CCCLI.

Une récente chronique m’a amené à une incidence sur Pierre-René Wolf, directeur et fondateur de Paris-Normandie. Mort pour mort, j’étais à l’inhumation du premier, en avril 1972. Avec un certain aplomb, fort de mes souvenirs, j’ai écrit ici : jamais eu aussi froid. Une vigilante lectrice me rappelle à l’ordre des souvenirs : je ne pouvais avoir eu si froid, puisque nous étions en avril. Si infime qu’elle soit, j’avoue que la chose me trouble. D’une part parce que ce n’était pas moi qui, alors, avait froid, mais celle qui m’accompagnait. Passant la cérémonie à gémir j’ai froid… mais qu’est-ce que j’ai froid… la litanie a fini par me convaincre. Les femmes, toujours !

Je me souviens (moi et un tas d’autres) que la chose se déroulait au cimetière de Bonsecours. La foule, et les personnalités attendues. Beaucoup de chagrinés. Surtout du fait d’être là. Vrai qu’on rendait hommage à un mort qui l’était déjà depuis quelque temps.

C’était un mardi 10 avril, dans la matinée. Et celle qui m’accompagnait avait froid. Moi ? Aucun souvenir. Enfin si, celui de mon accompagnatrice. D’où ma notule incriminée. Cette accompagnatrice était là pour presque une seule chose : elle me véhiculait. Entendez qu’elle possédait une voiture (marque inconnue). Donc, vous allez rire, elle me servait de chauffeuse.

Renseignement pris (indispensable Internet), il faisait ce jour-là à Rouen (a fortiori à Bonsecours) quatre degrés pour les minimales et huit pour les maximales. Comme on dit : c’est pas froid-froid, mais quand même… Surtout pour une personne guère emmitouflée. De plus, là-haut, sur le plateau, ça souffle. L’esprit de José-Maria de Hérédia, entre autres.

Nous sommes redescendus en début d’après-midi. Comme elle avait toujours froid, nous avons pris un chocolat. Elle voulait rentrer à Paris, rejoindre son mari. Au plus vite. Que ce jour là, elle ne rejoignit pas. Le soir venu, nous avons dîné Chez Tony, rue Écuyère, alors une de mes cantines.

En sortant, le temps s’était nettement réchauffé. Vertu du rosé de Bandol ? On le sait : les inhumations ouvrent toujours les appétits. Le mort invitant à saisir le vif, nous avons achevé la journée d’une façon convenant aux circonstances.

Elle a fini par rejoindre son mari. Pour de bon. Mari professeur de philosophe, devenu brillant journaliste. A moins que ça ne soit le contraire ? Tant est que le journalisme puisse mener à la philosophie. But ultime que manqua Pierre-René Wolf, lequel mourut dans l’amertume au détriment de la sérénité. Mais, je l’espère, en pensant aux femmes. Lui qui, sa vie durant, en usa avec la conviction d’en être aimé. Lui, au moins.

Ça et ses Ninas, cigarillos immondes qu’il allumait à la chaîne dans son lugubre bureau de la place de l’Hôtel de Ville. Sans parler du foie gras qu’il arrosait de porto, seul ou en compagnie, au Beffroy, à La Couronne, à l’Écu de France… tous lieux où un homme de sa trempe se devait d’aller. Du moins, à l’époque. Jamais dupe de ce qui l’entourait. Ou encore : jamais dupe de ceux qui l’entouraient.

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