CDV.

Plus elle avance, plus l’histoire locale veut être racontée. Nous en sommes à évoquer les années Soixante-dix, voire Quatre-vingt. A ce moment, accoudé au comptoir, le vieil adage est d’actualité : Comme le temps passe… Oui, avec les points de suspension et le ton qui convient. Hélas, pas celui de l’exactitude.

Le plus navrant, c’est qu’à cette histoire vraie ou fausse, se mêle la rapidité. Faire vite, faire court, et si vous faites léger, ce sera mieux. Comme chaque fin d’année scolaire, lorsque le professeur dit : Pas le temps de faire tout le programme ! Tant pis, éliminons. Nous le savons, le fait, les dinosaures ont disparu faute d’espace vital. Il fallait laisser le terrain aux lapins.

Comme les dinosaures, disparaîtront les figures passées qui n’ont plus leurs places. Ainsi de Jacky Gaillard. Ce garçon fut ici, deux décennies durant, une figure en matière de spectacle et de lieux idoines. De ce genre mouvant, il voulait tout. Et autant de choses en annexes. Doté d’un goût solide et de pas mal d’abattage, il plaisait et aimait plaire. On verra que ce n’est pas toujours une qualité.

A Rouen, en 1945, on voulait reconstruire, pas construire. La différence est de taille (y compris dans le sens des mots). Il fallait, toutes affaires cessantes, revoir le passé tel qu’on l’avait laissé. Laissé depuis le temps d’avant. Le théâtre d’avant, le cinéma d’avant, les concerts, la chanson, les artistes, la radio, tout. Même la politique, si vous voulez croire. A l’époque, avoir vingt ou trente ans, n’était pas facile. Aujourd’hui ? Je ne sais pas.

Jacky Gaillard, malgré ou à cause, trouva sa place au milieu des décombres. Sur l’île Lacroix, il reprit un bastringue en désespérance, les Folies Bergère. Au sommet du toit, trônait une énorme effigie en forme de lyre. Va pour La Lyre dit Jacky. Nous étions en 1952. La fête (théâtre, chanson, concert) y dura jusqu’au début de la suivante décennie. On vit là le meilleur du temps. Le public suivit. Enfin, un temps. L’île Lacroix, c’est toujours loin.

La Lyre, victime des reconstructeurs, disparut vers 1964. Jacky Gaillard émigra place Cauchoise. Il racheta ce qui restait d’un théâtre Bovary et y installa Les Oubliettes, cave de cabaret dont on peaufine désormais la légende. Sa mère, forte femme, tenait la boutique. Elle fumait avec ténacité Gauloise sur Gauloise. Un genre. Lui, dans un autre, s’enfonçait à illustrer le Jacky de la chanson bien connue.

J’ai oublié de dire que vers 1950, il inaugura une toute neuve salle de théâtre. Ce fut rue des Carmes, dans le hall bétonné du Ciné-France. Mais pourquoi faudrait-il se souvenir du Nouveau Théâtre et du Petit Théâtre ? Pour ce qu’il reste, car ça aussi a disparu.

Pour finir, ajoutons que Jacky Gaillard est mort il y a presque trente ans. Oublié de beaucoup, ma foi. De temps à autre, on le ressuscite. On en dit tout le bien qu’on n’en a jamais pensé. C’est que le Rouennais n’est pas rancunier. Avec patience, il attend : les vivants finissent toujours par mourir.

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