CCCXXXVI.

Ce vendredi, à l’Hôtel de Région pour un hommage à Pierre Garcette. Hommage tardif mais véritable sous l’intitulé L’Ivre d’Art. Tout était dit pour la majorité, ce soir là, d’entre nous. Les vieux de la vieille, voilà ce que j’ai pensé en pénétrant dans la salle. Quoique, à la réflexion, non, car ceux d’autrefois étaient jeunes et joyeux ; ceux-là sont vieux et tristes.

Pour la jeunesse d’aujourd’hui, absente, elle apprendra que Pierre Garcette (1940-2003) fut ce qu’on ne nommait pas, en ces temps-là, un plasticien. Un artiste sans art défini, touche à tout, amateur strict et professionnel sans diplômes. Dans cet espace, rien ne lui échappait. Il y excellait en tout, mais au final, en rien. Autant dire que ce qu’on a exposé au Conseil régional n’offre que de poussiéreux vestiges.

Passons sur les rébus, resucées des blagues d’un Charivari ou d’une Assiette au beurre ; de même pour les boîtes, les machines, les peintures… plaisanteries où il ne fit que perdre son temps. Son unique roman édité est écrit avec les pieds, et que dire des commandes publiques où sa facilité n’avait d’égal que l’ébahissement des élus confondus.

Sa conversation était éblouissante. Entendez qu’elle vous laissait ébloui. Ses jugements vous mettaient la tête en l’air et les pieds sur terre. Sa culture, vaste et rare, confondait toutes les modes. Avant tout, elle considérait l’essentiel, excluait l’accessoire. Comme tel, Garcette ne se payait pas de mots. Il s’accordait aux choses et s’y tenait. Le reste n’en valait pas la peine.

D’où sa passion pour le surréalisme, genre destructeur pour qui s’y adonne avec foi. C’était le cas. L’autre nature de Pierre Garcette s’attablait chaque soir dans les bistrots. Au Petit Bouvreuil, à l’Épicerie, aux Floralies… de tournées en tournées, de Players en Players, les nuits s’avançaient. On a pas mal bu hier… disait-on le lendemain. Chez certains, la mesure n’est jamais pleine. Partir ou durer ? On n’a pas toujours le choix.

Il est mort à 63 ans. A son incinération, on était plus gai qu’hier soir. Mais les temps ne sont plus les mêmes. J’ai connu Pierre Garcette lorsqu’il est revenu de la Guerre d’Algérie (encore un que cette période aura cassé en trois). Se morfondant à Biskra, il avait appris, sous l’autorité militaire, à peindre des chiffres et des lettres sur les camions. Ça force au rectiligne et à la discipline.

D’où décors, architecture, urbanisme et autres métiers forts utiles quand on a du talent et qu’il faut manger. L’ennui, c’était son perfectionnisme. Pierre, arrête, ça va comme ça. Il n’arrêtait pas, ne finissait pas. A être mécontent de soi et du monde, personne n’y gagne. Combien de fois nous nous sommes brouillés à cause de travaux pas rendus à temps ! Et réconciliés, parce qu’enfin, Pierre valait plus que Garcette. Le croiser et mériter sa considération était chose rare. Il fallait savoir le rejoindre. Son dernier atelier était à l’enseigne de Locus Solus ; son dernier domicile au Vallon Suisse. Ces deux invocations suffisent à dire qu’il était autant parmi nous qu’ailleurs.

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