CCCLXX.

Les meilleurs d’entre nous se désolent de voir notre antique cité réduite au partenariat chocolaté. L’époque, à cet égard, nous inflige de grands maux. Certes, la sagesse l’affirme : le ridicule ne tue pas. Oui et non, c’est selon. Le pire est encore que dans les milieux de gauche, ne pouvant condamner le cacao corrupteur, on feint de l’ignorer. Au pire, on s’enflamme, assurant que la marque en question distribue croquettes et roudoudous aux petits noirs. Cette resucée d’un colonialisme bon teint a pour nom aide aux pays émergeants. Le langage sauve de tout, sauf de la niaiserie des caractères.

L’autre soir, dîner en ville. Autour de la table, assemblage d’auxiliaires du régime local dont je semble faire partie puisqu’on m’invite. Il est vrai que j’ai pas mal donné autrefois. La conversation roule sur les sujets du jour, élections, parrainages, débats, meetings, sondages… Personne ne doute de la victoire du Hollandais. Pourquoi ai-je voulu faire le malin ? Non que j’ai donné mon opinion, voire argumenté pour le Béarnais ou la Norvégienne, non, tout bête je me suis démarqué de la certitude béate de l’assemblée. Tout haut a dit Félix : Gare, avant le deuxième tour, il y a le premier.

Ah, quelle affaire ! Tout juste si j’ai eu droit au plateau de fromages. Quoi, un hérétique en nos murs, quelqu’un qui insinue que la relique n’est pas un morceau de la vraie croix ! Y a-t-il du dessert ? Oui, pas pour toi.

A la table, une ancienne, connue plus jeune et qui a maintenant mon âge. La foi comme le diable au corps, toujours militante, s’enflammant pour la Grèce, pour la Syrie, pour les sans-abris, les sans-papiers… Sa présence au monde est de protester. Sa vertu : ne jamais abdiquer. Sa conscience : prête à faire et à dire. Son moteur : être contre. Son mérite : l’être toujours (ou encore).

Après le pot au feu, plat de saison, elle a un peu baissé la garde ; seule, ayant perdu ses amants les uns après les autres, elle commence à trouver que ses petits-déjeuners ont un goût d’amertume. La belle affaire ! A dire vrai, elle me fait pitié. A condition d’être croyant, il faudrait prier pour elle. Ce seul argument que je puisse lui opposer (et seul qui puisse la faire enrager).

Revenons sur cette pâte à tartiner mélangeant noisette et cacao. Lors de ce dîner, j’ai voulu, comme on dit, en faire un plat. Aucun succès même en cuisine. On haussait les épaules, on affichait un mince sourire, on prenait un air surpris. Presque choqué qu’on puisse s’arrêter à de pareils détails. Et tu trouves ça grave ? La phrase fut prononcée d’un ton Nathalie Sarraute ou Yasmina Reza : Et c’est grave ça ? Ce ça dans la bouche de Christine valait tout.

Allons-y pour la pâte à tartiner. Désormais, son destin est de recouvrir la ville et ses entours. Croyez-moi, j’ai horreur des blagues scatologiques, mais là, force est de constater qu’on m’y force : Rouen, pot de chambre de la Normandie.

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