Au delà de la provocation déplacée……

Directeur de recherche au CNRS (Cevipof), Luc Rouban, spécialiste de la fonction publique, revient sur l’hypothèse d’un gel de l’avancement des fonctionnaires, évoquée jusqu’au sein du gouvernement mais démentie hier par le Premier ministre. Les déclarations contradictoires des socialistes créent un climat qui va surtout inquiéter les petits personnels, dont la seule perspective est précisément l’avancement d’échelon à l’ancienneté. Et qui sont les plus prompts à se mobiliser. Comme chez l’ensemble des Français, la dimension privative du vote prend de plus en plus le pas sur les intérêts collectifs. Mais l’élément qui détermine le plus le vote des fonctionnaires, c’est le tandem âge-patrimoine. Même dans le vote des enseignants à la dernière présidentielle, la dimension patrimoniale – bien plus que le revenu – est une bonne clé de lecture : ceux qui ont des gros patrimoines ont voté à droite, comme dans le secteur privé. Sur le plan générationnel, il y a une fracture entre les quinquas et les sexas, qui votent beaucoup plus à droite, et les fonctionnaires plus jeunes, qui se partagent entre la gauche et, de plus en plus, l’extrême droite. Il n’y a plus rien de naturel à ce que les fonctionnaires votent pour la gauche. Lors du premier tour de la présidentielle de 1988, le vote des salariés du public pour la gauche dans sa diversité représentait 67% des suffrages exprimés, contre 55% en 2012. La chute est plus criante encore chez les seuls employés du public : 66% en 1988 contre 47% en 2012. Le fonds de commerce de la gauche existe, mais surtout chez les enseignants n’ayant pas beaucoup de patrimoine – a fortiori les professeurs des écoles. Ce sont les petits fonctionnaires, ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures qui déclarent voter à l’extrême droite. En 2012, 30% ont voté FN, soit à peu près autant que chez les employés du privé. Mais même chez les cadres du public, le FN a progressé : 6% des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle de 2007, contre 11% cinq ans plus tard, soit davantage que chez les cadres du privé (9%). La critique systématique des fonctionnaires n’est pas une nouveauté puisqu’en 1793, Saint-Just fustigeait déjà les «20 000 sots qui saignent et corrompent la République». Au-delà des propos de François Hollande sur le «moins d’Etat mais mieux d’Etat», il est vrai que les périodes de crise transforment, notamment à droite, les fonctionnaires en boucs émissaires pour leur coût et leur inefficacité supposée face au secteur privé. Mais cela ne doit pas empêcher de s’interroger sur d’autres sources structurelles de coûts, comme le millefeuille territorial. Dans leur très grande majorité, les Français ont une bonne opinion des fonctionnaires, qu’ils jugent honnêtes et compétents. Ce sont même les seuls acteurs publics en qui ils ont encore confiance. On enregistre aujourd’hui un doute dans l’opinion sur le nombre des fonctionnaires, puisque l’heure est à la recherche urgente d’économies. Mais au niveau local, notamment, les Français se battent pour sauver les services publics. Et l’on remarque également que les élites sociales continuent d’envoyer leurs enfants dans les grandes écoles pour entrer dans la haute fonction publique.

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