Le plutonium, enjeu tabou de la transition énergétique

 

Alors que les stocks de plutonium issus de l’activité des centrales nucléaires s’accumulent en France de manière préoccupante, l’association Global Chance souligne le traitement politique contradictoire de l’enjeu des déchets nucléaires.

    |  Actu-Environnement.com

On s’en souvient encore : lors de la négociation pré-électorale entre le Parti socialiste (PS) et Europe écologie – Les Verts (EELV) à l’automne 2011, le MOX avait fait l’objet d’un paragraphe, qui, au début n’avait pas attiré l’attention. Le texte préconisait « une reconversion à emploi constant de la filière de retraitement et de fabrication du MOX et des moyens de stockage des différents types de déchets, notamment le laboratoire de Bure, en centres d’excellence de traitement des déchets et du démantèlement ». Quelques heures plus tard, le 15 novembre 2011, ces lignes disparaissaient du texte, les négociateurs du PS ayant été interpellés par l’industriel AREVA, inquiets pour l’avenir d’une filière industrielle très française : celle du retraitement des déchets nucléaires. A la suite d’une polémique abondamment médiatisée, le paragraphe était réhabilité. Entre temps, la France découvrait le MOX, combustible nucléaire issu d’un mélange d’oxyde de plutonium (PuO2) et d’oxyde d’uranium (UO2) commercialisé depuis les années 80 par EDF et la COGEMA, devenue AREVA.

Officiellement, le MOX sert à « recycler » les stocks de plutonium pour ralentir leur accumulation et justifier la filière du retraitement. Un réacteur nucléaire de 1000 mégawatts produit entre 230 et 260 kilogrammes de plutonium par année de fonctionnement. Une partie de ce plutonium – dont l’isotope PU 239 a une période de 24.000 ans – est réutilisé dans le MOX, combustible hautement fissile destiné à certains réacteurs à eau légère, comme l’unité 3 de la centrale de Fukushima ou une partie des réacteurs de 900 MW en France tels que ceux de Blayet 1 et 2, Tricastin ou Gravelines. Une fois ce combustible irradié, il faut une centaine d’années de plus pour le refroidir que les combustibles à uranium avant son stockage définitif. Le plutonium est une matière excessivement toxique. Une quantité de l’ordre d’une dizaine de milligrammes provoque le décès d’une personne ayant inhalé en une seule fois des oxydes de plutonium, selon une fiche de l’IRSN sur les aspects sanitaires de ce radionucléide.

Une substance à hauts risques

L’association Global Chance, conjointement à des experts internationaux tels que Frank von Hippel, co-Président de l’International Panel on Fissile Materials et Professeur des affaires publiques et internationales à l’Université de Princeton aux États-Unis, ont pointé à plusieurs reprises, dans des publications très documentées et à l’occasion d’un séminaire à Paris le 19 mars, les risques associés à la commercialisation du MOX. Cette substance est transportée par train à travers l’Europe et par bateau dans des conteneurs vers le Japon. La stratégie d’exportation du MOX par AREVA accroît les risques de détournement et de prolifération. En 1994, 70 kilogrammes de plutonium s’étaient accumulés, à l’insu des contrôles, dans les installations de télémanipulation de l’usine de production de combustible MOX à Tokai, au Japon. Le même type d’incident a été identifié en 2009 à Cadarache (Bouches-du-Rhône), où plusieurs dizaines de kilogrammes de plutonium sont restés dans les « boîtes à gants » de télémanipulation, en dehors de toute comptabilité.

La quantité globale de plutonium séparé est estimée à quelque 500 tonnes, suffisant à fabriquer 100.000 armes atomiques, d’après les estimations du professeur von Hippel et selon un rapport des consultants Franck Barnabie et Shaun Burnie. Il ne faut que cinq kilogrammes de plutonium pour fabriquer une arme, huit kilogrammes pour l’équivalent de la bombe atomique utilisée à Nagasaki (Japon) en 1945.

La France, épicentre mondial du plutonium

La France est dans une situation singulière. Avec 57,5 tonnes de stocks à la fin 2011, la France est, avec le Royaume-Uni, l’un des deux pays au monde qui détiennent le plus de plutonium. Selon un article de Jean-Claude Zerbib et André Guillemette, respectivement ingénieur en radioprotection retraité du CEA, et ingénieur méthodes et processus retraité de la DCN à Cherbourg, « fin 2011 de l’ordre de 1.100 tonnes de combustibles MOX usés étaient entreposées en stockage de longue durée dans les piscines de l’usine AREVA NC de la Hague. Aux 1.100 tonnes de combustibles MOX usés viennent s’ajouter 390 tonnes entreposées dans les piscines du bâtiment combustibles des réacteurs d’EDF, en attente de refroidissement intermédiaire (plus de 2,5 ans) avant d’être envoyées vers la Hague au rythme moyen actuel de 100 t/an. Enfin, dans 21 des réacteurs d’EDF, 300 tonnes sont en chargement ». La France est aujourd’hui le seul pays au monde à pratiquer le retraitement à grande échelle, « activité industrielle surprenante compte tenu du fait que les produits sortants – le plutonium et l’uranium « retraité » – ont une valeur comptable zéro et une valeur marchande négative », s’étonne Mycle Schneider, consultant international et membre de l’IPFM alors qu’AREVA a subi une perte de 100 millions d’euros en 2012 et a vu sa notation internationale rétrogradée à un « BBB- », soit à peine « un cran au-dessus d’un junk bond ».

En dépit de l’accord électoral entre le PS et EELV, la stratégie de retraitement des combustibles usés a été reconduite par le président de la République lors d’une réunion du Conseil de politique nucléaire : « La stratégie de retraitement des combustibles usés et le réemploi dans les réacteurs français des matières fissiles extraites sous forme de combustible MOX sont confirmés », selon un communiqué de l’Elysée du 15 octobre 2012 . La France compte 22 réacteurs de 900 mégawatts « moxés ». « Si les engagements électoraux de François Hollande de réduire à 50% d’ici à 2025 la part du nucléaire dans la production d’électricité sont tenus, en 2026 s’arrêtera le dernier réacteur moxé, sous réserve que sa durée de vie soit de 40 ans », calcule Mycle Schneider, extrapolant le scénario 2012 de l’ADEME selon lequel, en 2030, la puissance installée du nucléaire passera à 32 GW. Le retrait des réacteurs moxés serait alors la voie mécaniquement la plus sûre pour limiter la surproduction du MOX.

Agnès Sinaï

Posts created 1543

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut