Concordia : Sauver d’ultimes rescapés et éviter la catastrophe écologique

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17/01/2012

Le gouvernement italien a annoncé, hier soir, qu’il allait décréter l’état d’urgence, alors que les craintes se renforcent quant à une éventuelle catastrophe écologique liée au naufrage du Costa Concordia. Le navire, qui s’est échoué vendredi devant la petite île du Giglio, en Toscane, est actuellement couché sur les rochers, qui lui permettent de rester à moitié hors de l’eau. Mais les autorités redoutent qu’il glisse vers la fosse et sombre devant Porto Giglio, où les fonds dépassent 100 mètres. Les craintes ont été accentuées hier lorsque le navire, dont la structure se déforme sous son énorme poids, a bougé d’une dizaine de centimètres. Et, alors que de nombreux débris se répandent dans la mer, une fuite de liquide, apparemment du carburant, a été détectée en fin de journée. Dans la soirée, des barrages flottants étaient par conséquent mis en place autour de l’épave. Les équipes de la société néerlandaise SMIT, spécialisée dans les situations d’urgence maritime, sont arrivées sur place. Elles doivent expertiser la coque afin de savoir si le navire peut être redressé. Hier, la direction de Costa Croisières caressait en effet l’espoir de pouvoir renflouer le paquebot et le remorquer vers un port. Il s’agirait de vider les soutes à combustible, colmater les brèches, assécher le navire et le redresser au moyen de ballons gonflables. Un plan très incertain compte tenu de la position de l’épave et de l’étendue des dégâts, avec une coque éventrée et, surtout, une structure probablement très atteinte.

Plus de 2300 tonnes de carburant et de nombreux produits polluants

Il reviendra aux experts,à la lumière des inspections, de déterminer si une telle opération peut-être tentée. Cette solution, si par chance elle peut-être menée, éviterait d’avoir à démanteler le paquebot sur place, ce qui représenterait un chantier très long et aussi complexe que coûteux. En attendant, l’urgence est de maintenir le paquebot sur son promontoire rocheux et éviter qu’il ne coule définitivement. Pour cela, différentes options sont à l’étude. Situé en plein milieu d’une réserve naturelle, le Costa Concordia représente, dans son état actuel, une grave menace pour l’environnement. Les soutes contiendraient en tout 2380 tonnes de carburant. Selon Costa Croisières, quelques 2300 tonnes de fuel lourd seraient contenues dans 17 compartiments dotés d’une double coque. A cela s’ajoutent quatre réservoirs chargés de gasoil. En plus du combustible, le navire de 290 mètres de long, 35.5 mètres de large et 114.500 tonneaux de jauge, est aussi une véritable ville flottante. Décoration, mobilier, matériel vidéo, cuisines, réseaux de fluides, produits chimiques ou encore bombonnes de gaz… L’intérieur du mastodonte regorge de matières potentiellement polluantes. C’est pourquoi, si jamais il doit être déconstruit sur place, il faudra, en plus des cuves à combustible, vider les différents locaux avant de procéder à la découpe de la coque. En tous cas, les autorités italiennes veulent à tout prix éviter que tout cela se termine au fond de la Méditerranée.

6 morts et 29 disparus

La priorité est donc de stabiliser l’épave dans sa position actuelle, alors que les conditions météorologiques se sont dégradées hier. En dehors des aspects environnementaux, il s’agit aussi de laisser encore du temps aux sauveteurs afin de retrouver d’ultimes survivants. Hier, dès le lever du jour, les recherches se sont poursuivies. Les plongeurs et pompiers ont de nouveau inspecté la carcasse, dans ses parties émergées et sous l’eau, à la recherche du moindre signe de vie. Des investigations très dures et risquées, au milieu des décombres, dans un labyrinthe plongé la plupart du temps dans le noir et partiellement détruit, avec des ponts inclinés à 80 degrés. Ainsi, en deux jours, seul un quart de la surface totale du navire aurait été inspectée. Hier après-midi, les recherches ont été interrompues durant plusieurs heures, à cause de la mer et du vent, qui commençaient à forcir. « Les plongeurs ont senti des vibrations et entendu des bruits inquiétants qui pouvaient laisser penser que le navire bougeait », ont expliqué les garde-côtes, qui n’ont pas voulu prendre de risque et ont fait évacuer le bateau. A la faveur d’une accalmie, les opérations ont repris, jusqu’à la tombée de la nuit. Mais aucun survivant n’a été retrouvé. Seul un corps sans vie a été extrait par hélicoptère, portant le bilan à 6 morts, sur les 4229 personnes (3216 passagers et 1013 membres d’équipage) présentes à bord du Concordia au moment de l’accident. Concernant les disparus, les chiffres sont toujours fluctuants. En fin d’après-midi, on évoquait 16 personnes manquant à l’appel. Mais, en fin de soirée, le commandant des garde-côtes revoyait les chiffres à la hausse. « 29 personnes, 4 membres d’équipage et 25 passagers, manquent encore à l’appel », a annoncé Marco Brusco. Alors que le recoupement des listings se poursuit afin de savoir si certains rescapés ont oublié de se signaler, les recherches à bord doivent reprendre aujourd’hui, l’espoir de retrouver des miraculés s’amenuisant au fil des heures.

L’erreur humaine se confirme

Pendant ce temps, l’enquête se poursuit pour déterminer les circonstances et les causes exactes du drame. Aujourd’hui, la responsabilité du commandant Francesco Schettino ne semble plus faire de doute. Si les paquebots de Costa Croisières passent plus de 100 fois par an entre le Giglio et le continent, le Concordia naviguait beaucoup trop près de la côte. Et il apparait de plus en plus évident que le commandant se serait sciemment rapproché. Dimanche, déjà, on évoquait sur l’île la possibilité que le bateau soit venu raser la côte pour faire sa « révérence », l’Inchino, une tradition apparemment bien ancrée chez certains marins italiens qui, lorsqu’ils le peuvent, s’approchent du rivage pour saluer les habitants de leur terre natale (ou leurs proches). Dans son édition d’hier, le Corriere della Sera avance l’hypothèse que le commandant aurait voulu faire plaisir à l’un des responsables du service hôtelier, qui devait rentrer chez lui la semaine précédente après plusieurs mois de contrat, mais serait finalement resté faute de remplaçant. D’après le quotidien italien, qui cite des témoins de la scène, Antonello Tievoli, originaire du Giglio, aurait été appelé à la passerelle par Francesco Schettino. Le natif de l’île, voyant la côte se rapprocher dangereusement, aurait alerté le commandant qu’il naviguait trop près du rivage, peu de temps avant que le paquebot heurte le récif qui a déchiré sa coque. Bien qu’Antonello Tievoli aurait, selon le Corriere della Sera, livré son témoignage aux garde-côtes, cette information est bien entendu à prendre avec beaucoup de prudence. Ce sera à la justice de la confirmer ou de l’infirmer. Pour l’heure, le procureur de Grosseto, Francesco Verusio, a simplement indiqué que « la route suivie par le navire n’était pas la bonne » et qu’il naviguait à une distance « incroyablement proche du rivage ». Hier, le président de Costa Croisières a confirmé l’erreur humaine.

« Nous ne pouvons pas nier qu’il y ait eu une erreur humaine. Les procédures et les règles strictes qui sont données aux commandants n’ont pas été respectées », a déclaré Pierluigi Foschi, ajoutant que « Si ça avait été un problème technique, il y aurait eu des alarmes. Le bateau n’avait pas de problème de sécurité, il dispose de dispositifs de sécurité ultra-sûrs ». Le patron de Costa a, en revanche, refusé de « spéculer » sur la raison pour laquelle le commandant s’est approché du Giglio. Il a simplement précisé que si le paquebot avait effectivement déjà paradé devant l’île en août dernier, les garde-côtes avaient alors été avertis, ce qui n’a pas été le cas cette fois, puisque ce n’était pas prévu. Reste également la polémique quant au fait que Francesco Schettino aurait quitté son navire bien avant que les derniers passagers aient évacué. Un « abandon » présumé qui fait encore l’objet de zones d’ombre et que personne ne parvient à expliquer véritablement. Les horaires donnés sont aussi troublants. Ainsi, Pierluigi Foschi affirme que « plus de 4.000 personnes (ont été évacuées) en deux heures », soit une durée bien inférieure à ce que l’on annonçait jusqu’ici.
Alors que le commandant et son second, incarcérés, sont poursuivis pour homicides multiples et abandon de navire, l’avocat de Francesco Schettino a rappelé hier que, grâce à la manœuvre d’échouage à proximité de Porto Giglio, le commandant a probablement sauvé de nombreuses vies. C’est un fait que si le Concordia était resté au large, il aurait sans doute chaviré, avec un nombre de victimes potentielles autrement plus important. Mais pour les naufragés et familles des victimes, cette manœuvre n’atténue en rien l’erreur initialement commise.

« L’équipage s’est comporté héroïquement »

S’il a clairement évoqué l’erreur commise par le commandant, Pierluigi Foschi a en revanche tenu, hier, à saluer les 1013 membres d’équipage du Concordia : « L’équipage s’est comporté héroïquement ». Selon le patron de Costa : « Les procédures de sauvetage de la compagnie sont au plus haut niveau. Nous n’avons aucune preuve d’un quelconque problème structurel dans notre politique de recrutement et de formation, ainsi que dans nos procédures ». Pierluigi Foschi a, ainsi, répondu aux très vives critiques relayées durant le week-end par les média. Désorganisation, manque de communication, incompréhension à cause de la barrière de la langue et même incompétence… Devant les caméras, certains passagers se sont montrés très sévères vis-à-vis des personnels. Dans une telle situation, avec un bateau partiellement éclairé en train de sombrer, tout n’a forcément pas fonctionné comme dans les exercices et il y a immanquablement eu des problèmes, voire des dysfonctionnements. C’est, malheureusement, le propre d’une catastrophe et il conviendra de tirer tous les enseignements du drame pour améliorer ce qui peut l’être. Comme l’ont relaté les passagers, il y a inévitablement eu de la confusion et de la panique. Mais de là à faire passer l’équipage du Concordia pour un « ramassis d’incapables », comme on en a parfois eu l’impression en regardant certains reportages, il y a un pas qui ne peut en aucun cas être franchi, quelles que soient la peur et la douleur ressenties, qui furent aussi celles des personnels, dans les rangs desquels il y a aussi des victimes. Hier, Courrier International a, d’ailleurs, diffusé un témoignage très intéressant de Katia Keyvanian, qui travaillait sur le Concordia. La jeune femme dénonce le traitement médiatique réservé à l’équipage : « Nous avons évacué, dans le noir, le navire complètement incliné, 4000 personnes en moins de deux heures ! Des incompétents ne pourraient pas en faire autant (…) On s’est mis en quatre pour sauver les passagers, pour les mettre en sécurité. S’ils sont sains et saufs, c’est seulement grâce à nous, grâce à l’équipage qui a fait tout ce qu’il a pu. Nous ne voulons pas de remerciements, NON, nous avons seulement fait notre devoir mais nous ne voulons pas non plus entendre toutes ces bêtises, ces mensonges, ces salades qui ne servent qu’à décrocher un scoop ou remplir un reportage ». Dans son récit (*), Katia Keyvanian évoque donc, comme le président de Costa Croisières, une durée d’évacuation de deux heures. Et, autre fait troublant, elle réfute le fait que le commandant ait abandonné le navire…

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