CCCXXIX.

Il paraît que la rue Percière va devenir piétonne. Rien de notable pour le futur piéton, l’ancien circulant déjà sur la chaussée. Le changement sera pour les bistrots et restaurants, côtés nord et sud, tous inscrits au tourniquet des modes urbaines. Telle que, la rue a son charme, celui d’être étroite et bordée de hautes maisons. Comme dans les guides : du carrefour Ganterie, beau point de vue sur le beffroi du Palais de Justice.

Jadis, la moitié de la rue était occupée par l’arrière de l’Hôtel de la Poste. Pour qui connaissait les lieux, cela servait de moyen discret pour entrer et sortir. Amours adultères, avec vous ont disparu les passages secrets. Enfin j’imagine, car le coup de canif dans le contrat existe encore. Certains même, à en lire les faits divers…

C’est rue Percière, que j’ai connu Monsieur Constantini. L’homme tenait ses assises (façon de parler) au Diplomate (ce café portant alors un autre nom). Fervent gaulliste, il s’imaginait agent électoral, et… Mais j’ai déjà raconté ça, n’ayant pas tant de souvenirs. En regard, j’ai plus de rancœurs. Ce qu’on me reproche. C’est le lot des vieillards. Mes amies d’autrefois me l’ont répété tant et tant : Tu mourras tout seul, sale égoïste ! Elles avaient tort d’avoir raison.

Revenons rue Percière, rue des mystères. A une extrémité, côté Palais de Justice, une porte cochère, toujours ouverte, menait à une cour. Au fond, s’ouvraient les réserves de la librairie Lepouzé. Cette librairie, ayant pignon sur les rues St-Lô et de la Poterne, était une enseigne renommée. Pour de bonnes et mauvaises raisons, mais là n’est plus la question.

Ce que je voulais dire, c’est que, entrant chez Lepouzé acheter – simple exemple – Madame Bovary – on pouvait, en s’y prenant bien, traverser les réserves, déboucher rue Percière et retrouver l’être aimé à l’Hôtel de la Poste, ledit être aimé étant entré à l’hôtel par la rue Jeanne d’Arc. On pourra y voir la preuve de ce que peut la littérature.

Concordance des temps : de nos jours, entrant rue Jeanne d’Arc à l’Armitière (qui a deux entrées) nous pouvons rejoindre la rue Percière par les quelques mètres qui la sépare de la rue du Bailliage. Ceci pour dire que ce qui change nous change aussi, car avec qui tromper maris, épouses et amants, je vous le demande ? Et dans quel hôtel ?

Rue Percière, se trouvait une librairie : Libranova (heureux temps où le latin venait au secours du commerce). On y vendait surtout des livres techniques, à une époque où la chose se vendait. Puis on se spécialisa dans le guide touristique, la carte routière, puis… dans rien du tout, la boutique ne faisant pas ses affaires. Pour finir, on se contenta d’ouvrir à des heures plus ou moins fixes et d’écouler des stocks d’invendus, venus d’ailleurs. C’est chez Libranova que j’ai acheté, jeune homme, La Cavalière Elsa de Pierre Mac Orlan. Comme dit la chanson, c’est alors que j’ai trouvé (pourquoi donc ?) un sens à ma destinée. Oui, preuve de ce que peut la littérature.

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