uns et autres ? Comme vous, je sais, pas grand-chose. C’est histoire de regarder la télé.

Ça amuse. Comme disait je ne sais plus qui : Si cela nous regarde, cela ne nous intéresse pas. Chaque jour, on nous force la main. Pas facile de s’en débarrasser. Théâtre d’ombres, certes. N’empêche, oui, pauvre Filoche. Y croit-il encore lui-même ? Sans doute. Faut bien. On connait le vieil adage : En politique, il faut gagner ou ne pas en faire. Voilà donc un homme qui aura toujours perdu. Hier, demain, aujourd’hui. Sa seule excuse : ne pas s’en rendre compte.

Jamais un regard derrière soi, toujours aller de l’avant. Garder l’équilibre de crainte d’une chute irrémédiable. Ça et ne jamais écouter ce qui se dit aux alentours. Voilà peut-être le secret d’une fonction dans un genre si difficile. Faut-il les plaindre ? On dira que non. Et à y réfléchir, on dira que oui. Subtilités difficiles à partager, on le sait.

Gérard Filoche a quitté Rouen. Grand bien lui a fait. Au moins, lui, a su qu’il fallait quitter cette ville de poisse. Ce à quoi je pense en traversant le jardin de l’Hôtel de Ville. Pas grand monde en ce temps d’automne, même tardif. Le centaure Nessus s’efforce toujours d’enlever Déjanire, les deux lions chinois s’efforcent d’y être, et Rollon aussi. Depuis peu, des appareils de musculation ornent le parterre de l’ancien théâtre de verdure.

Dire qu’on a vu là Le Retour de guerre de Ruzzante ! C’était il y a longtemps, années Soixante. Par une troupe d’amateurs et en vieil italien de surcroît. Un dimanche d’été. Mais, parions-le, tout le monde l’a oublié, Filoche en premier.

DCIV.

Au fil de mes déambulations, hélas de plus en plus courtes (je me fatigue vite), je croise la jeunesse. Que pense-t-elle ? Ces jeunes, ce qu’ils vivent, je le devine. Un peu (beaucoup) de ce que j’ai vécu à leur âge, soit pas grand-chose. Une grande envie d’être ailleurs (et dans tous les sens). Puis, station terminus, on reste à Rouen. Partir, toujours, mais pas tout de suite. Bientôt. Demain. J’ai mon ticket. Toi aussi ?

Soixante ans plus tard, les mêmes. Comme au théâtre. Dans une comédie des anciens temps. Je me souviens que le Théâtrapattes joua Le Songe d’une nuit d’été au Cirque. C’était il y a une bonne quarantaine d’années. Eux aussi étaient jeunes. Des élèves du conservatoire, il me semble. Que sont-ils devenus ? Pas grand-chose. Peut-être mieux que moi. Au dernier acte de cette comédie connue, Puck conclut : Ombres que nous sommes, si nous vous avons déplu, croyez que nous n’avez fait qu’un rêve, et tout sera dit.

Oui, sans doute. Facile à dire. Et c’est long. Cette jeunesse que je croise, pleine d’illusions (encore que), pense-t-elle trouver de quoi rester ? Qui peut les retenir à Rouen ? Comme vous, j’observe chaque jour une ville sans attrait. Etre jeune et se passionner pour le pont Mathilde, la prairie Saint-Sever, la tour à Zizi ? Ce qui vient, ce qui part. Attendre le mémorial Jeanne d’Arc ou la prochaine édition de l’impressionnisme ? Viens, Helena, on va voir la cathédrale éclairée. Avouez que.

Ah, me dit-on, vous n’y êtes pas. Il y a des concerts, des expositions, des lieux inconnus. C’est parce que vous ne les connaissez pas. Votre fameuse jeunesse est partout. Oui, c’est-à-dire nulle part. J’ai été jeune, je sais ce que c’est. On en guéri vite. Plus tard, ça revient. Comme une rechute. On se dit qu’on a perdu son temps. Qu’il faut le reprendre un peu. Mais trop tard, n’est-ce pas. Chacun sait ça.

J’y pensais en déambulant à la Fête du ventre où Eva m’a trainé. De la jeunesse, il y en avait. Surtout à boire de la bière de viking (prétendue telle). Aussi des enfants et des parents, tous énervés. Des familles, des vieux, bref que de monde. On se portait. Pour de la boustifaille et d’ la boisse (nous sommes à Rouen, nous sommes en France). Au fil des stands animés par des Normandes en coiffes et des Cauchois en blaudes, la carte bleue ne chômait pas. Dites, tout le monde n’est pas si désespéré.

Il faut manger de l’andouille et boire du cidre. Au hasard, croiser Valérie Fourneyron et Bruno Bertheuil. Notre Rouen est là : contemporain, dynamique et convivial. Vous êtes jeune ? Faites avec. Si ça vous plait pas, attendez votre tour. Une fois dessalé, vous ferez à votre guise. Le pire, c’est que le piège est archi-connu, mais qu’il fonctionne. Ce pourquoi être Rouennais est comme une espèce de malheur heureux. Malheur, car vous n’en sortirez jamais ; heureux, parce que vous n’êtes pas seul à l’être et à l’avoir été.

DCIII.

La météo est au beau, il est agréable de se promener. La rue Louis Ricard est déserte. Ou tout comme. La fontaine ne bouge pas. Toujours aussi triste, à l’abandon. Le temps aidant, elle prend des allures de temple khmer. Il s’en faut que la végétation y ajoute une note comme irréversible et mystérieuse. D’un peu forcée aussi. Ce qui se construit en face, les Terrasses de Sainte-Marie, est plus à redouter que les morsures des années. A bien les regarder, le cheval de gauche et le cheval de droite voient ces futurs voisins d’un mauvais œil. Ils ont raison.

Le square André-Maurois (un auteur qu’on ne lit plus) ne s’améliore pas. Du square et des vieilles pierres, bientôt il ne restera plus rien. Voilà t’y pas (un vieux rouennais vous parle) qu’y zont installé un jardin partagé. Nouvelles mode pour un vieux jeu. Ainsi, les bien-pensants du quartier planteront ici choux et carottes. Et n’en récolteront aucun, vous vous en doutez. Savez-vous ce que c’est que faner ? écrivait la chère marquise. L’allusion (à défaut d’illusion) est parfaite.

Donc les pelouses sont recouvertes de ces nouveaux bacs à sable pour écologistes, à quoi s’ajoute (dites, ça pousse pas tout seul) un bac à compost que les habitants du quartier sont invités à pouvoir. Comme on manquait un peu de place, on a installé ce bac à deux pas du monument aux morts des étudiants en pharmacie. Avouons qu’en période de commémoration du fameux centenaire, l’attention est délicate. Tout cela a un côté jardin du souvenir mâtiné tas de fumier qui est à l’image de toute l’initiative solidaire et trans-générationnelle.

On me dit que ce malheureux quartier est redevable de ces clowneries aux élus écologistes siégeant aux côtés de Robert le Pieux. M’étonne pas. Dès que ces gens-là abordent les grandes questions du moment, leur imagination n’a plus de borne. Ni dans le principal, ni dans les détails (là où gît le diable).

A propos, lisant mon vieux quotidien, je constate que notre maire (trop souvent vilipendé, à l’image de tant d’autres) tient bon. Je veux dire qu’il ne faiblit pas (ou guère) face aux camionneurs pressés, automobilistes râleurs, et commerçants désœuvrés.

L’ennui, c’est que ses meilleurs amis créateurs (sinon créatifs) sont d’un ou deux avis plus conciliants. Bref, Yvon Ier est le seul. Les autres amusent la galerie. Communiquent à tout va, mais tripotent dans la poubelle. C’est pas eux qui jetteraient leurs épluchures dans le bac Maurois. Un peu oui, pas tout à fait. Robert lui trie tout, un bac rose, un vert, un rouge, un bleu… Ah non, pas un bleu, pour me faire attraper, merci.

Pour qui ai-je voté aux dernières municipales ? Aucun souvenir. En tout cas, j’ai eu tort (comme à chaque fois). J’ai voulu jouer au plus fin, poser au stratège. Aligner les pions. Avec Robert II en premier choix, j’aurais aujourd’hui raison et pourrais argumenter au comptoir. S’il y a un Robert III, il a ma voix. Promis, juré craché, croix de bois, croix de fer, si je mens, etc.

DCII.

Quelle différence entre la rue du Gros-Horloge et la rue de la Grosse-Horloge ? Il y en avait une autrefois. Du moins, sur papier. Question de génération, je crois. De nos jours, tout un chacun va rue du Gros. Cela suffit pour se faire entendre. Le côté souk y domine. Godasses, fringues, montres, embrassez qui vous voudrez. Les rues perpendiculaires (quel mot !) s’y mettent. Impossible de s’y réfugier.

On aura connu tant de choses dans cette rue ! Maintenant plus rien. Même Toto Soldes qu’on regrette ! C’est dire. Depuis quelques temps, un bonhomme pas trop sympathique y montre des chiens et des chats (siamois) qu’il exhibe dans une petite charrette. C’est un mendiant new look. Il se réfère au peu que lui verse la Carsat pour jouer les Monsieur Vitalis de mauvais aloi.

L’autre jour, il pleuvait (chose rare ici). Si chats et chiens chantaient sous la pluie, le bonhomme jouait de la canadienne fourrée. Preuve de notre affliction contemporaine, plusieurs passants s’en prirent avec vertu au montreur paresseux, l’accusant de mauvais traitements à animaux, et, à l’accessoire, de mentir sur le montant de ses revenus. J’ai cru qu’on allait en venir aux mains.

Dans ces cas là, je ne suis guère courageux. Pressé, je n’ai pas assisté à la fin de l’algarade. Dame, il pleuvait. Les amis des animaux l’ont-ils emporté ? Douteux, car ce lendemain, Vitalis, Joli Cœur et le petit Rémi sont de retour. Il ne pleut plus. Alors ? Alors, rien. Tant que coule la foule rue Gros-Horloge, tant que la terre tourne.

A propos, constatons que la pharmacie Aux Deux Palmiers vient de fermer. Vrai qu’avec Glups en face, la lutte devenait inégale. Un ourson par-ci, une fraise Tagada par-là, la vente de tranquillisants et de vitamines s’en ressentait. Pauvres pharmaciens ! Avec le gouvernement que nous avons, les voilà objets d’une attention sévère. Certes ils n’en sont pas encore à trimballer des animaux en carriole, mais ça ne saurait tarder.

Comme il est dit dans Mort à crédit (roman fameux) : C’est dur le commerce ! Oui, surtout rue du Gros. Vous imaginez, vous, huit heures exposé au froid des portes automatiques, soumis aux odeurs de pains au chocolat, en but aux récriminations d’une clientèle aussi désargentée que désœuvrée ? Au surplus, d’avoir à arbitrer des conflits entre chiens et chats ! Et je ne vous parle pas de la circulation et du parcage impossible.

Mais voilà, la clim aidant, on résiste. Il y a pire. Pire que cette rue. Celle du Petit-Salut par exemple, où il n’y a rien. Ou celle des Vergetiers, encore moins. Après un passage au bureau de poste de la Champmeslé, mon périple s’arrête rue Thouret. Elle s’emplit de façon joyeuse de troquets étranges et d’étranges troquets. Que font ici tous ces gens ? Que de belles femmes, que de jolis garçons ! Ils sirotent des chocolats chauds à six euros et semblent satisfaits d’être au monde. Qu’en dit le chat siamois ? Rien, pas grand chose. Comme moi, il rentre les épaules. Un grain s’annonce.

DCI.

Ce qu’il me faudrait, à présent, c’est regarder Rouen avec des yeux comme neufs. Échapper à la ville conventionnelle, celle que je raconte et que je hante au jour le jour. Oui, j’aimerais retrouver cette ville que je vais bientôt quitter. La retrouver en la découvrant. Me dire : je ne connaissais pas cette façade, ce magasin, cette encoignure. Les avais-je oubliés ? Sont-elles là depuis hier ? Quelle est cette ville ?

Impossible, n’est-ce pas. Ces volets là-haut, cet arrangement de fenêtres à l’étage, je les connais trop. Depuis des lustres. Cet unique horizon, ce coin de ciel, cet angle de ville. Aller devant soi, prendre n’importe quelle direction, se laisser conduire par les lieux. Découvrir la rue Ganterie, la rue Rollon, la rue Cauchoise. Avoir l’air d’un Chinois qui déambule, appareil photo et ombrelle en bandoulière.

Les Chinois longent-ils la rue Orbe ? S’ils le faisaient, ils verraient dans sa première partie (celle qui n’est que Bourg l’Abbé) que les travaux ont repris autour de la Chapelle du Lycée. Ces dernières semaines, les marteaux-piqueurs se sont attaqués à l’escalier. Le voilà bas. On suppose qu’on va nous faire un joli perron ou quelque chose d’approchant. Dame, il faut que les mélomanes en fauteuils roulants auditionnent.

Ce qui se passe ici, je m’en fiche. Je n’y mettrai pas les pieds. Mon chinois non plus. J’ai, ce samedi, remonté la rue des Minimes. Que de souvenirs ici, dans une certaine maison. La rue Caron existe toujours, son impasse aussi. Et que dire de la rue de la Roche ! Mon Chinois n’en revenait pas. C’est comme le vieux Pékin répétait-il. Les Chinois exagèrent toujours. Certes ce quartier a son charme, mais nous sommes loin de la rue du Mandarin merveilleux.

Si telle, l’œuvre du Hongrois Bela Bartók (1881-1945) sera-t-elle donnée (terme impropre) à notre futur auditorium ? Possible, encore que le compositeur soit, depuis quelques années, en sérieuse perte de vitesse. On préfère plus simple. Moins compliqué. Qu’y entendra-t-on, après les marteaux-piqueurs ? Trop tôt pour le dire. Et cela, au vrai, m’importe peu. Comme je ne reverrai plus le vieux Rouen à la sauce pékinoise, je n’entendrai plus les Danses hongroises (lesquelles sont de Johannes Brahms) à la salle Sainte-Croix des Pelletiers. Les temps changent, Pépé !

Si l’injonction vaut pour tous, elle ne console pas. Surtout, elle se heurte à la raison du plus jeune. Ou du plus vieux. Donc, on annule le concert. Arrivés avenue Porte des Champs, mon Chinois et moi, avons rejoint la rue du Clos des Marqueurs. Il a fallu que j’explique. J’y ai connu, il y a longtemps, un vieil érudit, amateur de gravures et expert en connaissance des faïences Vieux Rouen. Sachant tout sur tout, il était intarissable. Passant devant sa porte (qu’est devenue la cuisine où il faisait bon se chauffer ?) j’ai ressenti l’imposture qu’il y avait à faire le savant. A chacun son tour.

Tout ce qui se perd, tout ce qui se gagne ? Ce qu’on espère sauver entre les deux ? Ce sera tout pour aujourd’hui.

DC.

L’occupation de nos modernes échevins est donc de vendre notre ville. Inutile de préciser qu’ils n’ont aucune passion pour Rouen. Ils voient la ville comme un potentiel dont ils escomptent des bénéfices. A défaut d’exploiter les habitants (encore que) il leur faudra donc exploiter ses rues, certains de ses immeubles, beaucoup de ses monuments. Pas tous, les cinq ou six endroits assez malléables pour être achetés, transformés, puis vendus. Comme le moulin dont l’âne fait tourner la meule.

Dans le genre, le doigté est de ne pas se disperser. Être maître du jeu. Ainsi de la cathédrale, devenue objet de toutes les attentions. Aujourd’hui, l’endroit parait presque neuf. Dans ma jeunesse, croyant ou pas, on s’en préoccupait peu. On passait devant. A la rigueur une visite à la crèche au moment de Noël, le vague rappel que Richard Cœur de Lion y logeait son cœur, ou que le tombeau des cardinaux d’Amboise était une bien belle chose. Pour le reste, on vantait le portail des libraires, celui de la Calende, et la tour lanterne.

Ailleurs, il fallait voir le Palais de Justice, le Gros-Horloge, et le musée de peinture. Les guides touristiques vous en disaient l’essentiel. Le mieux, pour tout voir, était de loger à l’hôtel Solferino ou à celui de la Poste. Le Grand Hôtel de la Poste. Mais surtout, ce parcours (ou ce séjour) avait un caractère non coercitif. Si vous ne voulez pas, on vous force pas. Voyez où nous en sommes rendus. Attendons sans impatience le mémorial de Jeanne d’Arc ; ce sera de la muséographie new-look, de celle qui coûte cher et ne laisse pas de traces. Un coup d’éponge, ce sera propre. Les guides-conférenciers se calquent sur les détergents ; il vous suffit de lire la notice.

A cette époque, si l’on sortait de la cathédrale par la rue Saint-Romain, on ne pensait pas à regarder la vitrine de Dame Cake ou la boutique de Mercadier. On tournait à droite pour filer vers le portail de Saint-Maclou. La rue n’étant pas piétonne, il fallait se garer de deux ou trois Peugeot ou Citroën. Rue de la République, on attendait que le feu passe au rouge pour traverser le passage clouté. Comme dit l’autre : C’était le bon temps !

Tout le long du chemin, on avait vu des antiquaires et des antiquités. Tapis, tableaux, cristaux. Les vitrines miroitantes. Rien ne se regardait avec des yeux neufs. On n’apprenait rien, on se souvenait. La flânerie prenait tout l’espace. Le jour baissait, l’heure passait. A regarder sa montre, on concluait : Déjà ! Cette époque dura ce qu’elle avait à durer. Peu à peu, on arriva au contemporain. Là, il semble que tout soit différent. A présent.

Déjà, le matin, il faut penser à l’heure de midi. C’est par où ? Suivez le guide. Chose pour laquelle ils se retrouvent au Vieux-Marché, à trente autour d’un menu à quinze. Tout compris. Par la vitre, on aperçoit l’église Jeanne d’Arc, ses vitraux, son toit en forme de poisson. Demain ? Mais non, ils seront repartis !

DLXLX.

A propos de toute autre chose, je me suis souvenu d’une légende urbaine d’autrefois. On disait, croyance admise par beaucoup, que la pendule de la gare avançait toujours de deux minutes. Ainsi, cavalant pour remonter la rue Jeanne d’Arc, l’œil rivé sur le lointain cadran (je suis en retard, je suis en retard), on disposait d’un répit avant d’attraper l’express pour Paris. Vrai, faux ? Difficile à dire. Mais cette croyance (comme beaucoup) relevait sans conteste du vraisemblable. Bref, elle était surtout souhaitée. D’où un train à l’heure.

De Rouen, pourquoi prendre le train sinon pour Paris ? On me répondra : Et pourquoi pas Le Havre ? Ceux qui le disent datent d’un temps récent. Qu’aurions-nous été faire au Havre où il n’y a rien ? Alors que Paris, n’est-ce pas, il y a tout. A commencer par soi-même, où le fait de déambuler dans trois arrondissements choisis suffisait à vous hisser au rang des distingués. Je connais des gens dont la petite fille s’occupe d’une galerie à New York. De mon temps, son équivalente, faisait ses études à Paris. Souvent aux Beaux-Arts ou à Jussieu. Ça suffisait pour ne pas en dire plus et qu’on vous fiche la paix.

Tandis que maintenant ! On aura beau scruter l’horloge de la gare, on sera en retard. La faute aux mêmes. C’est loin New York ? Pas tant que ça, en regard de Moscou (fine allusion). Tout est près maintenant (tout est prêt maintenant). En octobre 2014, qu’irai-je à Paris ? Me perdre, m’étourdir, ou encore manger de l’argent. Oui, je sais, on va me parler concert, exposition, achat chic. Tant pis pour moi, j’ai passé l’âge, même avec la carte senior.

Où sont passées les deux minutes d’autrefois ? Celles qui restaient en suspension et vous permettaient de prendre le train. Il fut un temps où, arrivé Cour de Rome, je prenais un taxi pour la gare de Lyon. Une fois par an, je déjeunais au Train bleu, puis sauté dans le Mistral (en premières, qu’est-ce que vous croyez) je filais vers la Côte d’azur. Cinquante ans plus tard, retraite médiocre, plus du tout envie des compartiments aux appui-têtes immaculés. Cette atmosphère est à retrouver dans les vieux films à la télé.

Sur le câble interroge Camille ? Mais, ma pauvre, même pas. Ma seule consolation : avoir été à la mode, ne plus y être, et m’en faire une vertu. Si je longe le square Solferino (oui, je sais) je ne jette plus d’œil sur la haute pendule verte. Je vais contempler les cygnes et écouter la jeunesse allongée sur la pelouse douteuse. Rouen lui suffit-elle ? Paris, Le Havre, Juan les Pins ? Toujours New York, Moscou, et le reste ? Il est toujours facile de cacher son ennui. La jeune Camille y excelle à merveille (mais cependant doute que Gaspard soit son avenir).

Et les cygnes, me direz-vous ? Eux ne sont pas à deux minutes près. Ils sont nouveaux parents et veillent sur leur progéniture. Que voulez-vous, pour moi, c’est la nouvelle du moment.

DLXLIX.

L’amusant, c’est de voir la rue Verte, côté gare, s’enfoncer peu à peu et bientôt disparaître. Tout le Rouen d’aujourd’hui est là : béton sur béton, incurie des décidants, indifférence des pékins. Le reste à l’avenant, tant que coule la rivière (en l’occurrence, celle des gros sous). Ça n’est peut-être pas neuf, mais ça perdure. Et de tous bords en s’en félicite. C’est pas moi, c’est l’autre. Pas de quoi aller prendre un café-crème au buffet de la gare.

Dès le début, ce projet immobilier augurait mal de la suite. Là où, pendant des décennies, de vierges jeunes filles (de moins en moins) apprenaient le B.A.BA du savoir usuel, on allait construire une résidence. Dire que ces mêmes adolescentes y logeraient pouvait se concevoir. Les prix étaient en conséquence. C’est que, de mémoire locale, l’Institution Rey (ce dont il s’agit) était un collège privé fort côté dans les bonnes familles. Enfin, façon de dire, car au fil du temps, la norme éducative institutionnelle s’installa. Dès lors, les différences se firent moindres. Le nivellement, n’est-ce pas. Oui, pour cause de travaux.

Disons que de ce côté, on a fait fort. En hauteur et largeur. C’est le défaut du quartier. Tout ce qui nous entoure est monumental. Ou peu s’en faut. Faut-il croire aux plans, aux lignes, aux perspectives ? Casques en plastique sur la tête, on n’en pas moins homme. Comme tel, faillible. Parfois aussi un peu honteux. Comme disait Mademoiselle Chenu, directrice de Rey : Les études ne suffisent pas. Certes.

La rue s’enfonce ? La belle affaire. C’est une figure de l’oubli. Ou du détachement. Les trains partent, les trains arrivent, quoi de plus normal. Tant que le sang du canard coule chez Guéret, l’avenir est assuré. Il suffit de le croire. Une fois la rue tombée dans le trou, quoi ? Comme dans La Double vie de Théophraste Longuet (feuilleton de Gaston Leroux) y rencontrera-t-on les Talpas, peuple souterrain ? C’est à craindre.

Le quartier est, on le sait, littéraire. Trop. Si les références y abondent, elles n’empêchent rien, la preuve. Plus de poésie ou de romanesque aurait-il permis moins d’enfoncement ? Peut-croire qu’une capétienne prenant son petit-déjeuner au Métropole nous écrive les Mémoires d’une jeune fille rangée, version 2.0 ? Et qu’elle nous y entretienne de ses amours avec on ne sait qui, botté et casqué, expert en extraction ? Nous verrons.

Si oui, leurs ébats supposés ne se passeraient plus à l’Hôtel de la Rochefoucauld, devenu logement social, et pas à l’Hôtel des Familles de la rue Pouchet, resté identique. Les amours d’aujourd’hui sont peu clandestines. Si oui, il faut y mettre une certaine coquetterie. Enfin, j’imagine, vous vous doutez bien. Mal assis sur une borne de la place Bernard-Tissot, la mélancolie m’envahit. Où vont tous ces gens-là ? A Paris, à ce qu’il paraît. Ils ont de la chance. Ils quittent Rouen. Rentrés ce soir, fourbus mais employés, qui dit qu’ils ne retrouveront pas la ville au fond du trou ? Va savoir. C’est que, voyez-vous, on ne nait pas Rouennais, on le devient.

DLXLVIII.

Ce dimanche, bref passage au quai des livres. Rapide car il ne fait qu’à moitié chaud. Le temps menace. Du vent dans les pages. Et l’intérêt s’en ressent. On scrute le ciel. Surtout ce gros nuage noir au dessus des tours de Canteleu. Il arrive dit l’un. Non, ça part vers Martainville. Cet autre, au final, aura raison. Mais je serais chez moi, rentré depuis longtemps. Pour l’heure, poursuivons.

Un vendeur (professionnel plus goguenard que désabusé, ce en quoi il a tort) propose au chaland une collection défraîchie des Hommes de Bonne Volonté. En voilà pour une vingtaine de volumes. Défraîchie pour l’extérieur, mais pour l’intérieur ? Il y a longtemps que je me suis plongé dans cette histoire multiforme. C’est le moment de me souvenir que mon père en faisait grand cas. Il n’était pas le seul à son époque.

Mon marchand, me croyant amateur, s’écartèle. Je peux vous faire un prix. Ce dernier n’est déjà huère haut. Relire Jules Romains ? Voilà bien un moment où je ne serais pas de mon temps. Qu’a à nous dire cet auteur sur notre monde ? Plus loin, sur le même quai, on trouve (à foison) les efforts permanents de Katherine Pancol ou Michel Bussi. Ou Christian Signol ou Claude Michelet. Tous auteurs où je n’ai jamais mis le nez. A tort ou à raison, personne ne le dira. Et comme j’ai oublié Quinette, Jerphanion et leurs amis, il est temps de passer mon chemin.

Rue de Fontenelle, puis rue Saint-Jacques, et remonter celle du Vieux-Palais. L’habituel désert des dimanches rouennais. Au Vieux-Marché, je croise Marie-Noëlle (les prénoms ont été changés) qui, me dit-elle, va chercher une tarte chez le boulanger éponyme. Elle me montre, amusée et fière, un sac spécial confectionné par une copine (quelle jeunesse !) adapté pour transporter un cercle d’une trentaine de centimètres de diamètre. Ce jour, la tarte sera aux mirabelles et confectionnée sur mesure. Croyez-vous qu’on m’inviterait ? Même pas.

En ville, il ne manque pas d’hommes de bonne volonté. C’est jour de patrimoine et tout un chacun y sacrifie. S’il y a du monde dans les églises, ça n’est pas pour celui qu’on croit. C’est pour l’autre, le laïc. En son temps, Jules Romains, joyeux drille, n’était pas tendre envers la prêtaille. Les soldats de cette dernière n’ont guère le beau rôle dans ses romans. Les médecins non plus. Ni les politiques. Au fond, personne, sinon les hommes. Du côté des femmes, le bonhomme datait aussi beaucoup. Que dire de maintenant !

Bon, je me passerai de relecture et de tarte aux mirabelles. Et je n’irai pas visiter l’hôtel d’Aligre où vivent de si beaux esprits (pas toujours commodes). Il paraît que les visites sont complètes. Comme sont complètes celles de tous les lieux où il faut aujourd’hui s’aventurer. Curieux tout de même cet oubli (sinon ce mépris) dans lequel est tombé Jules Romains. Si haut et à présent si bas. Redeviendra-t-il lisible ? Probable. Après cette célébration, usante, de 14-18 et celle, inespérée, de Stefan Zweig, les temps seront bientôt prêts.

DLXLVII.

C’est un réel chagrin (pour moi) de voir la ville transformée, peu à peu, en parc d’attraction. Bien peu s’en émeuvent. Trop tard ou trop tôt. A une connaissance à qui je faisais part de ma honte d’avoir à commenter l’immonde futur panorama des quais (la Baraque à Zizi), il me fut répondu : Ça fera venir les touristes. Je vous passe le ton plus fataliste autant que résigné. Voilà donc l’ultime but de notre société : distraire. Puis empocher les résultats. Triste fin pour une bonne cause.

Un lecteur généreux m’affuble du qualificatif de grincheux. C’est le surnom d’un des nains du Blanche Neige. La référence est plus que d’actualité puisque Disneyland lès Rouen se rapproche. Qu’en est-il de l’original du conte ? Les frères Grimm (qui étaient deux) ont-ils donné des noms aux sept nains (qui étaient plus) ? Il semble que non. De nouveau, nous devons en être redevables au trop célèbre Walt. La victoire de l’Empire, l’Empereur en moins.

Je n’aime pas (mais aucune importance) ce qualificatif de grincheux. D’abord, le suis-je ? Jamais content ? Sans aucun doute. Nostalgique ? A l’évidence. Ce temps qui passe (et passera) n’est plus le mien. Je le laisse aux autres. Mais comme on me l’impose, je ne vois pas pourquoi je ne serais pas le cheval qui rue dans les brancards. La vieille rosse qui renâcle. D’où, au passage, cette assourdissante opération promotionnelle des Jeux Équestres Mondiaux, dont on nous a vanté l’excellence. Autre divertissement. Ça et les soirées Zumba au Palais Kinder ; et Rouen sur Mer ; et le Gothique mirobolant. Quoi d’autre ? Bientôt la foire Saint-Romain passera pour un antique mystère moyenâgeux.

A ce sujet, vous aurez remarqué qu’on vient d’annoncer, sans crier gare, la fin du Festival Automne en Normandie. Trop ceci et pas assez cela. On va le marier (hi, hi !) avec Terre de Paroles (plus ceci que cela) et surtout avec Normandie Impressionniste (tout à fait cela, pas du tout ceci). D’avance, on se réjouit des économies réalisées (antiphrase un peu lourde). Nous revoici avec le parfait exemple d’une culture au tout venant. Tout à la variété ! De la couleur, du rythme, et ce qui reste en magasin.

Je parle par ouï dire. Il y a longtemps qu’une bonne amie m’a trainé dans une salle de spectacle ou de concert. Mon grand âge me sert de prétexte. Invite-t-on grincheux à monter dans le carrosse de Cendrillon ? Pensez-vous, il ferait peur aux enfants ! Et puis, il ne sait pas danser. Même pas la Zumba. Qu’il reste chez lui. C’est ce que je fais. Et pas toujours à mon détriment. J’attends la fin. Celle du livre, du film. Celle de mes divertissements à moi. Comme quoi, il est toujours illusoire de faire le malin.

J’attends la Saint-Romain. J’espère aller (encore une fois) à l’Ours noir (publicité gratuite). Ou ailleurs. Et pas du tout aux journées du patrimoine. Je dis ça pour que vous saisissiez la nuance. Or, comme dit Grincheux, la nuance, c’est ce qui s’efface le plus.

DLXLVI.

Depuis peu, le pouvoir local ne siège plus à la mairie, ni dans la métropole, ni ailleurs. Non, le vrai seigneur règne à l’office du tourisme. Il y trône, tranche et ordonne. A chaque nuit qui tombe, il signe des édits, envoie des messagers, reçoit des ambassadeurs. On le craint, on le respecte. Comme on craint et respecte le porc-épic qui blasonne les murs de son palais. Cet animal, dit-on, était le fétiche du roi Louis XII, sorte de doudou qu’a repris notre nouveau souverain.

Mais qui se souvient de Louis XII ? Déjà moi, à peine. Ce fut, d’excellents dictionnaires l’affirment, un roi du temps des siècles anciens. Quatorzième ou quinzième, c’est vous dire. Les notices racontent aussi qu’il voulut réformer la justice et les impôts. C’était donc un roi actuel et normal. Et qui aimait les, singularité non partagée n’en doutons pas. Mon même dictionnaire (mais à une autre page) me précise que ces derniers porcs épics, rongeurs connus, se répartissaient autrefois en deux groupes irréconciliables : les hystricidaes et les erethizontidaes.

Avouez que les dictionnaires découragent de la lecture. Et qu’au surplus, ils n’ont pas encore intégré la biographie de ce Louis Quelque Chose qui vit dans notre ancien palais de la place de la cathédrale. Qui vit est beaucoup dire. Au vrai, ce roi flotte dans un manteau trop grand. Couronne et sceptre itou. Pas de visage, à peine d’existence, il existe. C’est tout.

Son royaume est celui du divertissement, de la villégiature. Du saisonnier, de la vacance, et du pantalon court. Il a pour principal ennemi la pluie, le gris, le mauvais temps. Le cinéma aussi. Le théâtre, le concert. Pour lui, le mieux, c’est la visite guidée. Le conférencier, le spécialiste, celui qui fait des cocktails. Comptez-vous dans le car. Tout le monde lui obéit. Dame, c’est dans le forfait.

Oui, qui se souvient Louis XII qui mourut jeune et ne fit rien ? Ou pas grand chose. Fils de Charles d’Orléans, pour la peine, on le maria avec Jeanne la Boiteuse. Du père, j’ai appris à l’école : Le temps a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie… et la suite, mais en français moderne. C’était en 1940 ou 41, époque où être porc épic se faisait. Et où Office du tourisme se disait Syndicat d’initiative, vocable que personne ne savait trop comment prendre.

En ces temps lointains, Rouen était dite la ville-musée. Ça se mangeait avec du sucre de pommes, denrée qui poissait les doigts et n’avait qu’un lointain goût de pomme. Mais qu’on nommait aussi, personne n’en sera surpris, sucre d’orge. En 1944, les Canadiens y mirent fin, aidés par les Anglais et les Américains. Ils firent le tour de la question. Aujourd’hui, ceux qui reviennent sont Italiens, Espagnols ou Chinois, bref tous Européens. Le roi s’en amuse. Il leur prend leurs sous.

Pas beaucoup parait-il, car les commerçants (tous membres de la Garde Royale) se plaignent. Comme disait Carabine : ils ont un porte-monnaie en peau de hérisson. D’où la séparation entre hystricidaes et erethizontidaes.

DLXLV.

Aux dernières nouvelles, notre rouennais président de la République ne va pas bien. Tant du côté professionnel que du sentimental. Il voulait être « normal », il est servi. Le plus curieux est que, ces temps derniers, il en arrive à faire de curieuses déclarations sur ses origines. Un grand-père petit tailleur, un autre instituteur « issu d’une famille pauvre ». La généalogie comme loisir politique ? Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, etc.

Lorsque le petit François habitait rue des Carmes et qu’il apprenait la table de 9 à St-Jean-Baptiste de la Salle, il n’imaginait pas qu’un jour, il lui faudrait rendre des comptes. N’alliez-vous pas acheter des boules de gommes chez Hélloin ? N’avez-vous pas, en 1954, au Ciné France, vu Le Train sifflera trois fois avec l’immonde yankee Gary Cooper ? Est-il exact que votre père tenait, le soir à table, des propos insidieux sur Maurice Thorez et sa compagne Jeannette Vermerch ? Répondez ! Oui, camarade commissaire, vient le temps où il faut avouer.

Les déboires du malheureux François ne sont rien. Ce qui est grave, c’est que nous, Rouennais, ayons réchauffé dans notre sein un tel réprouvé. Nous devons, quelque part, en être (un peu) responsables. La mairie, les services sociaux, le cantonnier, que sais-je ? Un coupable, par pitié, un coupable. Qui ici, désormais, osera dire qu’il faut retirer au président la médaille d’honneur de la ville à lui donnée lors de sa visite ? C’était en février 2012. Heureuse époque. Mais depuis, combien d’eau de Seine passée sous le pont Flaubert.

Têtes trop pleines de nos élus socialistes ! Il est étrange de les croiser sur le Clos Saint-Marc. C’est la rentrée ? Il nous faut donc déplorer les maigres dotations de l’État. Ou les outrances des commerçants locaux. Ou, a contrario, se féliciter des bons chiffres de la fréquentation touristique. Rien que Rouen sur Mer, un tabac. Et je ne vous compte pour rien les cathédrales. En couleur, en hauteur, en largeur, de face ou de profil. Pour le reste, tout va bien. Ou pas si mal.

Vous vous impatientez ? Si on les questionne sur vous savez qui, ils redeviennent Rouennais plus que Rouennais. Derrière leur verre de Tariquet, se distingue une figure lointaine, discrète, presque énigmatique. Celle des attentistes ? Oui et des fatalistes. C’est que, bons politiques (quoique pas toujours) ils savent faire le dos rond. Rentrer les épaules. Après la pluie le beau temps. Toujours ici : la pluie va s’arrêter, on voit déjà du bleu au-dessus du palais de justice.

Si, un dimanche après-midi, lorsque la ville est déserte, je rencontrais François Hollande, rue des Carmes ou ailleurs, je saurais bien le consoler. De ses malheurs et de ses tricheries familiales. Notez que je dis consoler. Il en a trop besoin. Mais est-ce à Rouen qu’on console le mieux ? Lui comme moi en savons quelque chose : c’est non. Rouen ne console de rien. Il faut vivre avec ce ressentiment. Toujours. S’en accommoder et veiller à sa somnolence.

DLXLV.

Aux dernières nouvelles, notre rouennais président de la République ne va pas bien. Tant du côté professionnel que du sentimental. Il voulait être « normal », il est servi. Le plus curieux est que, ces temps derniers, il en arrive à faire de curieuses déclarations sur ses origines. Un grand-père petit tailleur, un autre instituteur « issu d’une famille pauvre ». La généalogie comme loisir politique ? Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, etc.

Lorsque le petit François habitait rue des Carmes et qu’il apprenait la table de 9 à St-Jean-Baptiste de la Salle, il n’imaginait pas qu’un jour, il lui faudrait rendre des comptes. N’alliez-vous pas acheter des boules de gommes chez Hélloin ? N’avez-vous pas, en 1954, au Ciné France, vu Le Train sifflera trois fois avec l’immonde yankee Gary Cooper ? Est-il exact que votre père tenait, le soir à table, des propos insidieux sur Maurice Thorez et sa compagne Jeannette Vermerch ? Répondez ! Oui, camarade commissaire, vient le temps où il faut avouer.

Les déboires du malheureux François ne sont rien. Ce qui est grave, c’est que nous, Rouennais, ayons réchauffé dans notre sein un tel réprouvé. Nous devons, quelque part, en être (un peu) responsables. La mairie, les services sociaux, le cantonnier, que sais-je ? Un coupable, par pitié, un coupable. Qui ici, désormais, osera dire qu’il faut retirer au président la médaille d’honneur de la ville à lui donnée lors de sa visite ? C’était en février 2012. Heureuse époque. Mais depuis, combien d’eau de Seine passée sous le pont Flaubert.

Têtes trop pleines de nos élus socialistes ! Il est étrange de les croiser sur le Clos Saint-Marc. C’est la rentrée ? Il nous faut donc déplorer les maigres dotations de l’État. Ou les outrances des commerçants locaux. Ou, a contrario, se féliciter des bons chiffres de la fréquentation touristique. Rien que Rouen sur Mer, un tabac. Et je ne vous compte pour rien les cathédrales. En couleur, en hauteur, en largeur, de face ou de profil. Pour le reste, tout va bien. Ou pas si mal.

Vous vous impatientez ? Si on les questionne sur vous savez qui, ils redeviennent Rouennais plus que Rouennais. Derrière leur verre de Tariquet, se distingue une figure lointaine, discrète, presque énigmatique. Celle des attentistes ? Oui et des fatalistes. C’est que, bons politiques (quoique pas toujours) ils savent faire le dos rond. Rentrer les épaules. Après la pluie le beau temps. Toujours ici : la pluie va s’arrêter, on voit déjà du bleu au-dessus du palais de justice.

Si, un dimanche après-midi, lorsque la ville est déserte, je rencontrais François Hollande, rue des Carmes ou ailleurs, je saurais bien le consoler. De ses malheurs et de ses tricheries familiales. Notez que je dis consoler. Il en a trop besoin. Mais est-ce à Rouen qu’on console le mieux ? Lui comme moi en savons quelque chose : c’est non. Rouen ne console de rien. Il faut vivre avec ce ressentiment. Toujours. S’en accommoder et veiller à sa somnolence.

DLXLIV.

Je crois me souvenir, c’était il y a des lustres, que le fait de fréquenter certains lieux vous exposait à recevoir prix de vertu ou d’infamie. Certains restaurants, certains bars, quand ça n’était pas certaines gens. Alors, pas plus qu’aujourd’hui, la tolérance et l’indépendance d’esprit n’étaient admises. Encore moins revendiquées. Rien de neuf sur le soleil. Sans doute. Il n’empêche. Vrai aussi que je ne sors plus guère. Que puis-je en dire ? Si, oui, il doit s’agir de gens et de lieux les plus neutres. Transparents, sans saveur ni odeur ? Ça m’étonnerait.

Pour ce qui précède, simple exemple : je crois me souvenir que dans les années Soixante d’un autre siècle, le café Le Métropole (proche de la gare, les deux existent toujours) était le quartier général d’une certaine bonne bourgeoisie locale, du moins sa jeunesse. Pour les étudiants avancés (ceux des Lettres) c’était, comme ils disaient, un bar de fachos. Je gage que cette réputation (surfaite ?) est tombée aux oubliettes. Ainsi coule la source Galaoret nos amours, etc. Pour une bonne part, y a-t-il beaucoup de fachos dans ce remuant quartier ? A y passer parfois, il me semble qu’il y a surtout beaucoup de clodos. Et encore plus de travailleurs, usagers des trains en partance ou arrivée.

On me dira que l’un n’empêche pas l’autre : être clodo et prendre le train (aux frais de qui vous savez) ; être facho et travailleur. Sur ce dernier point, admettons, d’après ce que j’entends, que la situation sociale pousserait plutôt à être plus l’un que l’autre. Mais ceci m’éloigne de mon propos. Je m’en rapproche pour me souvenir qu’il y avait, on va dire à l’encontre, un second rendez-vous susceptible de vous coudre une facile étiquette. Ce, toujours, notez-le bien, avec autant de vraisemblance. C’était de fréquenter un café à l’enseigne du Petit Bouvreuil (rue du même nom).

Là, c’était le rendez-vous des bolchos. Prétendus tels. Car il faut avoir mon âge pour se permettre de penser (plutôt de croire) qu’on est toujours le bolcho ou le facho des uns ou des autres. Idem pour ce qui est l’état de clodo. Ce dernier, plus facile admettre, cependant. Au vrai le quartier de la gare porte aujourd’hui surtout à l’indifférence (même en ce qui concerne sa vertigineuse bétonisation). Plus bas, la rue Bouvreuil n’est plus qu’un lieu de passage pour bagnoles pressées. S’il n’y a plus de Petit Bouvreuil, y a-t-il toujours des fachos au Métropole ? Jean qui pleure et Jean qui rit.

Qu’est devenue toute cette belle jeunesse dorée ? A la gare, abonnée au Rouen-Paris ; rue Bouvreuil, rangée des voitures (si l’on peut dire). J’imagine que ces braves ont fait des enfants et petits-enfants. Lesquels, à leur tour, fréquentent d’autres bars. Mais de quoi nous parle-t-il ? demande, au comptoir, cette nouvelle jeunesse de bars branchés. J’ai quatre-vingt-trois ans depuis peu. Pour les souvenirs, cela ne prédispose pas à la nuance. Cela me pousserait plutôt à accélérer le rythme et la sécheresse de mes phrases. De fait, ce sera tout pour aujourd’hui.

DLXLIII.

Nombre de choses nous ramène, où qu’on aille, au Carrefour de la Crosse. Il faut se souvenir que cette vieille appellation est d’emploi récent. De mon temps (terme d’usage) c’était rue des Carmes, ou rue Ganterie, ou rue de l’Hôpital. Ledit carrefour n’était qu’à peine matérialisé. Il l’est devenu à la faveur des voies piétonnes. Autrefois, les lieux valaient surtout pour la charcuterie Ono-dit-Biot (devenue par la suite Batrel) et pour le magasin des biscottes Clément.

Pour ce dernier, la boutique était simple et claire, comme ce qu’on y vendait. Quoi de plus simple et sans surprise que des paquets de biscottes, alignés et rutilants ? J’ai une faiblesse pour les toasts ronds avec des raisins. On les commercialisait jadis, pour les meilleurs, sous la marque Magdelaine. A Rouen, Clément était une enseigne connue. A-t-elle périclité ? Absorbée par un groupe plus fort en rentabilité qu’en biscottes ? Vous souvenez-vous des Triscottes ? Encore une chose de disparue.

Il y a un Ono-dit-Biot (prénommé Christophe) qui sévit sur France-Culture. Il y cause littérature (ou à peu près). De la famille de l’ancien charcutier ? S’il ne s’en vante pas, le lui rappeler. Il est par ailleurs (façon de dire encore) quelque chose au Point. Comme quoi le pâté de tête mène à tout. A côté de la charcuterie, le magasin Clément était un brin austère. Y a-t-il un Clément employé chez Gallimard ou Actes Sud ? Si oui, c’est sans éclat. Tandis que l’autre, quel abattage ! Je ne m’inquiète pas de la suite de sa carrière. Dans les Lettres ou ailleurs.

Qu’on me comprenne : je n’ai rien contre les charcutiers ou les courriéristes littéraires. Il en faut. Dire que les premiers sont plus utiles que les seconds relève du plus mauvais esprit. Christophe Ono-dit-Biot n’a rien d’austère. A ce titre, il trahit le souvenir des biscottes Clément. Mais il vit avec son temps. Sans doute vendra-t-il plus sa littérature (il publie des romans) que Clément ses biscottes. A ce stade, l’esprit des lieux n’existe plus. Ce pourquoi Rouen Chronicle patine.

Mais assez sur ce sujet. Autre chose : Il semble que j’ai confondu Chant des oiseaux et champ des oiseaux. C’est l’autre qu’il fallait lire. Je le crois sans peine. Certes la différence n’est pas mince et pour un vieux rouennais, la bévue marque mal. L’ai-je su ? J’ai oublié. Mais je n’avais pas oublié que l’ancien cinéma s’appelait Le Coucou (d’où l’oiseau chanteur ?) J’y suis allé parfois, du temps où on y projetait des films du répertoire. Le genre japonais, en noir et blanc, avec une musique grinçante. Mais à quoi bon rappeler ces souvenirs d’un temps disparu ? Et pour qui ?

Je ne me relis pas (une voix au-dessus de mon épaule : Ça se voit !) C’est que mes histoires, même à écrire, ne m’intéressent plus. Enfin, plus beaucoup. J’en ai fait le tour. La rentrée m’occasionne une nette baisse de tonus. Il me faudrait des vitamines. Des toasts aux raisins, avec de la marmelade d’orange. C’est ça qui serait sympa.

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