Babylon’s burning

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Notting Hill en 1976, Brixton en avril 1981, le reste du royaume
en juillet de la même année, Tottenham en 1985… et en 2011. Retour à la case
départ du thatcherisme ?

Les événements actuels ne sont pas le fruit du hasard. Si les médias nous
présentent Tottenham comme quartier « pluriethnique » ou
« multiculturel », ce qui est vrai, faut-il les croire lorsqu’ils
s’aventurent à décrire ce qu’il est convenu d’appeler émeutes comme également
plurimachin ou multitruc, voire raciales (race riots) ?

Si, et les médias pensent nous apporter de l’info en le disant, « 130
ethnies » cohabitent à Tottenham, faut-il voir dans la diversité de cette
population diverse la cause des émeutes ? La tentation de lier
l’immigration caribéenne notamment, et en particulier jamaïcaine (l’île la plus
musicale du monde baigne dans la culture de la violence depuis le début des
70’s) à cette litanie d’émeutes qui secouèrent et secouent encore Albion se
fait forte chez un certain nombre de commentateurs et notamment dans ce qui
reste de l’empire de presse de caniveau de Murdoch.

Pourtant à bien y regarder, ne serait-ce pas la société britannique dans son
ensemble qui baigne dans un univers de violence larvée ? Depuis Charles
Dickens, on sait que l’Angleterre… de contrastes, sait offrir au monde deux
visages tel Janus. L’Angleterre victorienne a-t-elle vraiment cessé
d’exister ?

On peut se poser la question. De la reine Victoria qui incarna la grandeur
de l’empire à Oliver Twist, le fossé était un gouffre. Aujourd’hui, du mariage
princier aux émeutiers, on peut également voire un gouffre sociétal identique.
A chaque fois que je vais à Londres, je suis frappé par les contrastes énormes
entre les différents pans de la société britannique si tant est qu’elle existe
encore. L’opulence de certains quartiers côtoie une misère grandissante qui ne
dit pas son nom. La précarité extrême semble inhérente à cette « société
capitaliste avancée » de laquelle les secteurs primaires et secondaires
ont pratiquement disparu au profit d’un secteur tertiaire où l’on vend du vent
(services financiers, assurance, télécommunications…).

Il y a deux ans, en séjour dans le sud de Londres dans le district de
Southwark, j’avais été frappé par une campagne d’affichage appelant à dénoncer
le voisin qui travaille clandestinement alors qu’il touche des subsides de
l’Etat. L’affiche donnait un numéro de téléphone et présentait une photo floue
d’une dame relativement âgée, vraisemblablement d’origine africaine ou
caribéenne. Dans le même temps, la crise boursière et financière et les bonus
versés aux traders sévissaient. Pourtant, aucune affiche appelant à la délation
de traders ou de financiers, les mêmes qui plombèrent et plombent encore
l’économie mondiale.

Les émeutes actuelles suivent un schéma qui n’a pas changé depuis les 70’s.
Décès suspect d’un ressortissant issu de l’immigration ou d’un militant, le
quartier qui se soulève, les forces de police qui tentent de reprendre le
terrain et les émeutes qui se propagent dans les ghettos du reste du pays.
Aujourd’hui comme à l’époque la police se remet à appliquer les Sus (suspicion
laws) qui permettent à tout policier de contrôler une personne
« préventivement ». Les émeutes des 70’s et 80’s se sont d’ailleurs
déroulées en réaction au harcèlement par la police des jeunes « issus de
l’immigration » et de nombreuses chansons de l’époque par des groupes punk
ou reggae en font foi (The Ruts : « Sus », LKJ, Steel Pulse…).

La police britannique avait pourtant depuis une bonne vingtaine d’années
tenté d’enrôler des jeunes d’origine indo-pakistanaise, caribéenne ou
africaine. Depuis quelques mois, au fur et à mesure de l’intensité de la crise
économique, elle avait pourtant durci ses modes d’intervention, notamment suite
aux manifestations étudiantes.

Le malaise au Royaume-Uni est général, enfin, presque. La classe moyenne
disparaît en s’enrichissant ou en s’appauvrissant, les classes populaires ne
voient plus par quel bout en sortir et les jeunes voient leur avenir bouché à
cause d’une sélection drastique à l’entrée à l’université sur des critères…
financiers (frais de scolarité multipliés par 3 par le gouvernement
Cameron).

Pendant ce temps, les queues s’allongent au Pôle Emploi local. La crise est
plus palpable à Lambeth qu’à la City. On ne compte plus les boutiques fermées
aux vitrines recouvertes de contreplaqué dans certains quartiers. Dans le même
temps, les sollicitations par la publicité, le culte des marques, la religion
du succès, le rapport à l’argent roi, sont promus comme valeurs presque d’Etat.
On comprend donc pourquoi beaucoup d’émeutiers se sont transformés en
pillards.

Les élites (souvent autoproclamées) qui dirigent l’opinion, le pays, les
forces dites de l’ordre, ne sentent-elles pas les problèmes ? La
corruption dans la police au profit d’un empire de presse qui a
« fait » l’élection menant à la nomination de Cameron a certainement
plus dû rajouter de l’huile sur le feu de la contestation que de calmer les
ardeurs. Ces élites qui possèdent tout et le reste se posent en perpétuels
donneurs de leçons. Elles commencent à ne plus être écoutées ni entendues.

Enfin, faut-il voir dans l’actualité britannique uniquement le reflet de
cette société ? Est-ce un hasard si dans le même temps on manifeste du
Maroc à la Syrie, de l’Espagne à la Grèce, de l’Egypte à Israël ? C’est le
monde qui est en crise. Tant que les réponses des dirigeants seront de sauver
les banques au lieu de répondre au défit de la misère qui s’installe
durablement tant en Occident que dans les pays intermédiaires ou en voie de
développement, tant que l’espoir semblera bouché, il y a fort à parier
qu’auront lieu ici et là des manifestations plus ou moins pacifiques, plus ou
moins violentes contre l’ordre établi que l’on nous présente comme
immuable…

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