CCCXCIV.

La campagne locale pour les élections législatives vous passionne-t-elle ? Pas tant que ça, n’est-ce pas ? D’ici, je le vois à votre tête. Pour ce qui concerne notre première circonscription, quatorze candidats ! Autant dire que Fantômette ne risque pas d’être battue (elle risque même de gagner). Dès lors, amusez-vous à compter les bulletins des treize autres. Mais j’y pense, Honoré de Balzac n’a-t-il pas écrit Histoire des Treize ?

Le roman, à l’origine prévu en feuilleton, mettait en scène une société secrète. Le projet, plus qu’inachevé (trois épisodes) n’aboutit pas. Cependant, à lire la préface de 1831, on perçoit que l’auteur ne pensait à rien d’autre qu’aux élections rouennaises de 2012 :

Il s’est rencontré, sous l’Empire et dans Paris, treize hommes également frappés du même sentiment, tous doués d’une assez grande énergie pour être fidèles à la même pensée, assez probes pour ne point se trahir, alors même que leurs intérêts se trouvaient opposés, assez profondément politiques pour dissimuler les liens sacrés qui les unissaient, assez forts pour se mettre au-dessus de toutes lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins.

Quelle actualité ! Seule variante, on constate parmi nos actuels treize, la présence de cinq femmes. Rien de rédhibitoire, et même oserai-je, l’intrigue pouvait s’en trouver renforcée. Oui, une Nouvelle Histoire des Treize vous aurait tenu en haleine et, à condition que je m’y sois mis, vous conter avec brio les péripéties de la campagne. Coups de Jarnac, poignards dans le dos, squelettes dans les placards… tous ingrédients du feuilleton populaire d’autrefois, écrit d’une plume alerte et dotée d’un humour ravageur. Ouf.

Alors, je m’y mets ou pas ? Pour avoir l’avis desdits secrets sociétaires, je les ai conviés au restaurant. Les Treize sont venus. Mon projet expliqué, l’ambiance s’est refroidie. Pourquoi treize et pas quatorze ? a demandé M*** ? De nouveau, explication, et cette fois points sur les i : Fantômette l’emportant, c’est que les Treize sont d’accord pour. D’où la troublante proximité avec Balzac : assez politiques pour dissimuler les liens qui les unissaient… Oui, le feuilleton montrera pourquoi et comment tout a été fait pour qu’elle gagne. Et décidez-vous vite, il ne reste que six jours.

Le repas débutait. On choisissait la formule. Entrée et plat, plat et dessert ? Chacun voulait un changement de garniture. Quitte à payer un supplément ? Pardi, Félix régalait ! Commande prise, la parole devint plus libre. Oublié mon feuilleton, on parla politique. Plus la conversation avançait, plus les chances des uns et des autres augmentaient. Tous se voyaient avec des scores à deux chiffres. Sortaient des urnes triangulaires certaines, quadrangulaires probables, pentagonales éventuelles. Je l’avalerai comme cet Opéra disait Q*** ; elle est cuite comme ma crème est brûlée, répliquait G***. Le serveur intervint : y aura-t-il des cafés ? On en prendra tous répondit P***. Ce mot fut suivi d’un grand silence. Chacun se regardait. J’ai dit une bêtise ? Le serveur répondit que non. Il souriait comme dans un récit anglais.

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