L’énigme Poterat

Entre 1671 et 1673, un certain "sieur de Saint-Étienne", faïencier à Saint-Sever, serait à l’origine de la réintroduction de la porcelaine tendre en Europe… Saint-Étienne-du-Rouvray serait donc, à la porcelaine tendre, ce que Limoges est à la dure ! "Du verre et de forts petits cailloux de rivière broyés très menu, avec un peu de terre mêlés ensemble, et le tout fort broyé et pilé", voici ce qu’écrit de la recette de la porcelaine tendre le voyageur et écrivain français Jean Chardin, de retour de Perse, à la fin du XVIIe siècle.
"Cette porcelaine “tendre”, dite aussi porcelaine de Perse, explique Anne-Charlotte Cathelineau, directrice du musée rouennais de la Céramique, ne contient pas de kaolin, l’argile blanche dont se servent les Chinois depuis le IIIe siècle pour fabriquer la porcelaine dure. La pâte que fabriquaient les Poterat est plus fragile et moins blanche…"

Il faudra attendre un siècle pour qu’un gisement de kaolin soit découvert non loin de Limoges et qu’apparaisse la porcelaine du même nom. Une étude du musée de Sèvres défend néanmoins la thèse que le voyageur Chardin, né d’une mère rouennaise et huguenote, aurait transmis la recette de la porcelaine de Perse aux Poterat, eux aussi huguenots. Cette thèse est en effet très largement crédible puisque, les relations commerciales étant rompues avec la Chine à partir de 1659, et la demande de porcelaine chinoise n’ayant pas fléchi, les faïenciers s’intéressent de très près à tout ce que les voyageurs peuvent rapporter du secret de fabrication de cette pâte semblable au coquillage du même nom (lui-même semblable et doux "comme la vulve d’une truie", du moins, c’est ce qu’en dit le dictionnaire historique de la langue française Robert).

S’il est certain, en tout cas, que les Poterat connaissent le secret de fabrication de la porcelaine tendre et comptent parmi les premiers à produire des pièces en Europe, comme l’atteste ce rafraîchissoir de 1690 exposé au musée de la Céramique, il demeure en revanche plus douteux que ces "sieurs de Saint-Étienne" soient originaires de la commune. L’archiviste de la mairie, Franck Hartnagel, a recherché en vain la trace de la famille Poterat : "Dans les registres paroissiaux qui remontent pourtant à 1618 en mairie, je n’ai trouvé aucun Poterat", explique-t-il. L’archiviste n’exclut néanmoins pas que les Poterat aient pu avoir des liens de mariage avec une haute famille stéphanaise qui leur aurait ainsi transmis le droit de porter le titre de sieurs de Saint-Étienne… Mais l’archiviste préfère rester prudent. "Il était courant à l’époque, souligne-t-il, comme l’on voit chez les verriers, qu’un entrepreneur ou ouvrier qualifié ayant pu s’élever dans la hiérarchie sociale, grâce à son travail, tente d’acquérir des titres et parfois s’invente une fausse généalogie.L’acquisition de fiefs par les Poterat aurait donc pu avoir cet objectif. Parmi les descendants, l’un d’eux épouse d’ailleurs une Becdelièvre, famille seigneuriale de Grand-Quevilly."
Quoi qu’il en soit, les Poterat sont bel et bien connus sous le titre de sieurs de Saint-Étienne. Ils sont également à l’origine probable de la réintroduction de la porcelaine tendre en France. Il n’y a donc qu’un pas à parler de porcelaine de Saint-Étienne-du-Rouvray.

• Pour en savoir plus sur la faïence rouennaise et les ateliers de Saint-Sever, la visite du musée de la Céramique s'impose : 1, rue Faucon ou 94, rue Jeanne-d'Arc à Rouen.
Les dessins sont de Claire Désiré-Roche

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