Une démocratie affective?

Depuis 2002, les cotes de popularité font apparaître une impopularité croissante des présidents de la République. De plus en
plus vite : plus pour Nicolas Sarkozy, où il avait fallu attendre le mois de février 2008, que pour Jacques Chirac, et plus pour François Hollande que pour son prédécesseur, puisqu’il n’aura pas
fallu attendre plus de trois mois

Jusqu’alors, les cotes de popularité – bonnes ou mauvaises – étaient une sorte de décor où la politique nourrissait les
commentaires sur la mauvaise humeur populaire et annonçaient de futures sanctions électorales. À l’automne 2013, la question a été enfin posée : peut-on gouverner en étant impopulaire ? Question
presque risible au regard de l’histoire du monde, tant de pouvoirs ayant été impopulaires et ayant duré le temps d’une vie, voire d’une dynastie. On a bien compris que la différence tenait à
l’intervention des sondages et à leur écho médiatique. Les critiques avaient annoncé depuis longtemps la tentation d’ériger les sondages en vote permanent. Nous y sommes.

Le gouvernement français actuel ne se livre pas à un matraquage fiscal pour le plaisir. On peut discuter l’absence de projet
politique cohérent, les partis politiques étant aujourd’hui mis sur la sellette pour leur vide programmatique, on peut mettre en cause les choix politiques qui ont dessaisi les États de certains
fonctions régaliennes, comme la monnaie, et même évoquer la médiocrité structurelle de professionnels de la politique qui multiplient les impairs, on peut aussi discuter la pertinence d’une
politique financière inspirée d’orthodoxie libérale, on ne peut supposer qu’un gouvernement aime l’impopularité qu’il doit forcément récolter d’une politique de rigueur brutale.

La lutte démocratique impose la critique des dirigeants. Avec bonne ou mauvaise foi. C’est la règle du jeu. Avec la mise en
question de la légitimité des gouvernements fraîchement élus, on est probablement entrés dans une nouvelle ère. Peut-être celle où nul ne pourra plus gouverner.

Encore faut-il que certains soient intéressés par l’entreprise de délégitimation. Une guérilla médiatique est donc engagée
contre François Hollande. Action d’une presse de droite dans son rôle, action d’une profession journalistique dans le malaise, addiction de médias au sensationnalisme ?

Seule la solidité monarchique des institutions – une fragilité quand le prince se mêle de tout et de rien – permet de résister
comme si de rien n’était, ou presque, à l’assaut.

Il est vrai que l’impopularité n’a pas la matérialité des contestations physiques par la grève, qui paralyse la production, ou
de la manifestation qui paralyse la circulation. Elle n’en a pas moins la force de la croyance et peut provoquer des mécanismes de démobilisation. À commencer par la grogne, voire la défection,
d’élus inquiets pour leur réélection. Ou encore les certitudes de manifestants persuadés d’avoir le pays pour eux. Aucun de ceux qui aspirent au pouvoir ne devrait se réjouir de ces nouvelles
règles du jeu informelles. Il est probable que la démocratie ne sortira pas indemne de cette invocation permanente d’une parodie d’opinion publique.

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